Intervention de Patrick Aimon

Réunion du 24 mars 2015 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Patrick Aimon, président de la Fédération française du bâtiment Grand Paris :

La FFB GP représente 50 000 entreprises sur l'ensemble du territoire national dont 10 000 dans le « grand Paris » pour 250 000 emplois. Le Grand Paris constitue pour nous un investissement historique pour un projet ambitieux, nous ne pourrons relever ce défi sans consentir un effort sans précédent. Il y a une dizaine d'années, nos entreprises n'étaient pas habituées aux pratiques de tri et de recyclage telles qu'elles leur incombent aujourd'hui.

Si nous devions échouer dans cette mission, le plus audacieux projet élaboré pour l'agglomération de Paris depuis plus d'un siècle pourrait rapidement devenir un échec majeur pour l'environnement. La France porte de grandes ambitions dans le cadre de la 21e Conférence relative au climat qui se tiendra cette année à Paris. Ces ambitions, nous les partageons et les portons quotidiennement. La question environnementale et particulièrement la gestion des déchets constituent un sujet sensible pour la profession et nous y travaillons activement depuis déjà de nombreuses années. Je souhaite vous présenter notre réflexion et nos actions en trois points : un constat tel que nous le percevons aujourd'hui, nos difficultés et nos préconisations.

Le constat que nous partageons avec le président de la FEDEREC BTP, c'est la différence existant entre le volume des déchets à traiter et les capacités de stockage actuelles. Les déchets du BTP en Île-de-France en 2010 représentent près de 30 millions de tonnes par an, dont près de 24 millions de tonnes de déchets inertes. La Société du Grand Paris nous a confirmé que l'ensemble des opérations pourrait produire près de 60 à 80 millions de tonnes de déblais supplémentaires – soit environ une centaine de millions de tonnes de déblais à gérer. À cela il faut ajouter les déchets spécifiques aux bâtiments liés à l'aménagement autour des gares : déchets dus à la construction neuve, à la réhabilitation, à la démolition et à la restructuration lourde.

Dans le même temps, la capacité de stockage régionale annuelle ne cesse de décroître. L'enquête menée dans le cadre du Plan régional de prévention et de gestion des déchets du BTP (PREDEC), dont la FFB Grand Paris est membre de droit, montre que la capacité régionale annuelle de stockage ne cessera de décroître jusqu'en 2025. La situation sera critique dès 2018 car les capacités annuelles de stockage régional devraient passer sous la barre des 5 millions de tonnes, voire disparaître en 2025.

Outre les difficultés rencontrées du fait du maillage des exutoires et à la difficulté d'accès des entreprises aux installations existantes, les entreprises du bâtiment sont confrontées à d'autres difficultés. L'enquête conduite par la Cellule économique régionale pour la construction et les matériaux (CERC), publiée au mois de février 2013, à laquelle a activement participé la FFB Grand Paris, montre que 70 % des entreprises considèrent la gestion des déchets comme un problème car le coût est difficilement répercutable sur le client. Si les déchets inertes, les métaux et les bois de palettes sont triés de façon quasi systématique, ce n'est pas le cas des déchets dangereux ou non inertes, faute de solutions alternatives. Les critères environnementaux sont rarement pris en compte en matière de gestion des déchets par la maîtrise d'ouvrage mais sont essentiellement centrés sur les performances énergétiques.

Concrètement, aujourd'hui encore, dans de grands projets, les budgets de gestion des déchets par l'entreprise ne sont annoncés par aucun document. Si on ne lui demande pas le prix, l'entreprise à tendance à ne pas chiffrer ces coûts mais, étant responsable et dans la mesure où elle n'a pas vendu cette prestation, elle se trouve livrée à elle-même. Certes, nous n'excusons pas les décharges sauvages, mais il est important que la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre indiquent clairement le poste relatif à la gestion des déchets, car celui-ci est très coûteux et l'entreprise doit l'évaluer, le chiffrer et le vendre.

Pour faire face à ces difficultés nous préconisons que diverses actions soient envisagées. La première priorité consiste à mettre en place un réseau suffisant d'installations de traitement des déchets et des conditions d'élimination acceptables pour les entreprises. Le renforcement du maillage du territoire en exutoires reste un axe prioritaire pour la FFB Grand Paris. Il est de plus en plus difficile de trouver du foncier pour construire ces installations d'autant plus que les populations refusent leur proximité. L'élimination des déchets est l'affaire des entreprises. Cependant, il est important que les collectivités territoriales jouent le jeu et s'investissent pour créer des structures et des solutions d'élimination des déchets du BTP à proximité des chantiers. Les prestataires de collecte et de traitement des déchets de chantier sont prêts à développer des solutions adaptées : contenants, plates-formes de proximité, installations de tri ou de recyclage… mais la difficulté liée à l'acquisition du foncier et le défaut d'action politique pose problème.

Aujourd'hui l'action des collectivités territoriales est essentielle. Il faut réserver dans les documents d'urbanisme, PLU etc., des zones dédiées aux activités de traitement des déchets. Dans les zones où le maillage en déchetteries professionnelles et autres centres de traitement est insuffisant, il faut définir et harmoniser les conditions d'accueil des déchetteries publiques pour les professionnels en termes de traçabilité, de coût et d'horaire… Le foncier doit être mis à disposition à un prix résiduel au bénéfice des sociétés d'économie mixte ou opérateur « déchets » afin de maintenir un coût soutenable pour les entreprises.

