Intervention de Pierre Léautey

Réunion du 28 novembre 2012 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Léautey :

Nous partageons avec nos collègues de l'opposition le souci de défendre et de promouvoir l'engagement bénévole et le monde associatif, qui apportent une importante contribution à la vie démocratique, à la construction du lien social et à la création de richesses, qui permettent notamment de conserver hors du champ du secteur marchand nombre d'activités dans les domaines du sport, de la culture, des solidarités ou des loisirs. Aujourd'hui, au même titre que tous les acteurs de la société, les associations connaissent une conjoncture difficile. Il convient donc de soutenir le développement de la vie associative, comme le fait le Gouvernement, au travers du financement de têtes de réseaux, de la formation des bénévoles, ou encore des projets associatifs, par le biais de la création d'emplois associatifs qualifiés.

Mais il faut aussi aller plus loin. Si nous sommes tous d'accord pour honorer les bénévoles, il apparaît que la création d'une médaille d'honneur du bénévolat est finalement une fausse bonne idée. Il est vrai que la symbolique est importante, voire nécessaire, dans la reconnaissance de l'engagement bénévole, mais il existe déjà un grand nombre de décorations civiles et cette initiative reste trop limitée et insuffisante au regard de la reconnaissance et des moyens qui doivent être accordés aux bénévoles pour leur permettre d'accomplir dans de bonnes conditions leur engagement associatif.

En outre, nous nous demandons pourquoi l'opposition propose aujourd'hui un tel texte, après avoir fait si peu de cas du monde associatif pendant dix ans. Sans doute répondra-t-on qu'une promotion du bénévolat associatif dans la Légion d'honneur et dans l'ordre national du Mérite a été créée en 2008 sur décision du Président de la République. Mais, là encore, nous sommes dans le symbolique. La réalité de votre bilan, c'est une baisse de 36 % des crédits alloués aux réseaux associatifs dans le domaine de la jeunesse et de l'éducation populaire entre 2008 et 2012. Et c'est plus globalement un certain mépris à l'égard des corps intermédiaires, en particulier des associations, bien mal traitées ces dix dernières années.

Est-il donc vraiment opportun de créer cette médaille d'honneur du bénévolat ? N'y a-t-il pas de meilleures réponses à apporter aux très fortes attentes des bénévoles et du monde associatif ? Certes, une forme de reconnaissance du bénévolat est indispensable, mais, pour les associations et leurs membres, elle ne passe pas uniquement par une distinction honorifique. Le bénévolat, c'est avant tout une action, souvent à plusieurs, avec la volonté de porter collectivement un projet. La reconnaissance de l'engagement bénévole se joue d'abord au sein de l'association.

De même, la reconnaissance de l'action bénévole ne peut se traduire exclusivement par des critères d'ancienneté, comme le propose ce texte, car cela ne permet pas de valoriser l'engagement des jeunes, par exemple, qui sont le plus à même d'être stimulés par une reconnaissance de leur investissement personnel. L'obtention d'une distinction honorifique ne peut être mécaniquement liée au nombre d'années passées au sein d'une association. D'autres critères doivent être retenus, comme la qualité de l'investissement, sachant qu'un parcours associatif n'est jamais complètement linéaire et qu'il existe des temps d'investissement différents en fonction de l'âge et de la disponibilité.

De plus, il existe déjà diverses distinctions honorifiques pour les bénévoles, réparties en trois grandes familles ; les ordres nationaux, dont l'ordre national de la Légion d'honneur et l'ordre national du Mérite avec, pour le bénévolat, une promotion du bénévolat associatif ; les ordres ministériels ; les médailles d'honneur, au nombre de vingt-deux, qui s'attachent à un secteur d'activité particulier ou à une administration, trois d'entre elles valorisant des qualités personnelles pour acte de courage et de dévouement – médaille d'honneur du travail, médaille de la famille, médaille d'honneur de la santé et des affaires sociales.

La médaille de la jeunesse et des sports, instaurée par le décret du 14 octobre 1969, est destinée à récompenser les personnes qui se sont distinguées d'une manière particulièrement honorable au service de l'éducation physique et des sports, des mouvements de jeunesse et des activités socio-éducatives, des colonies de vacances et oeuvres de plein air, et de toutes les activités se rattachant aux catégories définies ci-dessus. L'association française des médaillés de la jeunesse et des sports comprend aujourd'hui environ 17 000 licenciés, avec une faible proportion de femmes, au nombre de 2 900. La médaille comporte trois grades : bronze pour huit années de bénévolat, argent pour douze années, et or pour vingt années de bénévolat.

L'instruction est essentiellement déconcentrée : elle est assurée par les directions départementales de la jeunesse et des sports, sous l'autorité des préfets, qui disposent d'un contingent par promotion. Ils décident seuls pour le premier grade et transmettent les autres candidatures au ministère, avec un avis circonstancié.

