Intervention de Fleur Pellerin

Séance en hémicycle du 25 mars 2015 à 15h00
Débat sur le rapport d'information relatif au contrat d'objectifs et de moyens de france télévisions

Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication :

Mesdames et messieurs les députés, permettez-moi tout d’abord de remercier le groupe GDR d’avoir pris l’initiative de ce débat. Il est important que la représentation nationale puisse discuter régulièrement de l’avenir de France Télévisions, singulièrement au moment où le Gouvernement en dessine les grandes orientations stratégiques. J’étais il y a une semaine devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je suis aujourd’hui devant vous : je m’en félicite.

L’audiovisuel public, France Télévisions, son avenir, son cap stratégique, ses priorités, en somme « ce que nous voulons collectivement en faire », doivent faire l’objet d’un débat démocratique et d’une large consultation du Parlement. L’ensemble des interventions d’aujourd’hui démontre au fond le niveau d’ambition et les attentes légitimes que le Parlement place dans la télévision publique. Vous avez raison de porter cette ambition : Gouvernement et Parlement sont dans leur rôle lorsqu’ils défendent de concert un très haut niveau d’exigence pour le service public audiovisuel.

Je souhaite vous détailler la stratégie du Gouvernement pour France Télévisions, ce qui me permettra de répondre à certaines questions que vous avez souhaité soulever.

Ma première priorité, c’est de porter une ambition forte pour le service public de l’audiovisuel.

Les terribles événements du mois de janvier nous l’ont tristement rappelé : nous avons besoin d’un espace commun d’échange et de partage, un espace où la parole est libre et où l’information, de qualité, puisse rendre compte du pluralisme des idées, un espace dans lequel chacun peut se reconnaître et partager des valeurs communes. L’audiovisuel public doit incarner cette ambition et constituer pour les Français cet espace où s’échangent les idées, où s’apprennent l’altérité et l’ouverture, où se nourrit la conversation nationale. France Télévisions doit réaffirmer sa singularité et ses valeurs qui font de ses entreprises des acteurs déterminants de la politique culturelle et du rayonnement de notre pays, des acteurs au service de la citoyenneté et du mieux vivre ensemble. C’est tout le sens de la réflexion que nous avons conduite pour tracer la feuille de route du futur président ou de la future présidente de France Télévisions.

Mon ambition, ce sont des priorités renouvelées autour d’un nouveau triptyque : comprendre, rayonner, participer.

Comprendre, tout d’abord, parce qu’aujourd’hui, être citoyen, c’est pouvoir décrypter un environnement complexe et comprendre le monde qui nous entoure. Le rôle du service public est d’apporter une information riche et indépendante qui permette l’expression du pluralisme et l’épanouissement du débat d’idées tout en favorisant la mise en perspective. L’information doit permettre le décryptage de la réalité et contribuer à la formation de l’esprit critique du public.

Nous attendons donc du prochain dirigeant de France Télévisions des propositions pour renforcer l’offre publique d’information en continuant la modernisation des rédactions et en étroite coopération avec les autres entreprises du service public de l’audiovisuel.

C’est aussi le sens, bien sûr, du contrat d’objectifs et de moyens signé avec France Médias Monde – je pense en particulier à la possibilité qui est désormais donnée à RFI et à Monte-Carlo Doualiya d’être diffusées en France, parce que ces radios contribuent à la cohésion nationale et à la promotion des valeurs républicaines.

Enfin, parce que les salariés du service public de l’audiovisuel sont fiers, à juste titre, de leurs entreprises et de leurs missions de service public, je souhaite qu’ils soient mobilisés pour participer à des actions d’éducation aux médias partout en France et que cet engagement citoyen soit reconnu et valorisé dans les entreprises.

Rayonner, ensuite, parce que France Télévisions est un acteur majeur du rayonnement de la création et de la créativité française, donc, un aiguillon de l’innovation.

