Intervention de Gwenegan Bui

Réunion du 18 mars 2015 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGwenegan Bui, rapporteur :

C'est le cinquième accord d'extradition que nous examinons depuis le début de l'année, après ceux conclus avec la Jordanie, l'Argentine, le Venezuela et le Pérou. Comme pour l'Argentine et le Pérou, c'est la forme du traité qui a été retenue à la demande de l'autre Partie, afin de s'inscrire dans leur pratique consistant à privilégier, en matière d'extradition, la conclusion d'accords engageant les Etats.

Le but de ce traité, signé le 20 mars 2007 après sept ans de négociations, est d'encadrer de manière efficiente et protectrice une procédure peu usitée qui relève aujourd'hui de la courtoisie, alors que les besoins sont appelés à croître, notamment sous l'effet de l'augmentation des échanges économiques et des flux de toute nature. La sanction de l'escroquerie et de la contrefaçon nécessitent notamment de disposer de cet instrument.

La France et la République populaire de Chine sont déjà liées par un accord d'entraide judiciaire en matière pénale, signé à Paris le 18 avril 2005. C'est la France qui s'avère demandeuse. Depuis le 1er janvier 2000, 124 demandes d'entraide judiciaire ont été échangées dont 110 sont le fait des juridictions françaises, en augmentation continue. En matière d'extradition, la procédure chinoise, présentée dans le rapport, est peu utilisée. Depuis le 1er janvier 2000, seule une demande d'extradition a été adressée par la France aux autorités de Pékin, qui a abouti à la remise de la personne recherchée au début de l'année 2003. Les autorités chinoises, quant à elles, ont saisi le Gouvernement français à deux reprises, mais leur demande n'a pu aboutir, faute de satisfaire aux exigences de notre législation.

Tous les accords d'extradition signés par la France ont été conclus sur le même modèle, celui de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957. Je ne ferai pas un exposé fastidieux de l'ensemble des clauses du traité, similaires à celles examinés ces dernières semaines. Je m'attacherai au contraire à présenter les particularités de ce traité et les dispositions qui appellent un commentaire particulier s'agissant de la Chine. Ma présentation devrait ainsi vous permettre de disposer des éléments de réponse aux inquiétudes qui, comme vous le savez sans doute, ont été exprimées par plusieurs organisations non gouvernementales.

La Chine est un partenaire, mais les marges de progression de l'Etat de droit y sont importantes. Ce n'est pas le seul pays dans cette situation avec lequel nous signions des accords, y compris d'extradition, mais il est fort légitime de s'interroger sur la pertinence d'un tel accord avec la Chine compte tenu du nombre de procédures judiciaires engagées chaque année dans ce pays de plus d'1,3 milliard d'habitants. De manière générale, l'Etat de droit y a progressé, mais les atteintes aux droits demeurent fréquentes et graves, la confusion des pouvoirs est manifeste et, si les libertés sont incontestablement plus étendues, y compris la liberté d'expression, elles se heurtent à l'infranchissable ligne rouge de la remise en cause du régime, de l'unité territoriale et du parti. On observe même un raidissement notable du pouvoir, particulièrement à l'égard de la blogosphère.

Notre ambassade à Pékin est d'ailleurs très active pour aider au renforcement de l'Etat de droit en Chine, notamment auprès des professionnels du droit. Vous trouverez dans le rapport un certain nombre d'évènements organisés en 2014 qui en attestent (des colloques, des formations de procureurs..), sans compter le travail de fond mené sur la peine de mort. Les délégations chinoises se rendent de plus en plus en France et à l'inverse les praticiens du droit français renforcent leurs liens avec les juristes chinois (échanges en augmentation de 70 % par rapport à 2013). Si je le rappelle, c'est bien parce que la diplomatie française n'a pas conclu ce traité sans veiller à ce qu'il contienne toutes les garanties requises pour le respect des droits des personnes.

En premier lieu, un certain nombre de conditions doivent être réunies pour qu'une demande d'extradition soit valide. Or, un mécanisme de garanties supplémentaires a été prévu à l'article 8 du traité du fait de l'étendue des pouvoirs conférés aux autorités policières en Chine. En effet, en droit chinois, les autorités policières disposent de larges prérogatives pour émettre des mandats d'arrêt et ce, en l'absence de tout contrôle d'une autorité judiciaire. Au cours des discussions, la France a indiqué qu'il n'était pas envisageable de permettre l'arrestation de personnes sur son territoire sur la base de tels titres. Les autorités chinoises ont accepté que les mandats d'arrêt soient, soit délivrés directement par une autorité judiciaire, soit validés par une telle autorité (la décision de validation devant alors être transmise en même temps que la demande d'extradition). Il est à noter que l'insertion de cette stipulation a été acceptée à cette occasion pour la première fois par la Partie chinoise dans le cadre de négociations internationales.

Par ailleurs, comme dans tout accord en matière extraditionnelle, les motifs obligatoires de refus d'extradition sont strictement énoncés, tandis qu'il existe aussi des motifs de refus facultatifs. De manière classique, mais ce n'est pas anodin avec la Chine, les causes de refus obligatoires sont liées :

– à la nature de l'infraction, excluant notamment les infractions à caractère politique,

– aux motifs de l'extradition, qui ne peut résider dans des considérations de race, de religion, de nationalité, d'origine ethnique, d'opinions politiques ou de sexe ou qu'une de ces raisons serait susceptible d'aggraver la situation de la personne à extrader ;

– et aux conditions dans lesquelles est rendu le jugement (tribunal d'exception ou spécial, jugement par défaut sans garantie de nouveau jugement, amnistie ou prescription).