Une circulaire annuelle aux préfets trace les orientations et priorités du ministère, après avis d'un comité consultatif national des médaillés. La récente circulaire du 12 août 2012 mentionne ainsi une règle de parité et ouvre déjà en partie le champ des activités, en indiquant : « Vos prochaines propositions devront comporter des candidatures relevant du domaine sportif, mais également tenir compte, tout particulièrement, de celles émanant du secteur de la jeunesse et des activités socio-éducatives. Ce rééquilibrage permettra ainsi de distinguer par cette décoration des dirigeants associatifs, des animateurs, des directeurs de centres de vacances et des responsables de chantiers de jeunes ».

Au-delà de l'opportunité même d'une médaille du bénévolat, la proposition de loi pose un problème d'ordre juridique puisque la création d'une nouvelle décoration nationale, aussi bien que l'élargissement du champ d'une décoration, relève par nature du domaine réglementaire, quel que soit le type de la décoration. Toute création prend ainsi la forme d'un décret simple : rien n'impose de le soumettre au Conseil d'État ou de l'adopter en conseil des ministres. En revanche, le grand chancelier de l'ordre national de la Légion d'honneur, garant de la cohérence du dispositif national des décorations civiles et militaires, doit être préalablement consulté en vertu de l'article R. 117 du code de la Légion d'honneur et de la médaille militaire.

Aussi le vecteur inhabituel d'une proposition de loi conduirait-il à court-circuiter la grande chancellerie et il ne fait guère de doute que son avis serait réservé, non seulement du fait de l'empiétement du Parlement sur les pouvoirs propres du Gouvernement, mais aussi vraisemblablement sur le fond.

Enfin, plus généralement, instaurer une simple médaille serait réducteur vis-à-vis de l'engagement bénévole, d'autant que le Gouvernement a donné un certain nombre de garanties quant au projet politique global qu'il souhaite conduire en la matière. En effet, la ministre s'est déjà engagée à plusieurs reprises à étendre le périmètre de la médaille de la jeunesse et des sports à l'ensemble des acteurs de la vie associative, mais elle souhaite inscrire cette mesure dans un projet gouvernemental de portée plus large et plus globale.

Dans les mois à venir, un congé d'engagement bénévole à destination des actifs pourrait être mis en place. Ce congé devrait contribuer à développer le bénévolat et donner les moyens à ceux qui souhaitent s'y investir, ou qui exercent déjà des responsabilités associatives, de le faire dans de bonnes conditions. L'idée serait un capital temps attaché à une personne qui pourrait ainsi utiliser un certain nombre de jours par an pour exercer des responsabilités associatives. La nature de ce congé serait analogue au congé de représentation.

De même, les outils déjà existants, en particulier la validation des acquis de l'expérience (VAE) dans le cadre du bénévolat, devraient être davantage promus et simplifiés, afin d'en garantir l'accès au plus grand nombre. Une réflexion sera également engagée sur les leviers et les freins à l'engagement.

En matière de vie associative, la politique du Gouvernement est construite sur le développement de relations fondées sur le partenariat et la concertation avec l'ensemble des composantes associatives.

Par ailleurs, d'autres chantiers très attendus par le secteur associatif sont en cours, comme celui sur la sécurisation des modalités de contractualisation entre la puissance publique et les associations. À cet égard, le ministère des sports et le ministère de l'économie sociale et solidaire viennent d'ouvrir un chantier visant à remettre à plat les modalités de contractualisation État-collectivités-associations.

Ce chantier, qui fera d'abord l'objet d'une concertation interministérielle approfondie, puis d'une concertation avec les collectivités territoriales et le secteur associatif, pourrait déboucher sur l'adoption de dispositions législatives dans le cadre du projet de loi sur l'économie sociale et solidaire.

Dans le courant de l'année 2013, le Gouvernement prendra également l'initiative d'une charte commune entre l'État, les associations et les collectivités, dans la continuité de la charte des engagements réciproques, signée entre l'État et le secteur associatif en 2001 sous le gouvernement de Lionel Jospin. Cette nouvelle charte fixera les conditions du partenariat entre l'État et le monde associatif : elle sera, en quelque sorte, la « boussole » de l'action gouvernementale dans sa relation avec le monde associatif. Il s'agit donc de la réactiver.

En résumé, cette proposition de loi apparaît inopportune pour deux raisons : d'une part, la création ou la modification d'une médaille relève du domaine réglementaire et non législatif ; d'autre part, Mme la ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative s'est d'ores et déjà engagée à étendre le périmètre de la médaille de la jeunesse et des sports à l'ensemble du secteur associatif. Ainsi, c'est bien un projet de portée plus large et plus globale qui répondra aux besoins des bénévoles et du monde associatif. Le Gouvernement travaille en ce sens.

Telles sont, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles le groupe SRC vous demande de voter contre cette proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion