La communication que je me propose de vous présenter ce matin, à la suite de la demande formulée par nos collègues au cours d'une réunion du bureau de notre commission, ne constitue ni un pré-rapport ni un rapport du Comité de suivi, lequel sera probablement remis en septembre.
Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement les quatre députés membres pour leur assiduité et leur très forte implication dans les travaux du Comité, qui comprend également quatre personnalités qualifiées nommées par le ministre de l'éducation nationale : Mme Béatrice Gille, rectrice de l'académie de Nancy-Metz, M. Khaled Bouabdallah, président de l'université de Saint-Étienne, Mme Viviane Bouysse, inspectrice générale de l'éducation nationale et M. Alain Bouvier, président du conseil de l'école supérieure du professorat et de l'éducation de l'académie de Créteil au sein de l'université Paris-XII. Le secrétariat général du Comité est assuré par Mme Virginie Gohin, ancienne cheffe du bureau de la formation des enseignants à la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), qui m'accompagne ce matin.
Je rappelle que l'esprit de la loi était de bâtir une école à la fois plus juste et plus exigeante pour chacun. C'est pourquoi elle est une loi de « refondation », c'est-à-dire qu'elle ne se contente pas de procéder à des aménagements par petites touches mais elle porte une réforme des fondations de notre Éducation nationale, en commençant par le commencement, la priorité donnée à l'école primaire. Cette ambition était nécessaire et urgente pour répondre aux deux défis majeurs de notre système scolaire : 150 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans qualification ni diplôme et 30 % des élèves sortent de l'école élémentaire sans maîtriser les fondamentaux.
La loi a donc souhaité donner la priorité à l'école primaire : cette ambition passe notamment par le dispositif « plus de maîtres que de classes » et par l'accueil en maternelle des enfants de moins de trois ans, qui s'applique en particulier dans les zones difficiles. Elle intègre aussi la réforme des rythmes scolaire, qui n'a pas été instituée par la loi, mais celle-ci l'a toutefois actée en créant le fonds d'amorçage au profit des communes, aujourd'hui pérennisé, qui l'accompagne. Je ne nie d'ailleurs pas les difficultés de mise en oeuvre de cette réforme, dont l'objectif commande de constater qu'elles se règlent toutefois ici ou là avec la bonne volonté des enseignants et des élus et qu'elles n'impliquent pas une contestation de son bien-fondé. Je rappelle à cet égard que sous la précédente législature, notre commission avait adopté à l'unanimité le rapport d'information que j'avais cosigné avec M. Xavier Breton et qui préconisait une telle réforme des rythmes scolaires. Enfin, la loi a prévu l'élaboration d'un nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture, une répartition des enseignements en cycles dépassant la simple annualité, la création d'un service public du numérique éducatif et la mise en place de projets éducatifs territoriaux. La loi, également de programmation, a aussi prévu des moyens pour accompagner la réforme avec un effort budgétaire particulier et sanctuarisé. Dans la lignée de ces mesures, la ministre de l'éducation nationale vient en outre d'annoncer la rénovation du collège unique, axée sur l'idée de renforcer la continuité éducative jusqu'à la fin de la troisième qui procède directement de la loi de refondation.
Les travaux du Comité de suivi se fondent d'une part sur des auditions, très approfondies car reposant sur des questionnaires particulièrement fouillés et précis envoyés aux personnes ou institutions auditionnées et se déroulant de manière non publique, ce qui permet une grande liberté de parole et de ton, et, d'autre part, sur de nombreuses visites sur site. Nous nous sommes ainsi rendus dans les académies de Lille, de Lyon et de Bordeaux. Au cours de ces visites, nous visitons généralement un collège, afin d'observer la mise en place du nouveau cycle commun CM1-CM2-sixième, une école élémentaire, afin d'y observer le fonctionnement du dispositif « plus de maîtres que de classes », et l'ESPE de l'académie, où nous rencontrons la direction, les enseignants et les stagiaires.
Notre état d'esprit est semblable à celui qui a présidé à la concertation de juillet 2012 préalable à l'élaboration de la loi. Nous sommes persuadés que les acteurs doivent s'approprier la réforme et nous sommes attachés à une vision dynamique de la loi. Cette dernière a en effet enclenché un mouvement, mais elle ne saurait répondre à elle seule à tous les problèmes. Dans cet esprit, en insistant sur l'école primaire, elle nous encourage plus tard à revenir sur la question du lycée. De même, nous pouvons nous apercevoir que tel ou tel dispositif n'est pas en phase avec la réalité pour pouvoir le faire évoluer ensuite par la loi ou le décret. Notre travail est donc plus un travail d'accompagnement que de suivi. C'est d'ailleurs pourquoi je vous encourage à nous faire remonter toutes difficultés d'application que vous pourriez constater dans vos circonscriptions ainsi que vos éventuelles suggestions d'amélioration.
J'en viens à présent à nos premiers constats. Pour les rythmes scolaires, comme je viens de l'indiquer, nous ne saurions nier ni les difficultés de mise en place ni le bien-fondé manifeste du principe même de la réforme. Le dispositif « plus de maîtres que de classes », réclamé de longue date par plusieurs organisations syndicales d'enseignants, est quant à lui extrêmement bien accueilli par les enseignants et les directeurs d'écoles qui font preuve d'une très grande mobilisation autour de l'objectif d'organiser le travail autrement et de transformer les pratiques pédagogiques au bénéfice des élèves.
La continuité éducative entre l'école et le collège avait été mise en oeuvre par certains collèges et certaines écoles élémentaires avant même l'adoption de la loi tant le besoin était fort en la matière. Or on constate que le dispositif fonctionne d'autant mieux que sa mise en place avait été anticipée. Des difficultés sont néanmoins observées dans la mise en place d'enseignements communs et de projets pédagogiques transversaux pour des raisons d'organisation qui peuvent notamment tenir à l'incompatibilité des emplois du temps et surtout aux distances géographiques entre les écoles et les collèges, mais aussi pour des raisons qui tiennent à la différence de culture entre le primaire et le secondaire que la formation en commun devrait atténuer avec le temps.
Le conseil supérieur des programmes (CSP), passés les soubresauts qui ont suivi son installation, a repris son travail d'élaboration des contenus. Les programmes de l'école maternelle sont aujourd'hui actés et ils ont été très bien reçus. Le socle commun a pour sa part été adopté à l'unanimité du conseil.
En parallèle, le service public du numérique éducatif s'installe progressivement. Je me souviens que nous avions tous partagé, au moment des débats sur le projet de loi, quelques doutes sur la nature et la forme précises que devait prendre ce service public. Sa mise en place rencontre elle-aussi des difficultés liées à en particulier à son caractère encore flou et aux inégalités de couverture numérique sur l'ensemble du territoire.
En ce qui concerne l'éducation prioritaire, dont la réforme ne figurait pas précisément dans la loi, je rappelle que la géographie prioritaire vient d'être remodelée, avec les problèmes que soulève toujours ce type de redécoupage. Ma conviction est cependant qu'elle se fait au plein bénéfice des élèves et des enseignants.
Enfin, j'en viens à ce qui va conditionner la réussite de la refondation, à savoir la formation professionnalisante des enseignants et de tous les personnels de l'éducation, qu'il s'agisse des personnels d'encadrement, des conseillers principaux d'éducation (CPE), des personnels de direction, voire des corps d'inspection, dont les ESPE ont la charge. La réforme que nous mettons en place repose sur la conviction que le métier d'enseignant est un métier particulier, et que ce métier s'apprend. Les ESPE ont pour mission de mieux professionnaliser cette formation mais aussi de transmettre une culture, une éthique de l'enseignement à l'heure où tout le monde s'accorde à reconnaître le rôle central de l'école dans la consolidation des valeurs de la République.