Dans le cadre de demandes d'extradition entre la France et la Chine, conformément à l'article 4 du traité, l'extradition n'est pas accordée si la personne réclamée a la nationalité de la Partie requise. La nationalité est déterminée à la date de la commission de l'infraction pour laquelle l'extradition est demandée. Pour la France, les binationaux (ou les personnes ayant plusieurs nationalités) sont considérés comme français et bénéficient des règles applicables aux ressortissants français (refus d'extradition).

Un autre motif obligatoire de refus appelle commentaire : celui qui concerne l'application de la peine de mort. La peine de mort s'applique toujours à quelques 55 infractions en Chine. Parmi celles-ci figurent des infractions n'impliquant pas de violences, telles que la fraude fiscale, le détournement de biens publics ou le fait d'avoir accepté des pots-de-vin. De manière générale, la peine de mort est appliquée en cas de « crime extrêmement grave », vaste notion prévue à l'article 43 du Code Pénal chinois. Le nombre d'infractions passibles de la peine de mort devrait encore se réduire pour s'établir à 46 en 2015. Il n'en demeure pas moins que certaines ONG estiment que de 4 000 à 9 000 personnes seraient exécutées en Chine chaque année et selon Amnesty international la Chine aurait, en 2013, exécuté plus de personnes que tous les autres pays pratiquant la peine de mort réunis.

Dans le Traité conclu, il est expressément prévu que la remise de la personne réclamée est refusée si l'infraction est punie de la peine capitale par la législation de la Partie requérante, sauf pour cette dernière à donner des assurances, jugées suffisantes par la Partie requise, que la peine capitale ne sera pas prononcée ou si, elle est prononcée, qu'elle ne sera pas exécutée (article 3.g.). Le texte proscrit également, postérieurement à la remise d'une personne, toute modification de la qualification légale de l'infraction susceptible de faire encourir à celle-ci la peine de mort (article 11).

L'engagement de principe des autorités chinoises d'accepter la mise en place d'un dispositif d'engagement formel à ne pas prononcer ou à ne pas exécuter une telle peine à l'encontre de la personne visée par la demande d'extradition a pu être obtenu par notre représentation diplomatique à Pékin, dans la droite ligne du traité d'extradition entre la Chine et l'Espagne, signé le 14 novembre 2005, qui avait ouvert la voie à un tel système de coopération. En effet, pour la Chine, le souhait de développer le réseau conventionnel dans le domaine de l'extradition est lié à la lutte contre la fuite à l'étranger d'un certain nombre de hauts fonctionnaires ou anciens cadres du parti poursuivis pour des faits de corruption. De toute évidence, c'est dans ce contexte que la Chine a progressivement intégré l'idée qu'il existe un principe international selon lequel l'extradition n'est pas envisageable si la personne réclamée est susceptible d'être mise à mort.

De plus, l'article 20 de l'accord énonce que le traité ne porte pas atteinte aux droits et engagements des parties résultant de tout autre traité, convention ou accord. Conformément à un échange de lettres interprétatives en juillet et août 2010, notre pays peut refuser d'accorder la remise d'une personne réclamée par les autorités chinoises, que la France et la Chine soient parties au traité à la convention ou l'accord invoqué, ou que la France en soit seule partie. Cette stipulation permet donc à la France de ne jamais se trouver en position de méconnaître celles de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales du Conseil de l'Europe et l'autorise à se référer, si nécessaire, aux stipulations du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de ses deux Protocoles facultatifs pour refuser de donner suite à une demande d'extradition ne respectant pas les principes énoncés par ces textes.

Enfin, une fois l'extradition accordée, les poursuites possibles sont strictement encadrées. Toutes les conventions conclues par la France prévoient un principe de spécialité qui interdit à la Partie requérante de tirer profit de la présence de la personne extradée sur son territoire afin de la détenir ou de la condamner pour un fait antérieur à la remise autre que celui ayant motivé l'extradition. Il peut être dérogé à ce principe en cas de séjour volontaire de la personne extradée sur le territoire de la Partie requérante et en cas consentement de la Partie requise. De même, une fois la personne réclamée remise à la Partie requérante, son transfert vers un pays tiers n'est possible que dans ces deux mêmes cas de figure.

Les faits constitutifs de l'infraction déterminent les droits de la Partie requérante ; en cas de modification de la qualification légale de ces faits appuyant la demande d'extradition, la personne ne peut être poursuivie que si la nouvelle qualification vise les mêmes faits que ceux ayant conduits à la remise.

Avant de conclure, je rappellerai que les négociations ont été longues, que la France a obtenu tout ce qu'elle demandait et que les autorités françaises s'étaient engagées à achever la procédure de ratification en 2014, année des célébrations du cinquantenaire de la reconnaissance par la France de la République populaire de Chine. L'efficience de la coopération judiciaire avec la Chine se trouve d'ailleurs actuellement mise à mal par la non ratification du traité d'extradition par la France, la Chine ayant des difficultés à comprendre le retard de la partie française.

La Chine a déjà procédé à la ratification du traité. Conformément à son article 23, le traité entrera donc en vigueur trente jours après la notification par la France de l'achèvement de sa procédure de ratification. Le Sénat a déjà voté le projet de loi. Votre Rapporteur invite la Commission à en faire autant.

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