Le principal risque, aujourd’hui, c’est de ne pas en prendre. France Télévisions doit faire preuve d’audace créative, proposer des formats innovants et des écritures nouvelles mais, aussi, accompagner les artistes et les créateurs pour leur permettre de révéler tout leur talent. Soutenir la création française, la langue française, c’est un enjeu essentiel de la diversité culturelle, de la différenciation de l’offre du service public par rapport, notamment, à celle des géants de l’internet.

France Télévisions doit également jouer son rôle d’incubateur, faire émerger une nouvelle génération de créateurs pour faciliter le renouvellement de la création. Là aussi France Télévisions doit remplir son rôle, notamment en matière de production de fictions et de séries. L’entreprise, qui a su proposer Un village français et Fais pas ci fais pas ça, doit aussi pouvoir proposer les Borgen, les Real Humans, les House of Cards de demain.

J’ajoute que la réussite de tels projets ne doit pas se jauger uniquement en termes d’audience. Évidemment, il ne peut pas y avoir de télévision publique sans public. Mais la créativité, l’ambition artistique, la générosité de l’intelligence sont des critères dont France Télévisions doit tenir compte.

Participer, enfin, parce que les médias, aujourd’hui, doivent repenser leur rapport au public. Le service public de l’audiovisuel doit ressembler aux Français. Deux priorités doivent nous animer dans cette volonté de faire de la télévision le média de tous les Français : attirer la jeunesse et promouvoir la diversité.

S’agissant de la jeunesse, force est de constater – et Stéphane Travert le rappelait dans son intervention – que le public du service public est plus âgé que la moyenne. Or l’une des missions centrales du service public doit être de favoriser l’entrée de la jeunesse dans le monde. Pour reconquérir ce public, il faut que le service public se réapproprie les codes et les genres de la jeunesse.

Reconquérir la jeunesse, cela implique aussi de développer fortement l’offre en ligne, parce que c’est là, aujourd’hui, que les jeunes découvrent les oeuvres, accèdent à l’information, échangent avec leurs pairs. Développer une offre internet riche, lisible et attractive, capable, entre autres, de concurrencer les messages antirépublicains, ce sera l’une des grandes priorités de la prochaine présidence de France Télévisions. Et c’est une condition essentielle de la pérennité de notre service public de l’audiovisuel que d’imaginer les services, les pratiques, les programmes de demain.

S’agissant de la diversité – et Martine Martinel le soulignait également dans son rapport – il faut reconnaître que l’objectif de parler à tous les publics, qui doit être au coeur de la mission du service public de l’audiovisuel, est inégalement rempli. Or le service public de l’audiovisuel doit être le reflet de notre richesse, et non le miroir de nos blocages. Des progrès incontestables ont bien sûr été accomplis, mais ils restent insuffisants. Or c’est à tous les Français que le service public doit s’adresser, quels que soient leur origine, leur environnement social, leur âge ou leur sexe.

Participer, enfin, parce que la convergence pousse à repenser les rapports entre les différents médias du service public. Il nous faut aujourd’hui fédérer davantage les initiatives, en instaurant des coopérations plus fortes entre les diverses composantes de l’audiovisuel public. C’est un sujet que le Président de la République a déjà évoqué et, sur ce point aussi, l’État prendra toutes ses responsabilités, en instituant un comité de pilotage stratégique rassemblant toutes les entreprises de l’audiovisuel public pour leur permettre d’échanger, sur leur développement et leur politique d’investissement, par exemple.

Ma deuxième priorité, c’est de moderniser l’exercice de la tutelle. Dès mon arrivée rue de Valois, j’avais exprimé ma volonté de saisir l’occasion de la nomination par le CSA – qui renforce effectivement, comme plusieurs de vous l’ont souligné, l’indépendance de l’audiovisuel public – pour réfléchir aux priorités de la télévision publique.

À ce propos, monsieur Riester, vous avez une conception un peu étrange du travail gouvernemental. Vous semblez ignorer qu’il existe, au sein de l’administration, une Agence des participations de l’État, qui exerce une tutelle sur l’entreprise publique France Télévisions. Par conséquent, lorsque je prends une initiative qui implique d’autres de mes collègues, lorsqu’on me remet un rapport que j’ai commandé, à la demande du Président de la République, il me semble courtois de convier également mes collègues chargés de l’économie et des finances. Cela s’appelle la courtoisie ; cela s’appelle la solidarité gouvernementale. Mais peut-être n’avez-vous pas, dans la France moderne et humaniste que vous promouvez, le sens du respect pour le travail gouvernemental et la collégialité ?

