Intervention de Denis Baranger

Réunion du 13 mars 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Denis Baranger :

Je suis en large accord avec les propos des deux intervenants.

La racine intellectuelle du mal, comme l'a dit Mme Ponthoreau, c'est que nous ne nous rendons plus compte que la responsabilité politique n'est pas ce que l'on dit. Avant d'être une possibilité de censure, c'est une relation de travail positive ; c'est une façon pour un exécutif et une majorité de gouverner ensemble, c'est une façon de se mettre d'accord sur une politique commune et de conduire celle-ci en faisant voter les lois et les budgets nécessaires. C'est un mariage avant d'être un divorce. Or, parce que nous sommes intellectuellement obsédés par le divorce, nous constatons qu'il est rare ; et qu'il y a peu motions de censure qui aboutissent, peu de gouvernements forcés à la démission par des majorités parlementaires.

Il serait donc intéressant de se pencher sur la question de la coopération. J'ai bien écouté ce qu'a dit le président Bartolone des récentes péripéties législatives de la « loi Macron » et de l'usage de l'article 49, alinéa 3 : il y a bien une difficulté à coopérer, et même lorsque le Parlement travaille, l'exécutif n'est pas nécessairement content des conditions de ce travail. Le mariage, autrement dit, est tumultueux, et la communication entre le Parlement et l'exécutif n'est pas bonne. Or, sur ce point, je n'ai aucune solution à proposer, mais il y a là quelque chose à creuser : la responsabilité politique, c'est avant tout une homogénéité entre une certaine majorité et un certain exécutif sur une certaine politique ; quand ces conditions ne sont pas réunies, quelles que soient les institutions, cela fonctionne mal.

M. Copé était, il y a quelques années, allé jusqu'à évoquer une nécessaire « coproduction législative » : si je puis me permettre, il ne devrait pas y avoir besoin d'en parler ! Cette formule donnait à penser qu'il n'y avait plus de co-production législative, alors précisément qu'il revient au Parlement d'écrire la loi… L'un des grands défauts du système actuel et de la focalisation sur l'exécutif – engendrée, en effet, par l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, mais aussi sans doute par les médias – est de masquer ce phénomène. On fait apparaître les chambres du Parlement comme des organes d'enregistrement ; or ce sont des organes de travail – on parle d'ailleurs en allemand d'Arbeitsparlament, parlement de travail. Notre parlement en est un, mais on ne le voit guère de l'extérieur : quand il réécrit des textes, cela passe parfois pour de la dissidence. Si l'on ne demande au Parlement que d'enregistrer des textes, alors toute divergence passe effectivement pour une dissidence !

Il y a là un travail intellectuel à mener : comment la responsabilité politique peut-elle redevenir un mécanisme positif d'entraînement et de gouvernement commun qu'elle était peut-être dans l'âge d'or du parlementarisme – dont je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'il ait jamais existé ?

S'agissant des propos d'Olivier Beaud, je ferai une remarque sans doute banale, mais qui n'en est pas moins importante : l'irresponsabilité des gouvernants, et notamment du Président de la République, est source de radicalisation de l'opinion, de violence, d'hostilité des électeurs. Si l'on ne peut rien faire, si les hommes politiques ne répondent pas aux questions et agissent selon leur bon vouloir quoi qu'il arrive, alors cette radicalisation est inévitable. Il y a donc un lien entre ces discussions apparemment techniques d'ingénierie constitutionnelle sur le rôle et la responsabilité du chef de l'État d'une part, et la situation actuelle de l'opinion publique de l'autre.

J'estime, je l'avoue, que les médias ne rendent pas service à la démocratie en favorisant des formats conflictuels et en promouvant une conception spectaculaire et très personnalisée de la politique. C'est vendeur, cela fait de l'audience, mais cela ne va pas dans le bon sens.

Comment établir de nouvelles formes de responsabilité politique ? Il me semble qu'il serait possible de renforcer les séances de questions non pas en séance publique, mais en commission. Je sais que cela existe déjà, mais il faudrait que ce soit plus fréquent et plus médiatisé : on verrait à l'oeuvre un Parlement de travail, on verrait concrètement la mise en oeuvre de la responsabilité, sur le modèle des commissions américaines.

Il me semble également, et je sais qu'Olivier Beaud est également sensible à ce point, que l'administration s'autocontrôle trop. Lorsque l'on veut trouver des réponses à des questions d'éthique administrative, on interroge des commissions elles-mêmes composées de fonctionnaires et de hauts fonctionnaires… Il y a là, je crois, une difficulté. Je n'accuse nullement notre administration d'être corrompue. Mais la question de la responsabilité des hauts fonctionnaires devrait être posée : je ne parle pas de les mettre en prison, mais de permettre à ceux qui le peuvent de poser les questions qui doivent être posées. On critique beaucoup les commissions des IIIe et IVe Républiques pour avoir mis sur le gril jusqu'à des directeurs de cabinet : à mon sens, c'est plutôt un modèle à suivre. C'est le rôle des parlementaires que d'appeler devant eux tel ou tel haut responsable de la technostructure pour lui demander ce qui s'est passé à tel ou tel moment, ce qu'il a fait, etc.

2 commentaires :

Le 19/12/2016 à 15:44, Laïc1 a dit :

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"Si l'on ne peut rien faire, si les hommes politiques ne répondent pas aux questions et agissent selon leur bon vouloir quoi qu'il arrive, alors cette radicalisation est inévitable. "

On ne peut pas demander d'un côté l'exclusion définitive du référendum du processus démocratique, comme vous l'avez fait dans un autre groupe de travail, et ensuite venir se plaindre de la radicalisation des électeurs, laissés seuls face à eux-mêmes et à leur impuissance politique. Et ce n'est pas en répondant ponctuellement à une question d'un électeur dans le désarroi que vous changerez durablement et efficacement la donne : les citoyens ne sont pas des enfants, ils peuvent et doivent décider par eux-mêmes, ils ne comprennent pas pourquoi on les spolie de ce droit naturel et normal de décider par eux-mêmes de ce qui les regarde, et la radicalisation politique vient ainsi, je l'ai déjà expliqué, du refus par la classe politique de prendre en compte la réflexion citoyenne pour trouver une solution aux problèmes collectifs. De ce silence imposé naîtra la radicalisation et le fait de se tourner vers les extrêmes.

Vous voulez une relation apaisée entre les citoyens et les politiques ? Alors imposez le référendum comme procédure habituelle de décision politique. Voilà où est la démocratie, voilà où est l'avenir.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 19/12/2016 à 15:48, Laïc1 a dit :

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Erratum : ce n'est pas vous qui avez demandé l'exclusion définitive du référendum du processus démocratique, je suis allé trop vite, je croyais que je répondais à M. Tourret...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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