Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 18 mars 2015 à 21h30
Commission des affaires sociales

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes :

Si le tiers payant est devenu une des mesures de référence de ce projet de loi, le texte ne se limite pas à cela. Reste que c'est un débat important, et j'ai du reste senti quelques nuances dans les positions défendues par les députés de l'opposition : si certains rejettent la généralisation en bloc en criant à l'idéologie, d'autres assurent qu'ils ne sont pas totalement opposés au tiers payant, mais… Tant et si bien qu'il n'est pas toujours facile de comprendre leurs arguments. Peut-être entendent-ils les Français qui, très majoritairement, expriment leur volonté de mettre en place un dispositif qui n'a effectivement rien à voir avec la gratuité – tous les Français cotisent à la Sécurité sociale –, mais qui facilitera leur relation avec leur médecin en leur permettant de ne pas avancer les frais.

Ce n'est pas un caprice de ma part – je ne suis pas femme de caprices –, mais bien un engagement, une volonté de justice et de progrès. Et force est de constater que lorsque l'on défend des mesures de justice et de progrès, on est très vite taxé d'idéologie par l'opposition…

Du reste, si près de 30 % des actes sont d'ores et déjà réalisés en tiers payant, ce ne sont pas forcément ceux qu'a évoqués l'opposition. Ainsi, les ALD n'en font pas partie : si certains professionnels leur appliquent le tiers payant, d'autres se voient opposer des refus de la part de l'assurance maladie. L'ACS non plus n'est pas encore en tiers payant : cette étape supposera d'ailleurs une coordination entre l'assurance maladie et les organismes complémentaires.

Contrairement à ce que certains soutiennent parfois, il ne s'agit pas d'une mesure à but uniquement social : le tiers payant social, c'est la CMU. Mais il n'y a pas que les bénéficiaires de la CMU qui peuvent avoir des difficultés, et je ne crois pas que les médecins aient envie d'évaluer à chaque fois la situation financière de leur patient. Le fait que des gens dont le revenu se situe entre 1 500 et 2 500 euros expriment une attente très forte du tiers payant montre bien que, sans être pauvre, on peut avoir besoin d'être dispensé de l'avance de frais.

Vous avez été très nombreux, sinon unanimes, quelle que soit votre position sur le principe, à souligner la complexité d'un changement d'organisation qui supposera la mise en place d'infrastructures que les médecins ne devront même pas voir : la mise en place du tiers payant sera une affaire de coulisses, de back-office, bref, cachée dans le disque dur de l'ordinateur, et l'intervention du praticien devra rester extrêmement simple. J'ai entendu, madame Delaunay, les inquiétudes exprimées par le corps médical ; c'est bien la raison pour laquelle nous avons repris la concertation et c'est ce qui explique que nous vous proposions, par l'amendement AS1725 rectifié, une rédaction de l'article 18 sensiblement différente de celle du projet de loi initial.

Cet amendement détaille une méthode et un calendrier. Il met en place un tiers payant qui sera progressivement étendu à l'ensemble des patients en suivant des étapes identifiées et qui permettront de tester et de roder le système. Plusieurs rapports d'étape sont prévus, dont les conclusions seront intégrées dans la suite de la démarche.

Il n'est évidemment pas acceptable, et cela ne le sera pas davantage demain, que des professionnels ne soient pas payés pour des actes qu'ils réalisent. Une telle situation ne saurait être considérée comme normale par le Gouvernement. C'est pourquoi nous inscrivons dans la loi le principe d'une garantie de paiement au professionnel qui applique ou appliquera le tiers payant dès lors que l'acte fera l'objet d'une télétransmission – c'est important –, ledit paiement devant intervenir dans un délai fixé par décret. Passé ce délai, qui pourrait être de sept jours, une pénalité sera versée au professionnel.

Je précise que ces garanties ne se limiteront pas aux professionnels qui appliqueront le tiers payant à l'avenir ; elles vaudront aussi, sitôt la loi adoptée, pour les actes d'ores et déjà réalisés en tiers payant.

L'amendement prévoit par ailleurs une série de simplifications et pose le principe d'un dispositif technique identifié qui passe par un partenariat renforcé entre l'assurance maladie obligatoire et les organismes complémentaires – et cela vaut dès l'étape de l'ACS. Il sera indispensable, au moment où s'engagera la phase de l'extension du tiers payant à tous, que la coopération entre l'assurance maladie obligatoire et les organismes complémentaires conduise à la mise en place d'un dispositif respectant les exigences de simplicité, de fiabilité et d'efficacité, et prévoyant un flux unique de paiement vers le professionnel.

L'assurance maladie obligatoire et les organismes complémentaires devront me remettre au plus tard le 31 octobre 2015 un rapport définissant les modalités opérationnelles de ce dispositif.

L'amendement AS1725 rectifié reprend la disposition du projet de loi initial prévoyant que l'obligation du tiers payant s'ajoutera aux obligations qui s'imposent aux organismes complémentaires pour bénéficier des avantages fiscaux et sociaux liés aux contrats responsables.

Par ailleurs, j'ai souhaité évidemment préciser le rôle de l'assurance maladie obligatoire dans la mise en place du tiers payant généralisé. La réussite de cette réforme implique un étroit partenariat entre l'assurance maladie et les organismes complémentaires. Il est normal que l'assurance maladie, compte tenu de sa part prépondérante dans les dépenses de santé, ait une responsabilité de premier rang dans la mise en place de cette réforme. Nous devons évidemment faire en sorte que cette part prépondérante soit bien identifiée : c'est ce qui est indiqué dans le V de l'article 18, tel que l'amendement propose de le rédiger.

Enfin, je tiens à réaffirmer clairement que la mise en place du tiers payant ne se traduira par aucun coût supplémentaire pour les médecins ni par aucune mainmise des complémentaires sur les conditions d'exercice ou les modalités de délivrance des soins par les praticiens. La position du Gouvernement n'a pas changé depuis la loi du 27 janvier 2014 relative aux réseaux de soins, qui avait consacré l'indépendance des médecins par rapport aux financeurs.

Tels sont les points que je souhaitais évoquer pour répondre aux observations des uns et des autres, préciser l'esprit dans lequel cette réforme est proposée, les objectifs de progrès et de justice sociale qu'elle poursuit, et les modalités concrètes de sa mise en oeuvre opérationnelle auxquelles nous nous devons d'être particulièrement attentifs, pour répondre aux inquiétudes des professionnels. Le tiers payant n'aura de sens que si sa mise en oeuvre est réussie, ce qui exigera beaucoup de précautions et un suivi étroit : d'où le calendrier qui vous est proposé dans l'amendement AS1725.

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