Intervention de Philippe Wahl

Réunion du 18 mars 2015 à 9h00
Commission des affaires économiques

Philippe Wahl, président-directeur général du groupe la Poste :

Mesdames et messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord de vous dire combien c'est un honneur pour moi de m'exprimer devant vous aujourd'hui, afin tant de vous présenter le bilan de l'année 2014 que de vous livrer quelques perspectives d'avenir. Mon intervention sera structurée autour de trois axes : un axe stratégique, un axe économique et enfin un axe social. Je répondrai par la suite à l'ensemble de vos questions bien évidemment.

Premièrement, d'un point de vue stratégique, nous avons construit, avec les postières et les postiers, dans un processus de partage stratégique qui a mobilisé 150 000 d'entre eux, un plan stratégique dénommé « La Poste 2020 : conquérir l'avenir ». Dès 2014, nous avons engagé ce plan, qui constitue une transformation radicale du modèle économique et stratégique postal. Comme l'a souligné le président Brottes, le volume du courrier transporté a chuté de 16 % en quatre ans, et de 31 % en 6 ans. Une telle évolution, considérable pour toute entreprise, l'est encore davantage pour une entreprise dont le coeur de métier est le réseau, c'est-à-dire des frais et des organisations implantées sur l'ensemble du territoire. 2014 a été une année clef car nous avons nommé et verbalisé les problèmes. De plus, avec les membres du comité exécutif, nous avons réalisé un tour de France, débuté à Marseille le 12 septembre et clos à Fort-de-France le 11 décembre, afin de rencontrer 7 000 cadres supérieurs du groupe et de diffuser notre diagnostic : le modèle actuel de La Poste n'est plus viable. Tout est dit. Il n'est plus viable, non pas à cause des postières et des postiers ou de leurs dirigeants, mais car se sont substituées au transport physique de l'information, des technologies de l'information qui permettent le transport électronique des messages. Jamais depuis son apparition, il y a six siècles, le service postal n'a été confronté à un tel défi. Bien évidemment, lorsque j'ai pris mes fonctions de président-directeur général du groupe, j'ai commencé par relire l'histoire postale. Bien sûr, il y a eu un grand nombre d'évolutions technologiques, mais qui touchaient le mode de transport de l'information, et non pas la nature même de l'information. Cette transformation nous amène à inventer un nouveau modèle postal, dont vous trouvez les premières preuves en 2014. Ce nouveau modèle nous conduit, les postiers et les postières comme moi-même, à être souvent interrogés pour savoir si ce que nous faisons constitue encore une activité postale. J'assume cette question devant vous. Tout autre question relève d'une certaine nostalgie, pour laquelle j'ai de la sympathie mesdames et messieurs les députés, mais si l'on souhaite que La Poste, ce soit le képi, le vélo et la 4L jaune, autant le dire de manière nette, il n'y aura plus de Poste…

Il faut donc en revenir à l'essence même du service postal : l'identité même de La Poste, c'est la capacité à apporter un service universel humain de proximité et de confiance – le facteur humain – partout, à des millions de personnes, et tous les jours. D'après nous, dans la société de demain, une société numérique, le facteur humain doit rester le facteur commun de tous les services que nous allons développer. Les semaines récentes ont traduit cette nouvelle stratégie. Vous avez décidé, dans le cadre de l'examen du projet de loi pour la croissance et l'activité, de nous confier certaines activités liées à l'examen du permis de conduire. Monsieur le président Brottes a abordé les 1 000 maisons de services au public que nous allons accueillir avec le souhait de préserver le réseau de services publics le plus capillaire possible dans notre pays, grâce aux 17 000 points de contacts que vous avez vous-mêmes inscrits dans la loi.