Dès ma nomination rue de Valois, disais-je, j’ai souhaité réfléchir aux priorités de la télévision publique. Là encore, il ne s’agit nullement de dresser le portrait-robot du futur président de France Télévisions ou de prédéterminer le choix du CSA, mais de tracer des perspectives, comme vous le faites d’ailleurs très bien sur votre blog, monsieur Riester, puisque vous avez votre opinion sur le nombre de chaînes, sur leur rôle et sur leur programmation. Il ne s’agit en rien de s’ingérer dans la gestion de l’entreprise ou d’empiéter sur les prérogatives du CSA, mais c’est bien la mission de l’État actionnaire que de définir les priorités stratégiques qu’il souhaite assigner à l’entreprise publique. Et c’est exactement à cet exercice que nous nous sommes livrés.

Ce travail nous a d’ailleurs permis, dans le respect le plus strict de l’indépendance du CSA, d’éclairer les candidats sur les attentes de l’État, les attentes légitimes de l’État actionnaire. Je rappelle que la redevance et les financements qui sont apportés par l’État, c’est-à-dire par les contribuables, par nos concitoyens, représentent 3 milliards d’euros et qu’il est donc tout à fait légitime que nous fixions de grandes orientations pour l’audiovisuel public. Les candidats seront donc éclairés sur les attentes de l’État vis-à-vis de l’entreprise publique et sur le cadre budgétaire dans lequel elle aura vocation à évoluer. Il ne s’agit pas, je le répète, de se prononcer sur le périmètre du bouquet de France Télévisions ou sur l’identité des chaînes. Tout cela relèvera de la responsabilité de la future présidence, car c’est bien à l’entreprise qu’il appartiendra d’élaborer un projet et de le proposer à l’État dans le cadre des négociations des contrats d’objectifs et de moyens. L’État arbitre. Il n’est pas là pour se substituer aux entreprises ni à leur direction.

L’objectif de ce travail était d’établir un diagnostic étayé sur la situation de l’entreprise et sur ses perspectives stratégiques, pour que les discussions sur le contrat d’objectifs et de moyens puissent avancer rapidement, sur la base d’un projet à la fois clair et cohérent avec les priorités et les moyens de l’État. Je souhaite que ce type de travail puisse être reconduit, sous une forme adaptée, avant toute nouvelle désignation par le CSA à la tête d’une entreprise du service public de l’audiovisuel.

Ma troisième priorité, je l’ai déjà dit, consiste à moderniser le financement de l’audiovisuel public. Je sais que votre commission des finances vient d’engager un travail sur cette question, et je l’en remercie. Je tiens, en premier lieu, à rappeler que nous avons pris toutes nos responsabilités en proposant au Parlement d’augmenter la redevance pour sécuriser le financement des missions du service public de l’audiovisuel et pour le rendre vraiment indépendant : c’est pourquoi nous supprimons progressivement la subvention budgétaire versée par l’État à ces organismes.

Renforcer la place de la redevance dans le financement du service public, c’est conforter son financement et son indépendance. Je m’étonne donc, mesdames et messieurs les députés de l’UMP, que ceux-là même qui nous demandent sans cesse d’augmenter les ressources de l’audiovisuel public n’aient pas voté l’augmentation de la redevance. Il y a là un paradoxe : vous ne pouvez pas demander à la tutelle d’apporter de nouvelles ressources et, lorsqu’il s’agit de prendre collectivement nos responsabilités, refuser d’accroître ces mêmes recettes.

Vous avez évoqué, monsieur le député Franck Riester, les taxes instituées en 2009, au moment où la suppression de la publicité après 20 heures a été décidée sans véritable étude d’impact. Vous aviez tout le loisir, à cette époque, d’affecter ces taxes, mais vous ne l’avez pas fait !

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