Intervention de Michel Sapin

Réunion du 18 mars 2015 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics :

Il est en effet opportun, monsieur le président, que je m'exprime devant vous aujourd'hui, puisque la Commission européenne a adopté une nouvelle recommandation concernant la France dont il est important que nous examinions ensemble le contenu.

Pour dire les choses simplement, je constate une très grande convergence entre ces recommandations et les mesures que le Parlement a adoptées en décembre dernier. Nous avions en effet souhaité que le rythme de réduction des déficits tienne compte de la très faible croissance et de sa reprise en 2015. Or, la nouvelle trajectoire préconisée par la Commission correspond, à quelques pouillèmes près sans signification politique, à celle que vous avez adoptée dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014.

Je me félicite d'autant plus de cette convergence des souhaits français et des décisions européennes qu'elle peut être observée dans d'autres domaines. Ainsi, les décisions prises par la Banque centrale européenne depuis l'été dernier correspondent à notre voeu, exprimé l'an dernier, que l'euro retrouve un cours plus conforme à sa valeur réelle par rapport aux autres monnaies, en particulier le dollar, et que la politique de baisse des taux d'intérêt se poursuive. Nous avions également souhaité que l'investissement, en particulier privé, puisse être encouragé, notamment au plan européen ; le plan Juncker s'inscrit dans cette perspective.

Les résultats définitifs de l'année 2014, qui ne seront connus que le 26 mars, comportent deux éléments très importants.

Le premier est le niveau des déficits publics. À cet égard, nous avons d'ores et déjà deux bonnes nouvelles, puisque tant le niveau global du déficit des comptes de l'État que le déficit de la plupart des comptes sociaux sont inférieurs à nos prévisions. Il nous manque encore quelques données, concernant notamment les collectivités locales, pour connaître le résultat exact de 2014, mais la situation s'annonce meilleure que la prévision que j'avais faite l'été dernier d'un déficit s'établissant à 4,4 %. Vous comprendrez que je ne puisse pas, pour l'instant, être plus précis.

Le contenu de l'exécution est également très important en ce qu'il nous permettra de distinguer les mesures qui ont un effet pérenne de celles qui n'ont eu qu'un effet ponctuel, et d'en tirer les conséquences pour nos prévisions concernant 2015. Il nous faudra donc, monsieur le président organiser une nouvelle rencontre dans le cadre de la présentation du programme de stabilité, car, à ce stade, je manque d'informations pour répondre à certaines des questions que vous m'avez adressées, avec la Rapporteure générale, en préalable à cette audition.

La question de l'inflation est décisive. En effet, en 2014, la croissance fut, certes, plus faible que ne l'avaient prévu l'ensemble des observateurs – 0,4 % contre 1 % –, mais l'élément le plus brutal fut une inflation extrêmement faible, voire négative pour l'année passée, de février à février. Du reste, la prévision pour 2015 est, non plus de 0,9 % – hypothèse retenue dans le projet de loi de finances –, mais de 0 %, conformément aux révisions des organismes internationaux.

Cette différence est importante, car elle influe sur plusieurs paramètres.

Tout d'abord, chacun voit bien qu'une inflation trop faible peut entraîner un ralentissement ou une diminution des recettes, qu'elles soient issues de la TVA ou indexées sur la masse salariale. Toutefois, les chiffres de la consommation sont aujourd'hui plus élevés que prévu, en raison principalement du prix très bas du pétrole. À ce propos, je rappelle que, si le prix du baril demeure à 60 dollars pendant toute l'année 2015, la France verra ses dépenses baisser de 20 milliards d'euros par rapport à l'année précédente : la moitié, soit 10 milliards, bénéficiera directement aux ménages, qui verront donc leur pouvoir d'achat augmenter d'autant, et l'autre moitié aux entreprises. L'accroissement de la consommation peut ainsi corriger le déficit de TVA dû à la trop faible inflation et l'augmentation des revenus des entreprises accroître éventuellement le produit de l'impôt sur les sociétés.

L'absence d'inflation produit, ensuite, un effet sur les dépenses, dans la mesure où elle offre également un surcroît de pouvoir d'achat à celles des administrations dont la consommation est sensible à l'évolution du prix des carburants, par exemple. Certaines d'entre elles, notamment le ministère de la défense, pourront ainsi faire face à des dépenses qui n'avaient pas été inscrites dans le budget. Pour les autres, il peut paraître légitime au ministre des finances de maintenir leurs capacités de dépense au niveau initialement prévu dans le budget ; des discussions sont en cours à ce sujet avec certains ministres.

