Intervention de Elisabeth Pochon

Réunion du 18 mars 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaElisabeth Pochon, rapporteure :

Notre Commission est saisie de la proposition de loi visant à la réouverture exceptionnelle des délais d'inscription sur les listes électorales. Celle-ci fait suite aux travaux que M. Jean-Luc Warsmann et moi-même avons conduits dans le cadre de la mission d'information sur les modalités d'inscription sur les listes électorales, dont notre Commission a adopté les conclusions à l'unanimité le 17 décembre dernier.

Simple par son objet, cette proposition de loi n'en est pas moins particulièrement nécessaire sur le plan démocratique : il s'agit d'adapter le calendrier d'inscription sur les listes électorales au report exceptionnel des élections régionales de mars à décembre prochain, afin de permettre un exercice satisfaisant du droit de vote dans notre pays.

Comme vous le savez, s'il est possible de s'inscrire sur les listes électorales tout au long de l'année, il faut le faire avant le 31 décembre de l'année n pour pouvoir voter aux élections organisées entre le mois de mars de l'année n + 1 et le mois de mars de l'année n + 2. Ces délais sont nécessaires à l'instruction des demandes d'inscription et à la mise à jour des listes électorales par les communes et par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Il ne peut y être dérogé que dans des cas exceptionnels : déménagement pour motif professionnel intervenant après le 31 décembre de l'année n ou acquisition de la qualité d'électeur après cette date, notamment par ceux qui atteignent l'âge de dix-huit ans ou qui obtiennent la nationalité française, postérieurs à cette date.

Au cours de ses travaux, la mission d'information avait dressé un constat préoccupant : le calendrier d'inscription et, plus généralement, la procédure d'inscription est « devenue trop contraignante et inadaptée au rythme démocratique et à la mobilité des électeurs ».

D'abord, ce calendrier n'est guère connu de nos concitoyens. Ceux-ci ignorent souvent qu'ils doivent s'inscrire avant le 31 décembre pour voter à toutes les élections qui seront organisées l'année suivante, quelle que soit leur date. Certaines communes mènent des campagnes de communication rappelant cette règle, mais cette information, inégale sur le territoire, arrive souvent trop tard pour qu'un maximum d'électeurs fasse la démarche d'inscription.

Depuis 2009, avec la dématérialisation de la procédure d'inscription sur le site mon.service-public.fr, il est possible de s'inscrire en ligne sans se rendre à la mairie, ce qui allège les démarches. Néanmoins, des progrès restent à faire pour généraliser cette procédure à l'ensemble du territoire.

Ensuite, ce calendrier est inadapté à la mobilité résidentielle des électeurs. En effet, entre deux révisions des listes électorales, de nombreux électeurs changent de domicile pour des motifs qui ne sont pas seulement professionnels. Or ils ne peuvent pas s'inscrire sur les listes électorales d'une autre commune en dehors de la période de révision des listes. Quant à ceux qui pourraient bénéficier de la procédure d'inscription « hors période », ils ignorent la plupart du temps qu'ils ont cette possibilité juridique. Ils ne font donc aucune démarche en ce sens, attendant la révision de l'année suivante pour régulariser leur inscription. À cet égard, la procédure d'inscription dématérialisée devrait être mieux articulée avec les déclarations sécurisées de changement d'adresse accomplies par les usagers de l'administration, les demandeurs de prestations sociales ou les contribuables. Actuellement, les deux démarches doivent être réalisées séparément.

Enfin, ce calendrier est décalé par rapport au rythme des échéances électorales : la clôture des inscriptions au 31 décembre intervient généralement plusieurs mois avant la tenue des scrutins organisés entre les mois de mars et juin de l'année suivante.

Les personnes auditionnées par la mission d'information ont estimé que 3 millions de nos concitoyens n'étaient pas inscrits sur une liste électorale et que 6,5 millions étaient « mal inscrits », c'est-à-dire inscrits dans un bureau de vote qui ne correspondait plus à leur lieu de résidence effectif. Je vous renvoie à cet égard aux travaux de Mme Céline Braconnier et de M. Jean-Yves Dormagen, chercheurs en science politique. Ce constat prend un relief particulier cette année compte tenu du report des élections régionales de mars à décembre prochain, par la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. L'objectif de ce report était que les circonscriptions électorales pour le scrutin régional soient déterminées un an avant sa tenue.

À titre de comparaison historique, je vous rappelle que la dernière élection générale organisée au mois de décembre a été la première élection du président de la République au suffrage universel direct, en 1965. C'était il y a cinquante ans !

Sans modification du droit existant, les élections régionales de décembre 2015 se feraient avec les listes arrêtées en début d'année sur la base des demandes d'inscription déposées avant le 31 décembre 2014. Seuls auraient pu être ajoutés à ces listes les jeunes qui auraient atteint l'âge de dix-huit ans avant le scrutin – ceux-ci bénéficiant de la procédure d'inscription d'office – et, à leur demande, les personnes qui auraient acquis la qualité d'électeur et celles qui auraient déménagé pour un motif professionnel dans le courant de l'année 2015. Ainsi, hors cas d'inscription dérogatoire, les listes électorales auraient été, en quelque sorte, « figées » près de douze mois avant l'organisation des élections régionales. En outre, la loi ayant reporté la date des élections régionales n'est entrée en vigueur qu'en janvier 2015, c'est-à-dire après la clôture du délai d'inscription sur les listes électorales.

Cette situation serait d'autant plus inacceptable que de nombreux électeurs ayant déménagé durant l'été 2015 iront s'inscrire dans le courant du mois de septembre en s'attendant à pouvoir participer au scrutin de décembre. Ils ne comprendraient pas que cette possibilité leur soit refusée pour des motifs de calendrier d'inscription.

En conséquence, il nous est apparu nécessaire et urgent, à mes collègues du groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC) et à moi-même, d'adapter le calendrier d'inscription à la modification du calendrier électoral. La présente proposition de loi reprend la recommandation n° 1 du rapport de la mission d'information : il s'agit de prendre des dispositions exceptionnelles afin de tirer les conséquences du report des élections régionales à la fin de l'année. Les objectifs de ce texte sont – je le crois – partagés par tous les membres de notre Commission : permettre la participation du plus grand nombre aux élections et répondre ainsi à une exigence démocratique ; améliorer ponctuellement l'exercice du droit de vote et de la citoyenneté dans notre pays.

Nous proposons donc que l'inscription sur les listes électorales qui serviront lors des élections régionales de décembre 2015 soit possible jusqu'au 30 septembre 2015. Ainsi, toutes les demandes qui seront déposées d'ici à cette date seront prises en compte dans le cadre d'une révision « exceptionnelle » des listes électorales, conformément au premier alinéa de l'article 1er de la proposition de loi.

Ce dispositif ne remet évidemment pas en cause la sécurité de la procédure de révision des listes électorales : les conditions de forme et de fond nécessaires à l'inscription demeurent inchangées, de même que les règles relatives à l'établissement des listes électorales par les commissions administratives communales avec l'aide de l'INSEE et sous le contrôle du juge, ainsi que le précise le deuxième alinéa de l'article 1er.

Deux mois sépareront la clôture de ce nouveau délai d'inscription et l'entrée en vigueur des listes électorales ainsi révisées, comme c'est déjà le cas aujourd'hui. Ce délai est suffisant pour que les commissions de révision puissent instruire les demandes d'inscription et dresser les listes, mais aussi pour que les électeurs et le préfet puissent contester utilement ces opérations devant le juge compétent.

Pour le reste, la matière relevant largement de la compétence du pouvoir réglementaire, un décret en Conseil d'État apportera toutes les précisions nécessaires à la mise en oeuvre concrète de la procédure de révision exceptionnelle, ainsi que le prévoit l'article 2.

Au cours des auditions que j'ai menées, j'ai pu m'assurer que les principaux acteurs de la procédure – Association des maires de France (AMF), INSEE – seraient en mesure de s'adapter à cette nouvelle règle dans les délais impartis.

Cette proposition de loi répond à une exigence démocratique forte. Je vous invite donc à l'adopter, mes chers collègues, dans l'attente – je l'espère – d'une réforme plus globale de notre procédure d'inscription sur les listes électorales telle que M. Jean-Luc Warsmann et moi-même l'avons envisagée dans notre rapport d'information publié en décembre dernier.

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