Le sujet qui nous réunit aujourd'hui est de ceux qui transcendent les clivages politiques. Chacune et chacun d'entre nous a très certainement vécu une expérience personnelle d'engagement bénévole dans le monde associatif ou dans un autre cadre. Pour certains, le bénévolat est même une porte d'entrée dans la vie publique. Nous sommes donc tous bien placés pour connaître l'utilité, l'intérêt et la nécessité du bénévolat.
Il n'y a d'ailleurs pas une seule manifestation, dans nos circonscriptions, où nous nous rendons sans avoir l'occasion de remercier ou de féliciter des bénévoles.
Il n'existe pas de définition légale ou conventionnelle du bénévolat. Selon l'appréciation qu'en a donnée le Conseil économique et social dans son avis du 24 février 1993, « le bénévole est celui qui s'engage librement pour mener à bien une action non salariée, non soumise à l'obligation de la loi, en dehors de son temps professionnel et familial ».
Sur la base des dernières données disponibles, on dénombre actuellement quelque 16 millions de bénévoles en France. Depuis 1999, le volume d'heures consacrées à des activités non rétribuées a augmenté chaque année de 5 %. Selon l'INSEE, le bénévolat représenterait ainsi plus de 1,3 milliard d'heures d'intervention par an. La valorisation de ces heures effectuées atteint la fourchette de 12 à 17 milliards d'euros, soit 1 % du produit intérieur brut.
Les secteurs d'activité bénéficiant le plus du concours des bénévoles sont très majoritairement orientés vers le sport (23 %), la culture (15 %), les loisirs (15 %) et l'action sociale, la santé et l'humanitaire (10 %). Cette répartition n'a rien de surprenant dans la mesure où elle correspond assez fidèlement au profil des associations les plus nombreuses en France. Le bénévolat y pèse quelque 935 000 emplois équivalents temps plein.
La France se situe dans la moyenne européenne, avec 37 % de bénévoles parmi les plus de quinze ans – ce qui la place au dixième rang sur vingt-sept – et 26 % de bénévoles au sein de la population adulte. Ce résultat est certes satisfaisant, mais appelle de la part des pouvoirs publics une certaine vigilance, car le dynamisme du bénévolat est par nature fragile.
En effet, les jeunes générations semblent moins enclines que par le passé au bénévolat – seuls 29 % des jeunes de quinze à vingt-quatre ans s'engageant à des titres plus ou moins directement bénévoles –, alors que cette proportion atteint 45 % chez les plus de cinquante ans, et 51 % chez les retraités, selon l'enquête France Bénévolat-IFOP de 2010. Ainsi, le renouvellement des bénévoles actifs constitue un réel défi.
En outre, les caractéristiques intrinsèques du bénévolat rendent la « fidélisation » des bénévoles assez difficile. L'extrême liberté laissée à l'engagement peut conduire les intéressés à abandonner sans préavis. Il existe d'ailleurs un certain niveau de rotation des bénévoles, de l'ordre de 20 %, dont les causes, multiples, ont souvent trait au manque de temps laissé par la vie professionnelle et familiale.
Ce constat rend d'autant plus remarquables les engagements bénévoles qui s'inscrivent dans une durée assez longue. La volonté de les reconnaître plus solennellement, comme le prévoit le texte que j'ai déposé le 26 septembre dernier sur le Bureau de notre Assemblée et dont nous débattons ce matin, prend ainsi tout son sens.
Chacun d'entre nous en conviendra : le bénévolat est insuffisamment reconnu dans notre pays. Il est vrai que, parmi les motivations des bénévoles, ne figure pas la recherche d'honneurs ou de gratifications. Il n'en demeure pas moins que leur apport au vivre-ensemble est essentiel et que, faute d'être mis en exergue, il pourrait finir par se tarir.
Aucune des différentes catégories de médailles officielles civiles ne permet de reconnaître l'engagement bénévole. Certes, des bénévoles figurent régulièrement dans les promotions des ordres nationaux de la Légion d'honneur ou du Mérite, notamment sur proposition du ministre chargé de la vie associative, mais ce sont le plus souvent des responsables associatifs, plutôt que des anonymes plus proches des réalités concrètes, même si une instruction du Premier ministre datant du 24 septembre 2008 a quelque peu infléchi, à la demande du Président de la République d'alors, les choix ministériels afin de favoriser une meilleure représentativité des promotions à ces deux ordres.
Quant à la médaille d'honneur de la jeunesse et des sports, elle permet de reconnaître davantage les bénévoles associatifs. Néanmoins, elle s'adresse essentiellement à celles et ceux qui agissent dans le cadre d'associations sportives ou d'éducation populaire, et non à l'ensemble des bénévoles.
Restent les récompenses décernées par des entités de droit privé, fondations et associations notamment. Parmi ces médailles non officielles figurent les Palmes du bénévolat, créées en décembre 2000 par la Fondation du bénévolat, présidée par M. Bernard Marie et reconnue d'utilité publique par décret du 5 mai 1995. Quelque 350 distinctions sont ainsi attribuées chaque année, sur proposition des maires ou de responsables associatifs, à des bénévoles particulièrement méritants, justifiant d'un certain nombre d'années passées au service des autres. Il n'en reste pas moins que ces Palmes du bénévolat ne constituent pas une récompense officielle.