Enfin, une faible inflation a un effet sur les économies, car nombre d'entre elles sont calculées par rapport à un tendanciel, qui lui-même repose sur une hypothèse d'inflation. Il devrait ainsi manquer, en 2015, 3 à 4 milliards sur les 21 milliards d'économies que vous avez votées, puisque celles-ci étaient fondées sur l'hypothèse d'une inflation de 0,9 %. Or, dans le cadre de son programme de réduction des dépenses de 50 milliards sur trois ans, le Gouvernement a prévu de réaliser ces 21 milliards d'économies en 2015, quel que soit le niveau de l'inflation. Il nous faut donc prendre des mesures nouvelles, non pas pour que cela rapporte davantage, mais pour que cela rapporte autant qu'il était prévu ; nous y travaillons actuellement dans le cadre de l'élaboration du programme de stabilité. J'appelle votre attention sur le fait qu'il existe, là aussi, une véritable convergence entre la recommandation de la Commission – qui nous demande un effort supplémentaire de réduction du déficit structurel de 0,2 point en 2015 – et les mesures qui doivent être prises pour que l'application des dispositions votées par le Parlement soit effective : dans les deux cas, il s'agit de 3 à 4 milliards.

Dans les trois mois qui viennent, la France doit, comme tout pays de la zone euro, présenter un programme de stabilité et un programme national de réforme. Le premier retracera l'évolution des déficits, des recettes et des dépenses, pour les années 2015, 2016 et 2017, dans le cadre qui a été défini en décembre, c'est-à-dire un déficit de 4 % en 2015, de 3,4 % – contre 3,6 % pour la Commission – en 2016 et de 2,7 % – contre 2,8 % pour la Commission – en 2017. C'est dans ce cadre que nous documenterons les mesures qui doivent être prises pour nous permettre d'atteindre notre objectif de 21 milliards d'économies.

Quant au programme national de réforme – auquel la Commission est attentive, car elle demande que les réformes soient annoncées et mises en oeuvre selon des conditions et un calendrier précis –, il précisera et complétera les réformes qui ont été annoncées par le Gouvernement. Certaines d'entre elles sont en cours de discussion au Parlement, notamment la « loi Macron » ; d'autres sont à venir. Je pense en particulier à la simplification du dialogue social, que l'on appelle parfois de manière un peu abusive la réforme des seuils. Les partenaires sociaux n'ayant pu, et je le regrette, se mettre d'accord sur ce point, c'est au Gouvernement de se saisir de cette réforme et de soumettre un texte au Parlement. Ce texte, qui sera très rapidement examiné en Conseil des ministres, devra être adopté par le Parlement avant l'été.

Parmi les autres réformes, j'appelle votre attention sur les discussions en cours entre les partenaires sociaux sur les régimes complémentaires AGIRC-ARRCO, qui devraient avoir des conséquences bénéfiques notamment sur le budget. En ce qui concerne l'assurance chômage, la convention actuelle expire à l'été 2016. Il nous paraît souhaitable, compte tenu du contexte actuel, que des négociations s'engagent avant cette échéance, mais l'initiative appartient aux partenaires sociaux.

Par ailleurs, depuis le vote de la loi de finances, des mesures ont été prises, principalement en matière de lutte contre le terrorisme, pour un montant global de 950 millions d'euros. Le Premier ministre a décidé que l'ensemble des dépenses nouvelles devaient être compensées à l'euro près par la suppression d'autres dépenses ; tel est notamment l'objet du décret d'avance, dont vous aurez connaissance dans les jours qui viennent. Il ne saurait en effet être question d'accepter des dépenses supplémentaires non gagées au moment où nous prenons des mesures pour que soient effectivement réalisées les économies votées en décembre.

Enfin, les modalités d'examen du programme de stabilité par l'Assemblée sont compliquées par le calendrier européen et par le calendrier parlementaire français. En tout état de cause, je viendrai avec Christian Eckert devant votre commission pour vous présenter ce programme et en débattre avec vous. La discussion sera de la même qualité qu'en séance publique, et nos réponses seront tout aussi précises.

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