Madame la ministre, cette réforme des collèges est la première qui porte votre marque depuis votre nomination. En dépit des grandes ambitions affichées dans la loi de refondation de l'école, votre prédécesseur s'était plutôt cassé les dents sur ce dossier. Alors qu'il avait choisi la méthode Coué, affirmant qu'il ne fallait pas avoir une vision trop négative de l'école, vous avez quant à vous choisi d'en dire tous les maux, ce qui est un bon début. Toutefois, ce qui fait la différence entre votre approche et la nôtre, ce sont les moyens d'y remédier.
Le sujet étant immense, je n'aborderai que deux points : l'autonomie des établissements et la suppression de l'enseignement du latin.
Votre réforme ne dit quasiment rien des chefs d'établissement qui devraient être les chefs d'orchestre de politiques d'établissement centrées sur quelques objectifs fondamentaux dont ils devraient animer – et, pourquoi pas, contrôler – la conduite : la maîtrise des savoirs fondamentaux, la pédagogie concentrée sur les progrès de l'élève, soigneusement évalué, la valorisation des pratiques pédagogiques innovantes et efficaces, et le respect de la qualité des enseignants. La question de l'autonomie ne se règle pas seulement en laissant aux établissements la liberté de consacrer 20 % du temps scolaire à des enseignements pratiques interdisciplinaires dont l'appropriation par les enseignants prendra du temps. Pourquoi n'avoir rien dit au sujet de la nécessaire redéfinition des missions du chef d'établissement ?
Ma seconde question portera sur le latin. Après avoir supprimé les internats d'excellence, tenté de décourager les enseignants de classe préparatoire au motif que tout le monde n'y a pas accès, et essayé de supprimer les bourses au mérite, symboles s'il en est de l'égalité républicaine, voici la nouvelle cible d'une idéologie qui consiste à justifier par la lutte contre les inégalités sociales la suppression de ce que vous considérez comme le symbole de celles-ci : les langues anciennes. Vous et les vôtres vivez de clichés qui n'ont plus cours depuis bien longtemps dans les classes de latinistes au profit desquels les enseignants ont développé des pratiques très innovantes. Il y a belle lurette que le latin n'est plus instrumentalisé pour faire des classes de niveau. Oui, on peut être un élève moyen et étudier avec plaisir le latin. Je ne reviendrai pas sur les apports d'une discipline si précieuse à la formation de l'esprit logique, si utile à l'accès à des penseurs majeurs, si essentielle pour comprendre les fondements de notre langue et de notre civilisation. Ai-je besoin de rappeler que ce sont des mosaïques romaines que les touristes allaient voir au musée du Bardo à Tunis ?
Votre réforme porte gravement atteinte à l'enseignement du latin. Certes, sous l'appellation « Langues et cultures de l'Antiquité », il figurera parmi les huit EPI possibles. Il pourra être enseigné par des professeurs de latin, mais aussi par des professeurs enseignant d'autres disciplines. Cette réforme aura toutefois des effets systémiques. Une langue qui n'est plus étudiée au collège comme une matière à part entière, c'est une langue que l'on n'enseigne plus, que l'on n'apprend donc plus à enseigner, et qui meurt. C'est un patrimoine qui devient inintelligible, un trésor qu'on ne partage plus et auquel seule une élite – car, pour le coup, il s'agira bien d'une élite – aura encore accès. Madame la ministre, quel prix attachez-vous à l'enseignement du latin ?
Enfin, j'aurai une requête à vous adresser, Monsieur le président : je sais qu'il n'est pas d'usage dans notre commission d'engager un débat. Toutefois, sur cette question sensible – et au sujet de laquelle nous avons tous été interpellés par les professeurs de langues anciennes –, les réponses de la ministre sont jusqu'à présent restées très évasives. Je souhaiterais donc que nous puissions dialoguer avec Mme la ministre si ses réponses à nos questions ne clarifient pas la situation.