Intervention de Jean-Baptiste Eyraud

Réunion du 19 mars 2015 à 8h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Jean-Baptiste Eyraud :

L'association « Droit au logement » intervient en faveur des mal-logés et des sans-logis, dans le cadre d'une action collective, de manifestations qui peuvent prendre plusieurs formes : manifestations de rue classiques, campements, occupations ponctuelles en direction d'acteurs du logement pour les amener à prendre en compte la situation des ménages en difficulté de logement, ou occupations ponctuelles d'immeubles vacants pour encourager les pouvoirs publics à recourir à des réquisitions.

Je précise que, conformément aux statuts de l'association, notre action est non-violente. Nous n'avons donc jamais utilisé la violence à l'encontre des forces de l'ordre. La non-violence fait d'ailleurs partie des consignes que nous donnons à nos adhérents : ils risqueraient de se retrouver au commissariat, voire au tribunal correctionnel ; en outre, les procédures pénales étant très longues, c'est autant de temps qui ne peut pas être consacré à la défense des personnes mal logées ou sans logis. Pour autant, nous ne nous considérons pas en conflit avec la police, qui fait le travail que lui demandent les autorités.

Mais l'inverse n'est pas vrai. Dans les années quatre-vingt-dix, il nous arrivait assez fréquemment d'avoir à affronter des violences policières et d'aller devant l'Inspection générale des services, en ayant pris soin de nous munir de preuves visuelles. De fait, l'utilisation de matériel vidéo permet de faire connaître les brutalités policières et surtout, de se défendre lorsque que les militants eux-mêmes sont accusés d'être à l'origine des violences – ce qui nous est arrivé au moins deux fois.

En mai 1997, à l'occasion de l'occupation d'un immeuble vacant place d'Iéna, à laquelle participaient, notamment, le professeur Léon Schwartzenberg, Mgr Gaillot et Albert Jacquard, quatre militants qui étaient sortis de l'immeuble pour discuter avec les forces de l'ordre ont été brutalisés .Par la suite, ces militants ont été poursuivis pour violences sur agent. Comme nous avions produit des images, une enquête a été ouverte et un policier a finalement reconnu avoir fait un faux témoignage devant le tribunal correctionnel de Paris ; au sein du commissariat, il avait en effet été demandé de faire en sorte que des charges soient retenues contre ces quatre militants afin de « criminaliser » notre mouvement. C'est ainsi qu'en 2000, une décision d'appel condamna des policiers et des officiers de police sur la base de ces faits et de ces faux témoignages.

En décembre 2012, à l'occasion d'une manifestation déclarée devant la préfecture de région Île-de-France, la police nous a encagés – parce que la visite du ministre de l'intérieur tombait au même moment. Une telle façon de faire, qui met en cause notre liberté de manifester, est pour nous particulièrement humiliante et dégradante. Il arrive donc que, lorsque deux policiers laissent un espace, l'un d'entre nous se faufile pour exprimer notre désaccord et dénoncer la pratique. À cette occasion, j'ai été personnellement brutalisé : je suis sorti du rang, un policier m'a repris, m'a jeté, une fois, deux fois et finalement, il a glissé à la suite d'un geste maladroit. Pourtant, il n'y avait aucune violence de ma part. À ma grande surprise, il a porté plainte contre moi. Quelques semaines plus tard, j'ai été convoqué au commissariat. J'ai montré les images qui me mettaient hors de cause, tout en refusant le prélèvement d'ADN, mettant en avant – on était en janvier 2013 – que je n'étais pas un délinquant sexuel. Finalement, l'affaire s'est tassée. J'ai été convoqué à nouveau le lendemain, et cela s'est traduit par un non-lieu.

De manière générale, pendant une douzaine d'années, nous n'avons pas déclaré les manifestations que nous organisions sur les trottoirs, et cela ne posait pas de problème. Mais en 2007 et 2008, les autorités préfectorales nous ont demandé de faire des déclarations préalables, et nous nous y sommes mis progressivement. Comme le DAL lance une ou deux initiatives par mois, voire davantage, il était fastidieux de se déplacer à chaque fois à la préfecture de police. Heureusement, en regardant un peu attentivement les textes, nous avons compris qu'il suffisait de procéder à cette déclaration par courrier, par fax ou par mail.

La loi nous oblige donc à faire une déclaration de manifestation. C'est ensuite au préfet, ou au maire, de décider s'il autorise ou non la manifestation. Il peut refuser s'il considère qu'il y a un risque de trouble à l'ordre public, sur la base de textes qui ont été pris après la tentative de coup d'État de février 1934, place de la Concorde.

