L'AFDEL regroupe trois cents entreprises éditrices de logiciels et actrices de l'Internet : des grands groupes nationaux et internationaux mais surtout un écosystème de PME et de start-up.
Je m'attacherai tout d'abord à cerner les besoins de financement des entreprises que nous représentons, puis à vous faire part de leurs retours sur les produits de Bpifrance, enfin, à dessiner une problématique liée à la politique industrielle et à la dimension stratégique de la politique de filière en lien avec l'action de Bpifrance.
Nos entreprises appartiennent à un secteur à forte intensité capitalistique due à un effort majeur de R & D en amont – il faut parfois trois années de recherche avant qu'un produit ne puisse sortir sur le marché. Elles se plaignent à juste titre d'une faible éligibilité aux dispositifs d'aides publiques à la R & D que sont, par exemple, le crédit d'impôt-recherche ou les aides destinées aux jeunes entreprises innovantes (JEI). La recherche expérimentale dans le domaine du logiciel et d'internet répond peu aux critères mis en avant pour bénéficier de soutiens.
Il s'agit d'un secteur peu attractif financièrement pour le non-initié. Il est avant tout constitué de PME – la centième entreprise française éditrice de logiciels réalise un peu plus de 5 millions de chiffres d'affaires – et repose sur des modèles économiques dont les analystes financiers ont une connaissance assez faible et qui ne sont pas toujours faciles à lire, il faut le reconnaître. Ainsi, le freemium¸ qui consiste dans un premier temps à offrir gratuitement un produit dans l'espoir de vendre une offre premium, est contre-intuitif pour un banquier ; quant au logiciel en tant que service, où la rémunération repose sur l'abonnement, il suppose d'apprécier sur trois ans les modèle de revenus. La R & D exige des apports immédiats alors que les revenus tardent à venir, les entreprises ayant tendance à accumuler les pertes à leurs débuts.
Il s'agit, par ailleurs, d'un secteur où le risque est important. Il connaît beaucoup de défaillances, caractéristique propre aux secteurs innovants. Les possibilités de sorties pour les investisseurs ne sont pas légions en France. Les grands groupes industriels français s'intéressent malheureusement assez peu à ces entreprises, à quelques exceptions notables comme Schneider Electric. Les sorties boursières se jouent pour leur très grande majorité sur d'autres marchés que les marchés français et européen et nous sommes loin du modèle israélien et de ses cinquante sociétés cotées chaque année au Nasdaq. Criteo vient d'y être côtée, mais la précédente entrée remontait à plus de dix ans avec Business Objects.
Le financement constitue cependant un enjeu très important pour ces entreprises qui enregistrent des taux de croissance bien supérieurs au PIB et participent au mouvement profond de transformation numérique de l'économie et de la société.
Bpifrance répond-elle aux besoins de ces entreprises ? Nous avons posé la question à nos adhérents et je peux vous dire qu'ils considèrent que oui, très majoritairement. Ils soulignent la qualité de la relation qui s'établit avec les interlocuteurs de Bpifrance, en mettant en avant la rapidité d'examen et de traitement des dossiers, la compétence des chargés d'affaires, leur volontarisme affiché. Ils insistent sur le besoin d'accompagnement, et je me réjouis que Bpifrance souhaite améliorer cette dimension. Bref, c'est le jour et la nuit entre Bpifrance et le secteur bancaire classique qui ne joue pas son rôle en matière de financement de l'innovation.
Nos adhérents soulignent encore la bonne compréhension des modèles économiques et des enjeux du numérique chez leurs interlocuteurs et se félicitent que Bpifrance mise sur le financement de l'immatériel, en offrant une multitude de produits correspondant aux divers stades de développement des entreprises, de l'amorçage de la R & D jusqu'à la stratégie à l'export.
Toutefois, ils considèrent que les critères d'appréciation restent assez classiques : ils renvoient principalement à la rentabilité, ce que l'on peut comprendre puisque Bpifrance est une banque.
Il leur apparaît également que la technologie semble davantage privilégiée dans le financement de l'innovation. À cet égard, je me réjouis des nouveaux critères mis en avant dans Innovation nouvelle génération que Bpifrance a publié avec la Fondation internet nouvelle génération (FING). Cette volonté constante d'amélioration est très appréciable et nous attendons beaucoup de la traduction dans les faits de ce nouveau référentiel, compte tenu de la tendance des investisseurs à financer des brevets plutôt que des innovations liées à l'usage ou aux modèles d'affaires.
Enfin, les petits acteurs, tels que les entreprises misant sur des développements à forts risques, se plaignent d'être moins considérés.
Reste que Bpifrance joue un rôle d'irrigation du secteur du capital-risque qui revêt une importance stratégique : notre pays a pu se positionner à la deuxième place en Europe en ce domaine. Nous ne pouvons que nous en réjouir, compte tenu du fait que le modèle du capital-risque est incontournable dans notre secteur.
Les besoins en fonds propres font partie des attentes que les entreprises du secteur parviennent le moins à satisfaire. Certes, le fonds Ambition numérique (FSN PME) a permis de financer pour des deuxièmes ou des troisièmes tours de table une vingtaine d'entreprises dont les taux de croissance atteignent deux voire trois chiffres. Cependant, il est loin de couvrir l'ensemble des besoins.
Je finirai par la stratégie pour le numérique. Force est de constater qu'il n'y a pas d'équivalent de l'ADEME pour le numérique en France. La stratégie industrielle de la France repose sur trente-quatre plans industriels différents. Ils font l'objet d'un louable effort de synthèse de la part des services de l'État, qui conduira sans doute à la réduction du nombre des plans dédiés au numérique. À cela s'ajoutent des comités stratégiques de filière, presque aussi nombreux que ces plans industriels. Je dois dire que je déplore, en tant que vice-président du comité stratégique de filière numérique, que ce secteur ne figure pas dans le viseur du Gouvernement pour la définition de la feuille de route stratégique des investissements publics de l'État. La France a aussi besoin d'avoir des champions dans ce domaine. Les pouvoirs publics doivent soutenir les acteurs susceptibles de conquérir des marchés. Dans le domaine de la cybersécurité, qui compte plusieurs pépites, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) est ainsi bien consciente de l'enjeu de souveraineté attaché au rayonnement de nos entreprises à l'international. Il m'apparaît donc primordial de revoir la définition de cette feuille de route stratégique, grâce à un travail conjoint de Bpifrance, d'autres acteurs de l'État et de l'écosystème.