La proposition de loi que j'ai l'honneur de rapporter devant vous vise à remédier à ce qui me semble constituer une carence et, pour tout dire, une injustice flagrante pour la très grande majorité des bénévoles qui donnent de leur énergie et de leur temps à la collectivité. Elle instaure, en son article 1er, une médaille d'honneur spécifique, comme il en existe actuellement une trentaine.
Depuis les années 1980, de nombreux parlementaires se sont interrogés, soit par voie de questions écrites, soit par le dépôt de propositions de loi, sur l'opportunité d'instituer une telle distinction. Il a toujours été répondu que le monde bénévole n'attendait pas un tel geste. Nul ne peut nier cependant qu'une récompense symbolique et officielle de l'engagement bénévole aurait valeur d'exemplarité et de reconnaissance collective à l'égard de ceux qui contribuent, au quotidien, à la vie associative, sociale, publique et même économique de notre pays. Je pense particulièrement aux sans-grades, à ceux qui oeuvrent dans l'ombre, comme les personnes qui font depuis vingt ou trente ans le ménage dans les salles des Restos du Coeur, qui méritent toute notre reconnaissance et à qui l'on ne peut décerner une manifestation de cette reconnaissance.
Le dispositif retenu s'inspire du cadre existant pour les autres médailles civiles officielles, notamment de l'une des plus décernées, la médaille d'honneur du travail. La médaille d'honneur du bénévolat viserait ainsi à récompenser tout à la fois l'ancienneté des services honorables effectués à titre bénévole et la qualité exceptionnelle des initiatives prises à titre bénévole. Elle serait décernée, sans considération de nationalité, sous la forme de quatre échelons qui récompenseraient des durées passées au service des autres oscillant de vingt à trente-cinq ans. Sur ce dernier point, toutefois, il me semble qu'un raccourcissement s'impose pour mieux tenir compte de la spécificité du bénévolat, le parallèle avec la médaille d'honneur du travail étant sans doute inadapté. Je présenterai donc un amendement en ce sens.
L'autorité compétente pour attribuer la médaille d'honneur du bénévolat serait le ministre chargé de la vie associative, qui désignerait par arrêté deux promotions, à l'occasion des 1er janvier et 14 juillet de chaque année. Les préfets joueraient, eux aussi, un rôle décisionnel, sur délégation ministérielle.
Je n'ignore pas que le support législatif pour instituer cette nouvelle médaille d'honneur peut donner lieu à débat, car la plupart des médailles officielles actuelles reposent sur un fondement réglementaire. J'estime néanmoins que l'on ne peut dénier au Parlement toute capacité d'initiative en la matière. Certaines médailles officielles ont d'ailleurs été créées par le législateur, à l'instar de la médaille d'honneur des eaux et forêts, par la loi du 21 janvier 1910, de la médaille d'honneur des sociétés musicales et chorales, par la loi du 24 juillet 1924, ou encore de la médaille d'honneur des sapeurs-pompiers par la loi du 22 décembre 1937.
En outre, bien que l'article 34 de la Constitution énumère limitativement les différents aspects relevant du domaine de la loi, les empiétements du Parlement sur le domaine réglementaire ne sont pas rares. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, issue de sa décision du 30 juillet 1982 sur la loi sur les prix et les revenus, autorise d'ailleurs ces situations en écartant, pour toute disposition réglementaire contenue dans une loi, tout motif d'inconstitutionnalité exclusivement fondé sur la violation des articles 34 et 37 de la Constitution.
Enfin, le Parlement a vu son rôle profondément évoluer à la suite de la révision constitutionnelle adoptée par le Congrès le 21 juillet 2008. Grâce à une meilleure répartition de l'ordre du jour ou à l'extension de nos pouvoirs de contrôle, une place plus importante a été accordée à nos initiatives, ce qui traduit le souhait du pouvoir constituant de donner davantage de poids aux propositions des parlementaires, en phase avec les réalités de terrain.
En tout état de cause, en adoptant cette proposition de loi, la Commission des affaires culturelles et de l'éducation adresserait un signal important à l'exécutif, appelé, à son tour, à prendre des initiatives fortes. Le Parlement est en droit de manifester sa volonté de changement. La discussion de ce texte nous en offre l'occasion.
J'ai cru comprendre que certains députés de la majorité siégeant dans cette Commission partagent l'objectif poursuivi par ma proposition de loi. Je suis persuadé qu'un consensus peut se dégager aujourd'hui sur la nécessité d'avancer, quitte à revoir notre position en cas d'engagement gouvernemental en séance. Cette éventualité m'apparaît hautement souhaitable, afin de montrer la considération que la représentation nationale accorde à des femmes et à des hommes qui sont des modèles d'altruisme et de générosité.