Intervention de Christian Garnier

Réunion du 17 mars 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Christian Garnier, représentant de la CGT chez Alstom Transport :

Coordinateur de la CGT pour le groupe Alstom et délégué syndical central d'Alstom Transport, je suis rattaché au site de Saint-Ouen.

Le 25 avril dernier, au cours d'un comité de groupe européen, notre P-DG signifiait à l'ensemble de la représentation européenne qu'il n'avait aucune annonce fracassante à nous faire. Trois jours après, il convoquait pourtant son conseil d'administration pour lui faire entériner la vente de l'activité Energie d'Alstom à General Electric. C'est dire que dans l'intervalle il avait dû se passer beaucoup de choses…

Depuis le début de cette affaire, les représentants des salariés et des organisations syndicales ont été sciemment tenus à l'écart. Ce manque de transparence nous a conduits, en juin, à assigner en justice, avec nos collègues de Force Ouvrière, la direction d'Alstom, qui n'avait toujours pas informé ni consulté les instances représentatives du personnel sur ses projets, et qui, à l'issue de l'audience, s'est empressée de convoquer tous les comités centraux d'entreprises pour leur fournir enfin quelques informations.

Nous avons par ailleurs sollicité le ministère. Le ministre de l'époque nous a reçu à deux reprises ; ce n'est malheureusement pas le cas de l'actuel ministre. Il s'agissait pour nous de défendre un plan, le « plan C », permettant au groupe Alstom de rester un fleuron de l'industrie française, avec ses atouts, ses savoir-faire, ses technologies, ses salariés et l'ensemble de ses établissements. Que ce soit bien clair en effet : il n'est pas question pour la CGT d'exprimer une préférence entre General Electric et Siemens, allié depuis à Mitsubishi. Qu'il soit américain, allemand ou japonais, nous ne voulons d'aucun prédateur pour le groupe Alstom, dont nous considérons qu'il s'est construit et se construit encore aujourd'hui avec de l'argent public. Ce sont en effet les grandes entreprises publiques, voire l'État lui-même et les régions pour ce qui concerne l'activité ferroviaire, qui passent commande à l'entreprise.

Je rappelle qu'Alstom est un groupe solide, qui peut compter sur un carnet de commandes de 54 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien, et peut se prévaloir pour l'an dernier d'un résultat opérationnel supérieur à 1,5 milliard d'euros. À ces atouts, il convient d'ajouter des compétences et des savoir-faire reconnus dans le monde entier, que ce soit dans le domaine de l'énergie ou dans le secteur ferroviaire. Dans ces conditions, nous attendons toujours de la direction une explication plausible à cette vente, qui reste à nos yeux incompréhensible.

Certes, nous avons appris que le groupe avait été condamné pour corruption aux États-Unis à une modique amende de 600 millions d'euros, que le groupe, et donc les salariés, vont devoir payer. D'où notre colère. Mais les explications qui nous ont été données ne sont pas celles-là. On nous a plutôt fait état d'un taux d'endettement insupportable pour le groupe. Certes, mais ni les salariés ni les organisations syndicales ne sont responsables des choix d'endettement des dirigeants actuels d'Alstom, qui ont racheté à Areva ce qu'ils lui avaient vendu en 2004. Je rappelle en effet qu'en 2004, dans le cadre de ce qui a pompeusement été appelé un plan de sauvetage mais s'est néanmoins traduit par la suppression de 11 500 emplois et le transfert de 10 % du carnet de commandes à la concurrence, l'État est entré au capital d'Alstom, lui imposant de céder à Areva ses transformateurs. Est-ce par esprit de revanche, toujours est-il que le même P-DG décidait en 2010 de racheter à Areva la moitié de ce qu'il avait vendu 800 millions d'euros, pour un montant de 2,2 milliards d'euros, financés par des emprunts obligataires.

Il a donc été décidé de vendre la branche Énergie, alors qu'on nous avait informé dès février 2014 qu'il était envisagé de se séparer de la branche Transports, en l'introduisant de manière autonome en bourse pour en céder 30 % du capital et engranger ainsi 2 milliards d'euros. Qu'elle n'a donc pas été notre surprise lorsque nous avons appris par une dépêche de l'agence Bloomberg que c'était en réalité la branche Énergie, soit 70 % des activités d'Alstom, qui allait être cédée. Nous n'avons rien contre les Américains, mais la GCT s'interroge sur le fait de voir notre indépendance énergétique dépendre désormais de capitaux étrangers.

C'est la raison pour laquelle nous avions proposé à Arnaud Montebourg une solution reposant sur une augmentation du capital de 1 milliard d'euros, grâce à une prise de participation supplémentaire de l'État. Cela aurait donné des marges de manoeuvre au groupe pour renégocier ses emprunts, dont je tiens à souligner l'extravagance puisque le dernier emprunt obligataire de 500 millions d'euros a servi à payer les dividendes, sans qu'un centime ait été investi dans les établissements. Par ailleurs, l'apport de 1,2 milliard d'euros de disponibilités financières supplémentaires aurait permis au groupe de renégocier sa dette, laquelle serait passée de 38 % à 18 % du chiffre d'affaires, ce qui est très raisonnable. C'était une manière pour l'État de prendre ses responsabilités en garantissant la maîtrise publique du secteur énergétique – qui, au-delà du nucléaire, concerne également le développement de l'éolien et de l'hydrolien – mais également du domaine ferroviaire et notamment du fret, activité qui concourre, nous semble-t-il, à l'aménagement du territoire.

Mais il n'y a derrière la vente – la braderie, devrions-nous dire – de la branche Énergie à General Electric aucune stratégie industrielle : ce n'est qu'une opération politico-financière, et je pèse mes mots. Sans doute M. Patrick Kron pensait-il qu'à l'issue du deal General Electric paierait l'amende de 600 millions d'euros négociée avec la justice américaine, mais il s'avère que c'est bien Alstom qui va payer.

Ayant décidé de céder l'intégralité des activités Énergie d'Alstom à General Electric, qui va créer trois filiales, notre P-DG nous parle de coentreprises : à nos yeux, il s'agit purement et simplement d'un rachat ! Comme le ridicule ne tue pas, il veut nous démontrer qu'il s'agit bien d'une alliance, en expliquant que l'on nommera des P-DG français. Oui, les P-DG seront français, mais le capital sera détenu par GE, qui décidera donc des orientations stratégiques, économiques et sociales.

Quant aux 2,5 milliards d'euros qu'Alstom va investir dans GE, on nous les présente comme un placement de bon père de famille puisqu'ils sont garantis trois ans et que, à l'issue de cette période, quelles que soient les conditions économiques et le développement de ces trois filiales, Alstom aura l'assurance de récupérer ses billes. Cela nous laisse sans voix.

D'autant que le nouvel Alstom, c'est-à-dire Alstom Transport, risque de se trouver fragilisé par cette cession. On nous a annoncé un prix de vente de 12,35 milliards d'euros, ce qui est très éloigné de la vérité : de ces 12,35 milliards il faut en effet retrancher 1,9 milliard de trésorerie apporté à GE avec les activités cédées, ainsi que les 2,5 milliards d'euros qui vont être investis dans les filiales. Qui plus est, Alstom va racheter les activités de signalisation de GE pour 600 millions d'euros, sans parler de la récompense promise aux actionnaires pour cette belle opération, à hauteur de 3,8 milliards d'euros : autant faire de ses milliards un beau tas de billets et y mettre le feu ! Les termes de cette transaction sont pour nous inadmissibles et ne donneront certainement pas les moyens au futur Alstom de se développer comme on nous le présente.

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