Ainsi, dans les années quatre-vingt-dix, des policiers ont été mis en cause devant le tribunal correctionnel de Paris pour violences excessives. Plusieurs ont été condamnés pour violences excessives à notre égard, en général à la suite d'une première enquête débutant à l'IGS. Cela nous a permis d'établir des relations relativement convenables avec les autorités de police, c'est-à-dire sans violences. Il arrivait, bien sûr, que l'on se plaigne de coups de pieds donnés à des mères de famille, de chaussures écrasées, d'insultes, mais on peut dire que les choses s'étaient un peu calmées par rapport ce que l'on avait connu au début de notre existence.

Dans le courant des années 2000, nous avons continué de la même façon, en produisant des images, mais cela n'a jamais donné lieu à des poursuites. En réalité, toutes les actions que nous avons engagées pour violences excessives ont été classées sans suite. En outre, la procédure a changé puisque l'on doit maintenant systématiquement passer par l'Inspection générale des services quand on met en cause une autorité de police. Finalement, on se sent moins protégé que dans les années quatre-vingt-dix par rapport à d'éventuelles violences policières.

L'affaire de 2013 est révélatrice de mon propos. En octobre, l'autorité de police nous a évacués à plusieurs reprises, parfois assez violemment, de nos campements, alors que nous avions fait des déclarations en bonne et due forme. Le samedi 19, notamment, la police nous a encerclés et au moment où nous allions quitter la place de la République, nous y a empêchés en nous encageant. Cela a donné lieu à des violences car des manifestants se sont assis par terre, refusant de se retrouver insérés dans le dispositif. Certaines personnes ont été plus ou moins blessées. L'épisode a été filmé. Il est toujours possible de trouver des éléments d'information sur internet, mais nous pourrons vous laisser une clé USB. L'affaire s'est arrêtée là. 11 personnes sont allées porter plainte à l'IGS et, le 24 mars 2014 nous avons reçu un avis de classement sans suite.

Cette affaire va au-delà des violences policières qui ont été commises. Elle pose la question de la légitimité de l'intervention des forces de l'ordre, dans la mesure où nous avions fait des déclarations préalables et nous étions en règle avec la loi.

Peu de temps après, nous avons saisi le tribunal administratif pour demander que soit respectée notre liberté de manifestation. Le tribunal nous a donné raison, et a enjoint à la préfecture de police de nous laisser manifester pour faire connaître la situation des mal-logés. Nous nous sommes alors réinstallés sur la place de la République jusqu'à ce que des discussions s'établissent avec les autorités. Celles-ci ont été chargées de reloger dans un délai de six mois des familles qui attendaient en vain depuis plusieurs années.

Dans la façon d'intervenir des forces de police, on a bien senti que des instructions avaient été données. Sur cette place de la République, elles sont intervenues à plusieurs reprises pour nous évacuer : une première fois, alors que nous étions sur place, un père de famille s'est fait arracher l'oreille ; une deuxième fois, nous sommes partis parce que nous avons bien senti que nous allions nous faire malmener ; et une troisième fois, à l'occasion de ce rassemblement du 19 octobre, nous avons compris que les forces de police voulaient nous faire peur. À ce moment-là, les policiers semblaient disposer d'une certaine marge de manoeuvre. Par ailleurs, ils agissaient de manière illégale, puisque nous avions procédé aux déclarations nécessaires. Reste que tout cela s'est soldé par un décision de classement.

Encore une fois, nous avons le sentiment que les moyens de recours devant la justice sont plus difficiles aujourd'hui que dans les années quatre-vingt-dix. Cela peut paraître paradoxal, mais c'est à cette conclusion que nous conduit notre pratique quotidienne.

Maintenant, la violence à laquelle nous sommes confrontés est relative. Ce sont des coups de pied, des coups de poing donnés en dessous, parfois des étranglements, mais on ne sort pas les matraques et il n'y a pas d'intervention frontale. Ce ne sont pas les brutalités que l'on on a pu connaître à Sivens ou ailleurs. En revanche, certaines opération de maintien de l'ordre en milieu urbain, dans le cadre d'initiatives non violentes, déclarées et reconnues légales par les autorités judiciaires, peuvent être considérées comme disproportionnées – et s'avérer illégales.

En conclusion, ce n'est pas du maintien de l'ordre par rapport à un trouble général causé à l'ordre public. C'est un maintien de l'ordre politique par rapport à un mouvement social. On est davantage dans le cadre d'une répression d'origine politique.

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