Deuxièmement, j'en viens au point économique, la première perception de nos résultats pour l'année 2014 est évidemment une déception. On doit toujours être déçu quand on est chef d'entreprise. Notre résultat d'exploitation est en effet passé de 778 millions d'euros à 719 millions d'euros. Néanmoins, il y a de bonnes nouvelles. D'abord, nous avions anticipé une phase d'inflexion économique, que j'avais moi-même évoquée devant vous à l'automne 2013, avant même ma nomination. L'inflexion s'est produite en 2014. Ensuite, et ce point doit nous rassurer, nous faisons sensiblement mieux que notre budget, ce qui veut dire que la plan stratégique a produit ses premiers effets. Ainsi, premier effet d'accélération des revenus, notre chiffre d'affaires a cru de 2 %, ce qui veut dire que malgré une chute de 31 % du volume de courrier, nous sommes capables de faire croître le chiffre d'affaires et nous parvenons à compenser les mécanismes d'attrition du courrier. Par ailleurs, nous avons continué à réduire les dépenses sur l'ensemble des coûts et des activités sur le territoire. Enfin, les nouveaux moteurs de croissance sont là : la Banque postale sort d'une excellente année puisque, en 2014, elle est la seule des six grandes banques françaises dont le produit bancaire progresse dans la banque de détail, alors que les cinq autres sont en régression ou en plus faible croissance ; GeoPost, notre opérateur de colis et d'express en France, avec Exapaq et Chronopost à l'international, connaît une croissance de 13 %, ce qui témoigne de la réussite du pari initié par mon prédécesseur, M. Jean-Paul Bailly, de tabler sur le courrier international.

Toutefois, le modèle économique reste divergent : la baisse du volume d'exploitation du courrier représente une évolution négative de 147 millions d'euros, qu'il faut compenser, et si l'activité de la Banque postale représente une évolution positive de 130 millions d'euros, GeoPost est légèrement en recul, car nous avons provisionné le montant d'une amende fixée par l'Autorité de la concurrence, qui touche l'ensemble des logisticiens. Comme le voyez, l'enjeu est de conforter les activités nouvelles afin qu'elles produisent plus de résultat d'exploitation que n'en détruit l'attrition des volumes du courrier. Au-delà, il est également nécessaire de générer à nouveau de la trésorerie. L'an passé, nous avons limité la destruction de trésorerie à 134 millions d'euros. J'espère que l'année 2015 sera l'année du triple rebond : croissance du chiffre d'affaires, croissance du résultat d'exploitation, génération de trésorerie positive afin de nous développer sans nous endetter. L'année 2014 est donc malgré tout une belle année. J'espère que l'an prochain je pourrai vous dire que cette année fut le début d'une longue marche mais dans tous les cas, ce n'est pas parce que les trois indicateurs que j'ai mentionnés seront devenus positifs que nous aurons changé le modèle de La Poste. Il faudra aller plus loin ! L'année 2014 donne néanmoins des raisons d'espérer et de croire dans l'efficacité de notre modèle stratégique.

Pour en venir, troisièmement, au volet social, je rappellerai que le 5 février dernier, nous avons signé trois accords sociaux majoritaires importants au sein de notre groupe. Le premier accord, essentiel, est en quelque sorte le pacte social qui accompagne le plan stratégique. Cet accord, signé par plusieurs organisations syndicales, se nomme « Un avenir pour chaque postier ». Il met l'accent sur la formation, la mobilité interne et la capacité d'ascenseur social et de méritocratie. La Poste est en effet l'une des rares entreprises à fournir encore des perspectives d'ascenseur social, grâce à des capacités de formation et de mobilité. À l'occasion de la signature du plan stratégique, nous avions pris l'engagement, confirmé par cet accord, de donner la priorité à la formation, qui ne constitue pas une garantie d'emploi – aucune entreprise ne peut le promettre – mais une promesse de formation. C'est cet engagement qui explique la signature de cet accord par les organisations syndicales majoritaires. Il s'agit d'un élément fondamental, car nous ne transformerons pas La Poste sans les postiers. Le second accord tient au « complément poste », sur lequel je ne m'attarderai pas ici. Le troisième accord, enfin, signé unanimement, porte sur l'adaptation de la grille indiciaire de la fonction publique postale à des évolutions réalisées pour la fonction publique d'État. Cet accord inclut par ailleurs des mesures nouvelles pour les reclassés, ce qui était une préoccupation permanente de votre commission. Toutes les organisations syndicales de La Poste – le syndicat SUD, la CGT, la CFDT, Force ouvrière, la CGC, le CFTC et l'UNSA – ont signé cet accord. De ce point de vue, j'ai le sentiment d'avoir honoré la promesse que je vous avais faite de prendre ce sujet à bras le corps.

Toujours en matière sociale, nous avons également introduit une dernière innovation extrêmement productrice de sens et très utile pour moi en tant que président-directeur général. Depuis ma nomination, j'ai tenu avec chacune des organisations syndicales quatre cycles de réunion stratégique, dont le dernier a eu lieu fin janvier-début février. Durant trois ou quatre heures, nous abordons la totalité des sujets stratégiques qui touchent le groupe. À titre d'exemple, j'évoque avec eux nos activités en Pologne où, l'an dernier, nous acquis pour 120 millions d'euros le numéro cinq du colis express polonais, ce qui a permis à notre filiale GeoPost polonaise d'être le premier acteur du colis dans ce pays.

J'en profite, puisque j'évoque l'international, pour rappeler que nous sommes le numéro un du colis express en France, en Pologne donc, en Espagne via la filiale SEUR et au Portugal, et que nous atteignons la deuxième place en Allemagne et au Royaume-Uni. Cette activité internationale emporte des effets très positifs pour les forces de travail en France. En effet, le commerce sur internet se traduit par une explosion du volume de livraison de colis, sur laquelle nous bâtissons une partie du modèle économique de demain. Alors qu'un flux important de colis atteint l'Europe depuis le Japon, la Russie, les États-Unis, la Chine, la capacité d'un acteur postal d'intégrer dans son réseau la plus grande partie de ces colis crée de la valeur et des emplois. Grâce à notre réseau, aujourd'hui le deuxième en Europe mais le premier d'ici quatre ans selon nos ambitions, nous sommes en mesure d'alimenter les plateformes de colis françaises. Le développement de l'activité à l'international n'est pas simplement en plus forte croissance et plus rentable que notre activité française, elle fournit du travail en France. Évidemment dans nos réunions avec les organisations syndicales, ce sont des choses que je prouve, que je montre, que j'illustre, surtout dans la mesure où une grande partie de notre avenir repose sur la capacité à bénéficier de la vague internet et à pouvoir assurer une livraison B-to-C c'est-à-dire au domicile.

Pour conclure, j'évoquerai l'expérience que nous avons lancée à Angers avec des facteurs volontaires et l'assentiment des organisations syndicales. Nous livrons le matin le courrier urgent des entreprises, par définition ouvertes, et le courrier non urgent des particuliers ; le soir, nous faisons un deuxième passage chez les particuliers avec le recommandé et le colis. C'est un très gros succès car le taux d'instance, c'est-à-dire le pourcentage des colis que nous ne sommes pas parvenus à délivrer à nos clients, passe de 14 % à moins de 3 %. Cette expérience à la limite et la puissance des expériences. La puissance, c'est qu'elle nous donne envie de généraliser. La limite, c'est que c'est une ville moyenne et que l'on ne sait pas ce que cela donnerait dans une très grande métropole. Je voulais vous livrer cette expérience avant d'aborder les questions, afin de vous montrer que La Poste est dans l'innovation permanente. Je suis prêt à prendre le risque de la transformation, même si cela fait désordre car elle est radicale, brutale et inarrêtable. Voilà le bilan de l'année 2014, des dialogues sociaux, auxquels vous êtes sensibles, et des perspectives. Même si l'année 2015 est un succès, il restera cinq années d'efforts fondamentaux.

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