Pour soutenir l'innovation, Bpifrance dispose de trois principaux leviers d'action.
Le premier est le financement de l'innovation, qui prend principalement deux formes. Il s'agit, d'une part, des aides individuelles aux entreprises : elles recouvrent une gamme de produits allant des bourses French Tech – de l'ordre de 30 000 euros – jusqu'aux prêts innovation pouvant atteindre 3 millions. Elles sont principalement financées par le programme budgétaire 192 Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle, dont la baisse des dotations nous préoccupe car elle nous paraît contracyclique par rapport à la tendance actuelle et aux besoins de l'économie. Il s'agit, d'autre part, des programmes collaboratifs financés en majeure partie par le programme d'investissements d'avenir (PIA). En forte progression ces dernières années, ils permettent d'accélérer la création de filières ou de faire collaborer certains acteurs de tailles différentes, y compris des laboratoires de recherche, autour de projets innovants.
En 2014, le financement aux entreprises innovantes a représenté plus de 1 milliard d'euros, soit 40 % de plus par rapport à 2013, et ces moyens sont appelés à quasiment doubler, conformément au chemin tracé dans le premier plan stratégique de Bpifrance. Sur ce milliard, une grosse moitié est consacrée aux aides individuelles et une petite moitié aux programmes collaboratifs. Cette importante mobilisation du financement public, que l'on retrouve dans les écosystèmes innovants de pays comme la Suède, la Finlande, Israël ou la Corée, permet de bancariser des secteurs qui ne sont pas bancarisables, en raison du niveau de risques des projets, puis de les conduire vers un écosystème privé de financement. En 2014, 90 % de ces financements ont été attribués à des entreprises de moins de cinquante salariés, qui connaissent une croissance plus forte que la moyenne des entreprises en France.
Le deuxième levier est constitué par les investissements directs de Bpifrance dans le capital-risque. Elle gère ainsi cinq fonds d'investissement : le fonds Ambition numérique, le fonds Écotechnologies, le fonds French Tech Accélération, tous trois soutenus par le programme d'investissements d'avenir ; le fonds Pôle Sciences de la vie, doté à partir des fonds propres de Bpifrance et des financements des principaux laboratoires pharmaceutiques opérant en France ; le fonds Large Venture, lancé il y a dix-huit mois pour des tickets de plus de 10 millions d'euros, et doté de plus de 600 millions d'euros à partir de nos fonds propres. À travers ces fonds, Bpifrance prend des participations directes dans des entreprises au même titre que des sociétés de gestion privées de capital-risque.
Le troisième levier d'action est majeur : il s'agit de l'activité de fonds de fonds, dont est chargé Daniel Balmisse que votre mission a déjà auditionné. La Bpifrance finance chaque année, à hauteur de 250 millions à 350 millions d'euros, une centaine de sociétés de gestion et de fonds de capital-risque de la place de Paris, au travers de financements du programme d'investissements d'avenir – c'est le cas du Fonds national d'amorçage – ou de nos fonds propres. Cette politique de la France, constante depuis une quinzaine d'années, nous a permis de créer une véritable économie du capital-risque, extrêmement en avance par rapport à d'autres pays d'Europe continentale. La France tient là l'occasion de devenir l'une des premières plateformes de capital-risque européen – évolution que nous encourageons dans le cadre du plan Juncker –, aux côtés du Royaume-Uni, mais selon un modèle différent. L'Allemagne, comme nous avons pu le constater avec Nicolas Dufourcq lors d'une récente visite, ne compte qu'une dizaine de fonds de capital-risque alors que l'on en dénombre près de deux cents en France.
Les fonds de fonds, j'insiste sur ce point, sont notre principal levier en matière de capital-risque. Chaque euro d'argent public peut générer ainsi jusqu'à trois euros d'investissement, les deux euros complémentaires provenant de fonds privés français ou internationaux.
Pour coordonner sa politique en matière de soutien à l'innovation, Bpifrance a créé une direction de l'innovation dont j'ai la chance d'occuper la tête depuis maintenant deux ans. Elle a un statut un peu particulier puisqu'elle a en charge à la fois le financement de l'innovation et l'investissement direct dans le capital-risque. Nous entendons nous placer au coeur de l'écosystème de l'innovation et dégager une vision d'ensemble des outils de soutien à l'innovation. Quels que soient nos clients, de l'entrepreneur ayant besoin d'une bourse French Tech de 30 000 euros pour acheter des ordinateurs à la société s'apprêtant à faire une importante levée de fonds – nous venons ainsi de contribuer à hauteur de 17 millions à la levée de 100 millions d'euros de Sigfox –, nous voulons faire en sorte d'industrialiser leur parcours, de manière fluide et efficace, afin que leur croissance soit la plus rapide possible. C'est ainsi que nous créerons les champions de demain.
Pour rendre plus efficace l'utilisation des moyens publics dans le développement de l'innovation, nous avons élaboré il y a dix-huit mois un plan de transformation, travail qui a permis à l'ensemble de nos collaborateurs de s'exprimer et aux acteurs de l'écosystème de faire part de leurs remarques sur les points positifs et négatifs. Ce plan baptisé Nova repose sur trois axes principaux.
Le premier axe est la simplification.
Nous essayons de mettre en cohérence les divers financements dont nous bénéficions – programme d'investissements d'avenir, programme 192, aides de la direction générale des entreprises (DGE), fonds européens – et de rendre le plus fluide et le plus efficace possible le processus d'allocation des moyens.
Nous sommes ainsi parvenus à réduire les délais de décision : ils ont été divisés par trois s'agissant des programmes collaboratifs et réduits de 23 % s'agissant de l'aide à l'innovation. Par ailleurs, nous avons mis en place un formulaire unique et mené une enquête de satisfaction auprès de nos clients, qui nous permet d'avoir un retour sur ce qu'ils veulent voir simplifier.
Le deuxième axe est l'accompagnement.
Notre conviction est que, au-delà du financement, il importe de veiller à ce que l'entreprise s'insère dans un écosystème où elle pourra puiser compétences technologiques et expériences. C'est toute la force des écosystèmes de la Silicon Valley ou d'Israël.
Nous avons formé nos 120 chargés d'affaires, qui sont au contact quotidien des entrepreneurs, aux enjeux du capital-risque de façon qu'ils puissent les sensibiliser aux exigences des investisseurs, dimension essentielle au continuum de financement.
Nous avons lancé l'initiative French Tech, sorte de « pass VIP » à destination des entreprises en hypercroissance, qui repose sur la coordination des actions de Business France, de la Coface, des pôles de compétitivité et de l'Institut national de la propriété industrielle, (INPI).
En outre, avec les acteurs de l'écosystème, nous avons lancé un travail approfondi de réflexion sur les critères de l'innovation, partant du constat qu'en France, les outils d'évaluation de l'innovation étaient trop centrés sur la technologie en tant que telle. Certes, elle constitue l'un des atouts de notre pays mais pour la valoriser, il est nécessaire de mettre en oeuvre des processus reposant sur d'autres éléments d'innovation. De plus, certaines entreprises comme BlaBlaCar ont transformé des usages sans que la technologie soit au coeur de l'innovation.
Nous avons ainsi élaboré un guide intitulé Innovation nouvelle génération qui met en avant de nouveaux repères intégrant six dimensions de l'innovation : innovation technologique ; innovation de procédé et d'organisation ; innovation de produit, service et usage ; innovation de modèle d'affaires ; innovation marketing et commerciale ; innovation sociale. La prise en compte de ces nouveaux critères nous a permis en 2014 de doubler le financement du design, qui représente pour nous une voie extrêmement importante de valorisation de la technologie. Nous entendons diffuser très largement cette analyse afin qu'elle soit partagée.
Le troisième axe du plan Nova est la continuité entre tous les types de financement de l'innovation.
Nous avons mobilisé des moyens importants grâce au programme d'investissements d'avenir et au Fonds européen d'investissement (FEI) avec lequel nous avons lancé le prêt innovation dont les dotations, de 200 millions en 2014, ont doublé par rapport à 2013.
Nous avons, par ailleurs, mis en place le fonds Large Venture, qui permet d'octroyer des financements de plusieurs dizaines de millions d'euros à des entreprises appelées à devenir des leaders mondiaux alors que ce type de financement provenait auparavant principalement de fonds anglo-saxons. En 2014, Bpifrance a ainsi directement participé à 70 % des levées de plus de 20 millions d'euros de sociétés mises en bourse sur Alternext.
Nous avons également financé des fonds de capital-risque comme Partech à hauteur de 200 millions d'euros. Notre objectif est de faire en sorte que des acteurs privés français soient en mesure de participer à des levées de fonds de plus de 100 millions d'euros.
Simplification, accompagnement, mobilisation de moyens sont nos axes d'action pour accompagner une période que nous considérons comme exceptionnelle : l'écosystème de l'innovation est en train de changer de dimension en France, s'approchant des modèles d'Israël et des pays nordiques. Une multitude de signaux nous le laissent penser : qualité des entreprises, mobilisation des acteurs, expérience accrue, multiplication des levées de fonds approchant la centaine de millions d'euros – citons BlaBlaCar, Sarenza, Sigfox. Le nombre d'entreprises cotées au Nasdaq augmente : près de dix ans après Business Objects, il y a eu, en 2013, Criteo, valorisée à près de 2 milliards de dollars, suivie en 2014 de DBV Technologies, valorisée à 1 milliard de dollars après une levée de fonds de 100 millions, et, dans quelques semaines, de Selectis.
En conclusion, je ferai part de nos deux principales préoccupations.
La première a trait au programme 192. Le dispositif de l'aide individuelle aux entreprises est un élément essentiel de la stratégie que nous menons car il permet d'irriguer le financement d'entreprises encore fragiles, start-up ou PME. Certes, nous comprenons les impératifs budgétaires qui s'imposent, compte tenu de la réalité des finances publiques. Il n'empêche que la pression qui s'exerce sur ce programme est contracyclique : chaque année, des entrepreneurs toujours plus nombreux présentent des projets tous plus passionnants les uns que les autres. Or, la base de la pyramide que nous nous efforçons de construire avec les acteurs de l'écosystème est potentiellement en danger. Avec la baisse des crédits de ce programme, ce sera autant d'entreprises qui ne pourront se créer ou développer leurs projets. Il nous faut donc rechercher des solutions pérennes pour stabiliser ces crédits.
Notre deuxième préoccupation porte sur la nécessité de mieux connecter l'écosystème de l'innovation à l'écosystème des grands groupes et des entreprises de taille intermédiaire française. Nous nous situons au deuxième rang pour le capital-risque en Europe mais sommes au quatrième rang en termes d'acquisitions. Les entreprises françaises attirent de plus en plus d'investisseurs étrangers, en particulier américains – je vous renvoie à l'exemple récent du fonds d'investissement créé par CISCO. Pourquoi les grands groupes et les entreprises de taille intermédiaire français ne se montrent-ils pas aussi actifs pour valoriser notre écosystème ? Il nous appartient de montrer à ces entreprises l'importance de tirer profit de la formidable transformation de notre tissu industriel et des innovations qu'il porte. Dans cette perspective, nous avons créé un Hub start-up afin de mieux faire connaître le potentiel de ces nouvelles entreprises.