Intervention de Gilda Hobert

Séance en hémicycle du 25 mars 2015 à 15h00
Modernisation du secteur de la presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilda Hobert :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous devons nous exprimer sur un texte qui a fait l’objet d’un consensus qui s’est traduit par un accord en commission mixte paritaire, ce dont nous pouvons nous réjouir. En dépit de ce consensus et des avancées qu’il comporte, ce texte répond-il à l’ensemble des problématiques de la presse ?

La presse, qu’il s’agisse des médias écrits, audiovisuels ou électroniques, traverse une crise profonde depuis de nombreuses années. Or notre mission, à nous législateurs, est d’assurer à nos concitoyens une presse libre et indépendante d’un point de vue économique et éditorial.

Car les deux notions sont intimement liées. Comment assurer économiquement la subsistance d’une presse libre et indépendante sans la soumettre aux exigences du milieu économique et du pouvoir politique qui la soutiennent ?

En 1997, les journalistes avaient un livre de chevet : celui de Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde. Le propos de cet ouvrage ? L’analyse, par l’exemple, des compromis et compromissions, des collusions entre pouvoirs médiatique, politique et économique ; les liens tissés entre les journalistes et la classe politique, les uns et les autres ayant souvent fréquenté les mêmes écoles ; le phénomène de domination des médias par un nombre restreint de grands groupes industriels et financiers.

Sur ce point, Serge Halimi citait alors le magazine américain Fortune qui établissait, en 2005, souvenons-nous, que plus de la moitié des dix premières fortunes de France étaient investies dans le secteur de la communication : Bernard Arnault pour 17 milliards de dollars, Serge Dassault, 7,8 milliards de dollars, François Pinault 5,9 milliards de dollars, Martin Bouygues, 2,4 milliards de dollars…

Il y a là sans doute matière à réflexion sur de nouveaux modèles économiques à élaborer. Par exemple, et c’est là l’objet d’une partie de cette proposition de loi, l’instauration d’un nouveau statut des entreprises éditrices de la presse, à savoir celui d’entreprises citoyennes de presse d’information, inspiré des entreprises commerciales intervenant dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Il s’agit ici de permettre l’émergence de nouvelles formes de diffusion de l’information par la mobilisation de financements pouvant provenir d’investisseurs, de dons du public ou de participation des salariés dans un projet collectif. Cette disposition s’appliquera aux entreprises de presse électronique en phase de lancement.

Cela étant, ce mode de financement existe déjà depuis de nombreuses années dans notre pays, même s’il est appliqué de façon résiduelle, à la marge. C’est par exemple le cas du Monde diplomatique. C’est une piste particulièrement intéressante, d’autant que le mode de financement de cette publication va encore plus loin. En effet, Le Monde diplomatique reçoit des dons, mais sa politique de financement fait de sa ligne éditoriale une véritable force économique puisqu’elle découle notamment de collaborations étroites avec d’autres médias étrangers et le milieu universitaire international, une pratique qui lui assure un rayonnement mondial et, par conséquent, une grande indépendance vis-à-vis de la politique française.

D’autres mannes financières sont possibles, avec notamment les liens qui peuvent se tisser entre la presse nationale et la presse étrangère, mais encore entre le format papier et le web.

Ainsi, à côté des médias traditionnels que sont la presse écrite et audiovisuelle, a émergé depuis plus de quinze ans maintenant la presse en ligne. Aujourd’hui, les médias traditionnels offrent une extension de leurs contenus sur le web. Ils se sont enrichis d’un contenu actualisable à volonté et sont également devenus réactifs en temps réel.

L’interaction entre les médias traditionnels et le numérique offre une richesse accrue quant à leur ligne éditoriale. L’adaptation des médias aux nouvelles technologies est aujourd’hui parfaitement intégrée et correspond aux demandes et habitudes de lecture des citoyens.

Mais la presse a cependant besoin d’un soutien pour sa diffusion. À cet égard, la proposition de loi vise à renforcer le financement de la distribution de la presse écrite en confiant l’homologation des barèmes à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, après avis du Conseil supérieur des messageries de presse. Il s’agit là d’une mesure essentielle qui vise à éviter les disparités d’une vente au numéro fragilisée depuis trop longtemps.

La proposition de loi se penche également, et il était temps, sur la situation de l’Agence France-Presse. L’AFP possède un rayonnement international qui n’est plus à démontrer. Forte de plus de 2 000 journalistes et techniciens, et d’un chiffre d’affaires de 287,8 millions d’euros en 2013 dont 40 % proviennent d’abonnements de l’État, l’AFP dispose de l’un des réseaux les plus complets et les plus maillés au monde. Tous les journaux français sont abonnés à l’AFP. Les difficultés de cette agence sont donc aujourd’hui principalement liées à son financement et à son mode de gouvernance.

Au-delà de la nécessité d’assurer à l’AFP un financement viable, il s’agit aussi de lui permettre de poursuivre sa mutation vers les nouvelles technologies et les nouveaux supports d’information qu’elle développe, à l’instar des vidéos en ligne. Enfin, il s’agit également mais aussi peut-être avant tout d’assurer à l’Agence son indépendance éditoriale.

Ce sont en tout cas les objectifs poursuivis par la proposition de loi qui nous occupe. Le texte vise en effet à ce que l’AFP demeure, comme elle l’est depuis 1957, indépendante de l’État et des puissances économiques en donnant plus de pouvoirs à ses organes de gouvernance.

La proposition de loi ouvre ainsi le conseil d’administration à des personnalités qualifiées et à l’international ; elle instaure le principe de parité, et crée une commission de surveillance qui cumulerait les compétences en matière de déontologie du conseil supérieur et la compétence financière de la commission financière.

Concernant le conseil supérieur, il comprendra désormais deux parlementaires parmi ses membres et disposera du droit, non négligeable, de révocation du président-directeur général. Les compétences du conseil supérieur seront également renforcées. Il sera ainsi consulté par le président de l’AFP sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence. Cette consultation en amont, décidée lors de la CMP, est particulièrement intéressante. Elle permettra d’affirmer le rôle du conseil supérieur dans la définition des objectifs et des moyens de l’AFP.

S’agissant donc de l’Agence France-Presse, les mesures prévues par la proposition de loi vont dans le bon sens. Elles permettent d’enclencher une évolution significative de l’AFP.

La proposition de loi instaure enfin des dispositions diverses relatives au secteur de la presse. Elle modifie notamment le code général des impôts pour favoriser les réductions d’impôt accordées au titre des souscriptions au capital d’entreprises de presse et, par ailleurs, pour encourager les dons aux associations ou fonds de dotation oeuvrant pour le pluralisme de la presse.

L’article 15 bis instaure ainsi une réduction d’impôt au titre des souscriptions au capital d’entreprises de presse. L’article 16, quant à lui, a été retiré en CMP au motif que l’article 15 bis propose une disposition très proche et qu’il existe déjà, dans le budget général, un fonds stratégique de développement de la presse. Enfin, l’article 17 pose désormais que les donateurs peuvent affecter leurs dons au financement d’une entreprise de presse ou d’un service de presse en ligne en particulier, à condition qu’il n’existe aucun lien économique et financier, direct ou indirect, entre le donateur et le bénéficiaire.

Ces mesures ne sont pas anodines. Elles ambitionnent de faire passer le financement de la presse par les citoyens et non plus exclusivement par les grands industriels. Car si la presse rapporte à ces derniers, encore faudrait-il qu’elle puisse subsister.

Nous pensons, comme vous, que stabiliser le financement de la presse est un enjeu fondamental pour notre démocratie. Qualifiée souvent de quatrième pouvoir, la presse est en tout cas un pilier de notre République qu’il nous incombe de protéger.

Cette proposition de loi, que le groupe RRDP appuiera sans équivoque, est un pas important qu’il fallait franchir. Cela étant, d’autres problématiques restent encore sans réponse et nous comptons sur le Gouvernement pour qu’il soumette à notre Assemblée un projet de loi plus complet. Beaucoup, en effet, reste à faire en matière de formation des journalistes, de stabilité et de pérennité des emplois dans la presse, de transparence dans l’octroi de la carte de presse, ou encore de mise en place d’un conseil de déontologie de la presse. Aujourd’hui, la réflexion ne s’achève pas : elle commence.

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