Marie-George Buffet m'a reproché ma modération. Si je revendique une certaine modération c'est que ce que je demande est simple : il s'agit de la démocratisation de notre système. Je lui concède en revanche qu'il n'est pas anodin de parler de VIe République, ce à quoi j'incline, car cela permet en effet de marquer la rupture et de mobiliser les citoyens autour de l'idée qu'il faut inventer le système politique du xxie siècle qui vienne se substituer au système actuel pensé dans les années vingt et trente.
Il s'agit moins d'inventer des choses miraculeuses que d'innover dans la manière de conduire les réformes : une VIe République n'aura de sens que si elle est le produit d'un débat très large de la société sur la démocratie, ce qui va bien au-delà des institutions. Pour reprendre et paraphraser le titre d'un ouvrage de Michel Crozier, On ne change pas la société par décret, on ne la change pas non plus par la Constitution. J'ajoute que confier d'emblée l'élaboration de la constitution à une assemblée constituante me paraît une solution du passé, dans une époque qui offre la possibilité de débats plus riches et plus décentralisés.
Je revendique enfin une forme d'audace à vouloir rompre avec notre rapport franco-français aux institutions. Certes, le Président de la République, dépossédé d'une partie de ses pouvoirs, verra son existence politique remise en question ; et alors ? Il est d'autres pays où les fonctions exercées par notre président le sont par le Premier ministre, y compris en ce qui concerne l'engagement des forces nucléaires. Il faut rompre avec notre amour du présidentialisme et nous départir de l'idée que les fonctions du Président de la République ne peuvent être remplies par un Premier ministre, responsable devant le Parlement.
L'audace sera aussi d'inventer de nouvelles fonctions politiques à même de prendre en charge les enjeux du long terme. C'est tout l'enjeu de la théorie politique institutionnelle du xxie siècle. C'est ainsi que je propose, pour rénover des institutions pensées depuis le xviiie siècle selon la logique des temps électoraux et nous donner la possibilité d'amorcer des politiques publiques dont les effets se projettent sur plusieurs siècle, un président du long terme, pourvu notamment du pouvoir d'interpellation, mais aussi une troisième chambre – le CESE – doté d'un pouvoir d'initiative législative sur ces questions. Je plaide, vous l'aurez compris, pour l'invention – audacieuse – d'un nouveau présent de la République.
Si le Président de la République est un arbitre, il ne faut pas supprimer son droit de dissolution – je pense que tous les constitutionnalistes en conviendront.
Pour ce qui concerne le mode de scrutin, je plaide pour un système majoritaire proportionnalisé par compensation, à l'image de ce qui se pratique en Allemagne où la moitié des députés est élue au scrutin majoritaire par circonscription, l'autre moitié étant élue au scrutin de liste de façon à corriger les inégalités de représentation. Pour remédier au défaut du système allemand, dans lequel les électeurs ne savent pas en votant quelle coalition ils vont porter au pouvoir, il faut instaurer un second tour, qui induise une « majoritarisation » des forces politiques. Quoi qu'il en soit, si l'on veut résoudre le problème de la représentativité de nos élus, qui est à mon sens notre problème majeur, il est indispensable de réformer le mode de scrutin.
Je ne pousserai pas l'audace jusqu'à instaurer un système de recall visant à responsabiliser le Président de la République. De tels dispositifs ne font que raccourcir encore les temps politiques ; ils coûtent de l'argent, mobilisent beaucoup de moyens et ouvrent la voie à l'action cachée des lobbies. Par ailleurs, si le vrai patron est le Premier ministre et qu'il est en permanence responsable devant sa majorité, la question de la responsabilité ne se pose plus dans les mêmes termes et l'idée du recall peut être écartée.
Monsieur le président Bartolone, vous avez défendu de façon assez convaincante un régime présidentiel à la française. Mon point de vue est différent : peu m'importent les pouvoirs de gouvernant du Président puisque je me situe dans la perspective d'un vrai régime parlementaire – à l'allemande, à l'italienne, à l'anglaise ou à l'espagnole – dans lequel le Premier ministre est le vrai patron.