En décembre dernier, lors de l’examen de cette proposition de loi en séance publique, j’insistais pour dire combien la liberté de la presse participe de la vie de nos démocraties et demeure, à ce titre, un enjeu. Les terribles événements que nous venons de connaître illustrent dramatiquement que le combat pour cette liberté doit rester une priorité.
Toute fragilisation de cette liberté constitue en effet un risque grave de déstabilisation pour tout État de droit digne de ce nom. Il en va de même des libertés d’expression et d’opinion, intrinsèquement liées à celle de la presse. Les attentats contre Charlie Hebdo viennent donc nous rappeler que nous devons veiller, ici même, perpétuellement et sans relâche, à ce que ces principes fondateurs de notre démocratie ne souffrent d’aucune remise en cause.
Garantir ces libertés implique un devoir de vigilance constant. C’est pourquoi tout ce qui viendra confirmer et renforcer le pluralisme de l’information et la liberté d’expression doit être soutenu. Nous avons besoin d’une presse diverse, libre et plurielle, qui puisse vivre et se déployer sur l’ensemble de notre territoire – et, bien sûr, sans peur d’une éventuelle menace, quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne. Je pense, bien sûr, à la terreur orchestrée contre une liberté d’expression qui dérange des extrémistes religieux, mais je pense aussi à la censure ou, plus simplement, car elles ont un impact indéniable sur le pluralisme, aux difficultés que traverse actuellement la presse. Ces difficultés ne peuvent plus être minorées, car elles menacent la pluralité de l’offre en matière d’information, pluralité qui concourt elle-même à la démocratie.
Pour pérenniser ce pluralisme, les mutations économiques et technologiques auxquelles la presse papier est confrontée exigent une remise à plat des aides à la presse. Nous sommes nombreux à avoir évoqué ce point lors des différentes discussions sur cette proposition de loi, à l’Assemblée comme au Sénat. Mon collègue André Gattolin, par exemple, tout en soulignant les efforts de transparence engagés depuis 2012 par la publicité des sommes allouée aux deux cents titres les plus aidés, a très bien souligné l’aberration des critères retenus dans l’attribution des aides au regard des objectifs affichés.
En 2013, le magazine Télé 7 Jours est ainsi au 9e rang des aides perçues alors que Le Canard enchaîné pointe au 86e rang, précédé par Gala et battant de justesse Le Journal de Mickey, qui se trouve en 87e position. Et que dire de l’absence du Monde diplomatique ou de Politis ! Quant à Charlie Hebdo, dont les difficultés financières étaient déjà connues, il n’apparaît tout simplement pas au palmarès des deux cents titres les plus aidés en 2013.
Nous sommes nombreux à plaider, depuis longtemps, en faveur d’une réforme d’envergure des aides à la presse. Si les critères retenus aujourd’hui peuvent susciter l’interrogation, il faut aussi voir combien le secteur a changé – et les aides doivent prendre en compte ces évolutions.
On ne peut continuer à agir uniquement par petites touches, sans cohérence globale, en se contentant de maintenir temporairement le système actuel. La baisse des ventes de la presse papier, la diminution du nombre des lecteurs, les fermetures de kiosques ou encore la mauvaise santé des messageries sont les symptômes d’une crise contre laquelle il faut à réagir, sans se voiler la face, pour que le secteur ne subisse plus les évolutions en cours mais y prenne part.
L’essor de la presse numérique, et les bouleversements inhérents, doivent être pris en compte dans les aides et dans les évolutions en cours du secteur. C’est pourquoi je regrette que cette proposition de loi n’aille pas plus loin dans la réforme structurelle des aides à la presse, prenant en compte les médias dans leur globalité et dépassant le critère du type de support. La porosité des frontières entre ce qui est lu, ce qui est vu et ce qui est écouté est un constat que nous partageons tous ici.
Le souci d’égal traitement entre médias sur papier et médias numériques était d’ailleurs au fondement du soutien des écologistes à l’harmonisation des taux de TVA.
Si cette proposition de loi ne procède pas à la remise à plat que nous demandons, elle comporte plusieurs avancées notables, au service d’une presse libre et plurielle. D’où notre soutien à ce texte.
Tout d’abord, pour être effective, la liberté de la presse doit être accompagnée d’une garantie de l’acheminement vers le lecteur. Cette proposition de loi renforce justement l’esprit de la loi Bichet du 2 avril 1947 qui organise la distribution de la presse et vise à empêcher toute discrimination entre les titres publiés.
Cette proposition de loi prévoit en effet de prendre en compte les difficultés des messageries, en les accompagnant dans leur mutation. Il s’agit bel et bien d’assurer la pérennité du système de distribution en renforçant la mutualisation et la solidarité des deux coopératives.
Cette évolution va donc dans le bon sens, même si je réaffirme ici qu’il faut veiller à ce que cela ne se fasse pas au détriment des citoyens en affectant le prix de la presse.
L’autre grande avancée que je souhaite saluer est la création du statut d’entreprise solidaire de presse d’information. Ce nouveau statut, qui s’inspire de l’économie sociale et solidaire, est une très bonne nouvelle. C’est là une façon de soutenir le pluralisme en matière d’information via l’émergence de nouveaux éditeurs. J’espère qu’il apportera un vrai changement et permettra vraiment aux pure-players de se développer.
Les incitations fiscales introduites au Sénat, en hommage notamment à Charb, vont également dans le bon sens. On ne peut que regretter que ces dispositions fiscales arrivent trop tardivement pour certains. Comme je l’ai indiqué en décembre dernier, si ce statut et ces dispositifs avaient vu le jour plus tôt, chez moi, à Amiens, le site d’informations en ligne Le Télescope aurait probablement pu éviter la fermeture.
Quoiqu’il en soit, cette disposition va dans le bon sens. Mais comme je l’ai fait au sujet des messageries, je souhaite revenir sur quelques points, abordés lors des différents débats et qui auraient mérité d’être approfondis. Je regrette que ce statut soit limité aux entreprises en ligne et à la presse d’information politique et générale. D’autres sites sont aussi innovants et intéressants que ceux dits « IPG » et ce statut pourrait intéresser des entreprises de la presse quotidienne régionale ou nationale rencontrant des difficultés.
Autre regret, en lien justement avec ces difficultés : pour favoriser les reprises, nous avions proposé d’étendre à l’ensemble des entreprises de presse la procédure d’information aux salariés en cas de difficultés économiques, en s’inspirant de ce qui avait été voté dans la loi sur l’économie sociale et solidaire. L’occasion de mettre en place une telle procédure, favorisant les opportunités de cession aux salariés, aurait dû être saisie puisque cette proposition de loi tend justement à pallier les crises qui touchent notamment la presse papier.
Autre avancée de cette proposition de loi que je souhaite souligner : son article 15 qui nous permet, nous parlementaires, d’être accompagnés par des journalistes lorsque nous visitons des établissements pénitentiaires. Aucun lieu ne devrait être interdit aux journalistes, qui doivent exercer leur pouvoir d’information partout et tout le temps. À travers leur travail, les journalistes ont un devoir d’alerte et d’information en matière d’atteinte aux droits des hommes et femmes, ce qui fait d’eux les véritables garde-fous de notre démocratie.
C’est en cohérence avec cette analyse que nous avions d’ailleurs proposé de renforcer davantage ce droit, gage de liberté de la presse, notamment en l’élargissant aux centres éducatifs fermés ou encore en permettant aux journalistes d’entrer dans les établissements pénitentiaires sans la présence d’un parlementaire.
Enfin, concernant l’AFP, nous avons été nombreux à avoir fait part de nos craintes et à relayer celles des salariés, qu’il s’agisse du statut des personnels, des risques d’une désolidarisation financière de l’État, avec les conséquences inhérentes pour ses filiales, ou encore de la perte de l’outil technique en cas de difficultés financières.
Au cours des débats, des garanties sérieuses ont été apportées. Nous aurons à coeur de nous assurer qu’elles seront effectives, notamment lors de l’examen du contrat d’objectifs et de moyens. Ces évolutions ne doivent en effet en aucun cas fragiliser l’AFP mais, au contraire, sécuriser son avenir car cette agence est une fierté que nous devons pérenniser. L’AFP doit être en capacité de donner une information objective et exhaustive, en France comme dans le reste du monde. C’est là un des points forts qui contribuent à sa notoriété et à son excellence.
Quant aux dispositions relatives à la gouvernance de l’Agence, essentielles pour préserver son indépendance et lui permettre de relever les défis actuels et à venir, elles sont nécessaires et doivent aussi apparaître comme une opportunité pour se moderniser.
Si nous nous réjouissons des avancées que constituent la parité ou le renforcement de la présence des rédactions dans la gouvernance de l’Agence, nous regrettons que cette rénovation de la gouvernance ne soit pas allée plus loin pour faire écho aux nouvelles orientations stratégiques de l’AFP, notamment en ce qui concerne le numérique.
En conclusion, nous aurions certes pu nous montrer plus ambitieux, mais cette proposition de loi va dans le bon sens et contribue à renforcer la pluralité et la liberté de la presse. C’est pourquoi nous le voterons sans hésitation.