Les ESPE sont en voie de construction c'est pourquoi notre rôle à ce stade n'est pas tant de les contrôler ou de les évaluer que de les accompagner. La situation est très contrastée selon les cas. Il y a aujourd'hui trente ESPE en France, que nous allons visiter. Est actuellement envisagée la création d'un Comité des directeurs d'ESPE qui pourrait utilement confronter leurs expériences. Des ESPE mettent en place des équipes pluridisciplinaires au sein desquelles les maîtres sur le terrain participent à la formation des futurs enseignants. Force est de constater que la relation avec le monde universitaire est souvent difficile et marquée par une certaine incompréhension entre présidents d'universités, présidents d'unités de formation et de recherche (UFR) et directeurs d'ESPE, en ce qui concerne notamment la notion de budget de projet, dont je reconnais qu'elle peut parfois poser problème. Au-delà de ces difficultés de mise en place, je note une conscience commune de l'importance que revêt le succès de la mise en place des ESPE.
Par ailleurs, nous constatons que les enseignants stagiaires rencontrent des difficultés réelles pour gérer leur emploi du temps. Ils doivent, en effet, à la fois faire un stage, en assumant la responsabilité d'une classe à temps partiel et rédiger un mémoire de master. Cette situation nous impose de réfléchir à la nature du concours et à celle des modalités de professionnalisation du métier d'enseignant.
Je souhaiterais en conclusion vous détailler quelques points de vigilance qui me semblent devoir recueillir notre attention.
Le premier concerne la priorité accordée au primaire. Ces premières années de scolarité doivent être un lieu d'acquisition des fondamentaux, selon la formule que Jules Ferry qui rappelait qu'il s'agit de « savoir lire, écrire, compter », la légende lui prêtant même le complément « et de voter républicain ». Ces principes demeurent toujours aussi fondamentaux, jusqu'à l'enseignement des valeurs républicaines auxquelles l'actualité a donné une nouvelle acuité. Notre défi est dès lors de réfléchir aux pratiques pédagogiques permettant de garantir que la priorité donnée au primaire assurera la maîtrise de ces compétences incontournables.
Le second point de vigilance est lié aux structures administratives. Celles-ci n'ont pas évolué depuis des décennies, bien qu'elles ne correspondent plus à l'objectif de la loi qui est de faire du primaire un échelon prioritaire. Il me semble qu'il faudrait qu'une administration unique gère le primaire.
Le troisième défi est de parvenir à valoriser l'établissement comme lieu décisif d'application de la loi. Je pense que nous sommes ici tous d'accord en effet pour considérer que les établissements doivent être tout à la fois des lieux de vie, de transmission des savoirs et de formation.
Le quatrième point de vigilance concerne la gestion par l'administration de l'Éducation nationale de ses agents. Plus que jamais, cette institution doit mettre en place une véritable politique des ressources humaines qui lui manque trop souvent.
La formation continue des enseignants doit constituer un cinquième point de vigilance. Pour l'instant, seule la formation initiale fait l'objet d'une organisation progressive, tandis que la formation continue, pourtant essentielle et réclamée par tant de professeurs, demeure très perfectible. De manière générale, je considère que la formation doit être mieux adossée à la recherche, en particulier dans le domaine de la pédagogie. Le Comité a ainsi auditionné deux chercheurs en techniques cognitives dont les conclusions étaient passionnantes et mériteraient amplement d'être mises au service de tous les enseignants.
Enfin, un dernier point de vigilance ressortit de l'organisation des interventions des acteurs publics. Pour réussir la refondation, il me semble que les échelons décisifs d'appropriation doivent être les établissements et les bassins d'éducation, tandis que les corps intermédiaires doivent acquérir un caractère plus opérationnel. Quelles que soient les opinions sur la loi de refondation de l'école, nous avons tous pu constater l'extraordinaire implication et l'enthousiasme des personnels sur le terrain. Or, les courroies de transmission entre le sommet et la base ne sont pas toujours efficientes. Il faut mettre en place une structure plus décentralisée et plus déconcentrée.
Soyez assurés que nous demeurerons très concentrés sur tous ces sujets, en veillant à entretenir l'excellente ambiance qui préside aux travaux du Comité et qui rappelle qu'au-delà de nos divergences politiques, l'école est notre plus précieux bien commun.