La deuxième priorité consiste à lutter contre les dépôts sauvages et les sites illégaux. À cette fin, il faut développer l'information sur les normes et leurs sanctions. Nos entreprises doivent avoir connaissance des modalités de gestion réglementaire des déchets et des sanctions encourues en cas de non-respect de ces exigences. Cela revient à notre fédération car nul n'est censé ignorer la loi mais l'inflation législative et l'inintelligibilité de la loi rendent impossibles l'application de l'adage.

Il faut développer l'accès à l'information sur les déchetteries car les entreprises doivent avoir connaissance des différentes solutions d'élimination qui s'offrent à elles : réemploi ; recyclage ; valorisation ou enfouissement. Les entreprises doivent avoir accès aux déchetteries dans des conditions acceptables en termes de distance, de coûts, de suivi administratif, etc. Nous avons créé une application pouvant être installée sur n'importe quel smart phone qui permet à une entreprise qui a des déchets à évacuer de localiser la déchetterie la plus proche correspondant à la nature des matériaux concernés. Il faut aider notre profession à tenir à jour les informations permettant cette localisation. Nous sommes partisans de favoriser la régularisation des sites illégaux lorsque c'est possible. L'objectif n'est pas de se montrer répressif en fermant les sites non autorisés – ce qui risquerait de créer de nouveaux dépôts sauvages, mais dans les cas où cela est possible, régularisons la situation de ces centres d'accueil illégaux.

La troisième priorité nous semble être de contribuer à l'objectif fixé par la directive-cadre européenne sur les déchets : « remployer, valoriser ou recycler 70 % des déchets du BTP à horizon 2020 », repris dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. La FFB inscrit ses actions dans le modèle de l'économie circulaire en prévenant la production de déchets et en favorisant le réemploi et le recyclage des matériaux inertes et non dangereux. Mais cet objectif ne pourra être atteint qu'en mobilisant l'ensemble des acteurs de l'acte de construire : fabricants, maîtres d'ouvrage, maîtres d'oeuvre, entreprises et installations de traitement des déchets.

Nous préconisons à nouveau le renforcement du maillage en installations de regroupement du tri du recyclage et du négoce. Des actions, financières notamment, devront être conduites afin d'inciter les entreprises à orienter leurs déchets vers des filières de recyclage. L'implication des fabricants de matériaux et de produits de construction sur la possibilité de recycler les matériaux, en termes de technique, de coût et de communication auprès des entreprises, est indispensable.

Il faut favoriser le recyclage et le réemploi en intégrant les bonnes pratiques à chaque étape d'un projet. Cela concerne le contrat de maîtrise d'oeuvre qui doit intégrer des exigences de suivi et de contrôle. Les dossiers de consultation des entreprises (DCE) doivent intégrer les exigences d'évaluation, de tri, de suivi et de contrôle. La valorisation des aspects environnementaux dans la notation peut être un élément de sélection des entreprises. En ce qui concerne les chantiers, la vérification du respect des normes doit être systématique.

La quatrième et dernière priorité est simple : il s'agit de prendre en compte efficacement la gestion des déchets dans les marchés de travaux en responsabilisant l'ensemble des acteurs, particulièrement la maîtrise d'ouvrage qui doit chiffrer ces coûts supplémentaires. Cela n'est pas toujours le cas au stade de l'appel d'offres : le sujet est souvent traité après et n'a pas été annoncé clairement, même si on sait que la responsabilité incombe à l'entreprise. Il n'existe pas de solution idéale pour intégrer le coût de la gestion des déchets dans les marchés de travaux, la solution doit être adaptée au contexte du marché. Cela peut dépendre de la taille et de l'emplacement de ce dernier ou de l'espace disponible sur le chantier.

Bien évidemment, ces différents objectifs sont partagés par tous, mais donnons-nous les moyens, à l'occasion du projet de « Grand Paris », d'organiser la gestion et le traitement des déchets sur l'ensemble de la métropole, car ils sont à la croisée des enjeux environnementaux et économiques.

Gérons et traitons nos déchets pour une efficience de l'utilisation des ressources. Dans un contexte de raréfaction et de fluctuation du coût des matières premières, une bonne gestion de nos déchets contribuera à sécuriser les approvisionnements dont la France a besoin et à réindustrialiser le territoire national.

N'oublions surtout pas qu'en France, le secteur de la gestion des déchets représente plus de 135 000 emplois. Le « Grand Paris » doit acter le passage à une logique de gestion des ressources, grâce à une coopération entre les acteurs économiques, sur les territoires, aussi bien que dans les politiques nationales.

Cette nouvelle politique permettra : d'éviter le gaspillage de ressources et d'énergie ; de sécuriser l'approvisionnement de l'économie française en matières premières ; de diminuer ses impacts environnementaux ; de réindustrialiser les territoires ; de limiter la production de déchets non réutilisés et d'augmenter la compétitivité des entreprises françaises.

Si la gestion et le traitement des déchets constituent un enjeu, voire un pilier du « Grand Paris », alors soyons non seulement tous ensemble acteurs, mais aussi promoteurs de ces différentes actions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion