Nous avons évoqué le « plan C » avec M. Montebourg, alors ministre en charge du dossier. Ce plan prévoyait un adossement à certains grands groupes, mais aussi une prise de participation de l'État. Celui-ci, à mon sens, n'a pas été au bout de sa démarche. En 2004, il était intervenu à hauteur de 800 millions d'euros, engrangeant deux ans plus tard 2,3 milliards avec la revente de ses parts : nous parlons d'un rendement supérieur à celui d'un livret de Caisse d'épargne… Il ne s'agissait donc pas, pour l'État, de jeter l'argent par les fenêtres mais d'investir dans une société dont la situation, aux dires mêmes de M. Kron, est saine à court et moyen terme. Les seuls problèmes qui se posaient concernaient, d'une part, les turbines à gaz et, de l'autre, le manque de « cash » lié au rachat du pôle grid d'Areva ; mais c'était seulement un mauvais passage que l'on pouvait surmonter par des arrangements appropriés.
Les 4 millions touchés par M. Kron ne me choquent pas outre mesure : après tout, ils correspondent aux droits prévus par le code du travail. Que les actionnaires prennent leur part ; que 2 000 personnes se distribuent 60 millions d'euros, pourquoi pas. Mais jamais l'on a évoqué l'avenir des salariés ; or l'an dernier les salaires au sein du groupe, en France, n'ont augmenté que de 1 %, et ont même stagné pour les cadres. Parmi les non-cadres, on est allé jusqu'à inventer une expression, le « zéro économique » ; autrement dit, puisque vous avez bien travaillé, vous ne recevrez rien – est-ce à dire que les autres verraient leur rémunération diminuer ?...
La culture d'entreprise est pourtant forte chez les salariés, dont certains ont été employés de génération en génération. Nous n'aimons pas voir partir ainsi le nom de notre entreprise, sans parler du jugement que nous pouvons avoir en tant que citoyens, Alstom étant un fleuron de notre industrie dans des secteurs vitaux pour l'État, l'énergie, mais aussi les transports.
Le CCE a été consulté sur la charte en vue du Forum européen, mais seulement le 28 février. Or certains clients, qui veulent savoir à qui ils achèteront leurs centrales, retiennent leur signature, si bien que les pertes de cash ont été lourdes.
Quant à la propriété intellectuelle, je ne connaissais pas la clause évoquée. Je rappelle néanmoins que c'est Alstom Switzerland, société suisse, qui détient les droits de propriété intellectuelle sur la turbine Arabelle ; de sorte que la joint-venture d'Alstom créée en Russie a dû racheter une partie de ces droits.
Pour les sous-traitants, la mode est aux achats dans les pays à bas coûts : travaillant moi-même au sein du service de sourcing, je suis conduit à chercher des fournisseurs en Pologne ou en Chine, laquelle a cependant perdu son attractivité en raison de la parité du dollar. Récemment j'ai ainsi passé commande, aux Pays-Bas, de matériels vendus moins chers qu'en Chine, avec un risque industriel de surcroît moindre. Les achats de proximité ont mauvaise réputation ; mais acheter en Chine ou en Inde comporte des risques, il ne faut pas l'oublier : au final, cela ne fait sans doute pas gagner d'argent. La direction veut délocaliser en Pologne la fabrication des petits alternateurs, aujourd'hui fabriqués à Belfort. Des chiffrages ont été réalisés, mais l'on peut s'interroger sur leur vérité : sans frais à bord, les prix français sont plus compétitifs – vérité qui n'est pas bonne à dire au vu de décisions plus politiques qu'économiques.
Quoi qu'il en soit, General Electric a déboursé 12,35 milliards d'euros dans l'opération ; le dossier a été médiatisé et des joint-ventures ont été créées. Mais tout cela relève de la communication car, en réalité, il s'agit d'une vente en deux temps : une première partie aujourd'hui ; une seconde dans trois ans. Alstom aura alors disparu : il ne restera que General Electric.