Je commencerai par répondre à la question la plus récurrente, celle de l'enseignement du latin et du grec. C'est avec plaisir que j'engagerai, si nécessaire, le débat réclamé par Mme Genevard. Soyons lucides : pour la très vaste majorité des 20 % d'élèves qui passent aujourd'hui par des classes bilingues ou qui choisissent l'option latin, le collège actuel fonctionne très bien et n'a aucun besoin d'être réformé. Mais les autres élèves n'ont-ils pas droit eux aussi à un collège qui réussisse ? Il convient en effet de faire en sorte que tous les collégiens puissent accéder à l'enrichissement que constitue l'apprentissage plus précoce d'une seconde langue et la découverte des cultures et langues antiques. Pour avoir fait moi-même du latin, je sais à quel point l'ouverture aux cultures et langues de l'Antiquité joue un rôle important dans l'acquisition d'une culture commune, dans la construction de la citoyenneté, dans l'apprentissage de ces langues en tant que telles et dans celui de l'histoire des civilisations. Pour toutes ces raisons, je ne me satisfais pas que cet enseignement soit réservé à quelques-uns ! Il ne s'agit donc pas de supprimer une possibilité réservée à un petit nombre, mais de généraliser son accès à tous les collégiens, comme pour les langues vivantes.
À cet effet, nous procédons de deux façons : d'une part, nous introduisons dans l'enseignement du français une initiation à l'étude des langues anciennes, car celles-ci permettent de mieux comprendre les principes fondamentaux de la langue française, l'étymologie, la composition des mots et les fonctions grammaticales. D'une certaine façon, nous mettons l'excellence au service de la réussite de tous les collégiens et de la réduction des inégalités dans la maîtrise de la langue française. D'autre part, dans le nouveau collège, comme aujourd'hui, les élèves pourront apprendre le latin de la cinquième à la troisième, et le grec dès la troisième : ces enseignements ne porteront plus le nom d'options facultatives, mais d'enseignements pratiques interdisciplinaires. Ce changement de nom s'explique précisément par la raison que vous invoquiez, Monsieur Hetzel, et je m'étonne que vous n'ayez pas fait le lien : vous indiquiez en effet que dans d'autres pays, on a su moderniser l'apprentissage des langues et cultures anciennes en donnant d'autres choses à voir que la langue en tant que telle, c'est-à-dire en parlant d'histoire et de civilisation. Or c'est exactement à cela que serviront les EPI, qui, au-delà de la langue, qui continuera bien sûr à être enseignée, permettront d'aborder les questions d'histoire, de civilisation et de culture. Je confirme que l'EPI « Langues et cultures de l'Antiquité » comportera le même nombre d'heures d'enseignement que l'option aujourd'hui existante : les élèves n'y perdront rien.
S'agissant des langues vivantes en général, il a été demandé si l'on y perdait avec l'introduction de la LV2 en cinquième. Comment pourrait-on y perdre, alors que la LV1 s'apprendra dès le CP – ce qui signifie que les élèves l'apprendront non seulement plus précocement, mais aussi pendant de plus nombreuses années que s'ils commençaient cet apprentissage en sixième – et la LV2 dès la cinquième ? Le nouveau collège permettra donc à tous les collégiens de s'initier au latin ou aux langues vivantes, et, s'ils le souhaitent, d'en approfondir l'apprentissage, beaucoup mieux que ce n'est le cas aujourd'hui où l'option latin, les classes bilingues et les classes européennes ne s'adressent qu'à 15 à 20 % des élèves. Je réfute donc toutes les accusations de nivellement par le bas : c'est au contraire tirer tout le monde vers le haut et vers l'excellence que de veiller à ce que ces possibilités soient offertes à chacun.
En ce qui concerne l'accompagnement des équipes dans l'application de la réforme, sachez que, dès ce printemps, nous commencerons la formation des cadres – chefs d'établissement et inspecteurs pédagogiques régionaux – au nouveau collège, à ses nouvelles modalités d'enseignement et au nouveau socle commun. Dès la rentrée scolaire de 2015, des formations sur site pourront ainsi être organisées dans chaque collège, où des formateurs iront apprendre aux enseignants à travailler en équipe dans le cadre des EPI.
Je suis surprise que M. Hetzel m'ait interrogée sur le nombre d'heures de cours de français : les élèves bénéficiaient de dix-huit heures de français au collège en 1985 et de dix-sept heures et demie en 2002. Or la présente réforme ne réduit aucunement le nombre d'heures de cours de chaque discipline et je ne vois pas où se situe la baisse massive qu'il a évoquée. Ne nous livrons pas à une querelle de chiffres : l'enjeu n'est pas quantitatif mais qualitatif. Lorsque des élèves ne s'intéressent pas à une discipline, ce n'est pas avec davantage d'heures de cours qu'ils se l'approprient. Pour l'heure, nous ne parvenons pas à retenir l'attention de nombreux enfants : c'est donc peut-être que nos pratiques pédagogiques ne sont pas optimales. C'est pourquoi nous créons des enseignements pratiques interdisciplinaires et instaurons un accompagnement personnalisé.
Certains trouvent que nous allons trop loin, que nous allons révolutionner le collège en accordant 20 % d'autonomie aux équipes, tandis que d'autres estiment que nous ne changeons pas grand-chose et qu'il s'agit de mesurettes factices et accessoires. Sans doute ces attaques paradoxales signifient que nous avons trouvé un juste milieu. En arrivant au ministère, je n'ai jamais annoncé de « révolution » et ai toujours pris la précaution de concevoir les réformes en partant de ce qui marche sur le terrain. Ainsi, par exemple, dans un collège de Soissons, qui n'était pas le plus favorisé des établissements, nous avons expérimenté le nouvel accompagnement personnalisé, qui a fourni des résultats extraordinaires : en trois ans, les résultats des élèves au brevet se sont considérablement améliorés. Dans toutes les parties du territoire, on a su inventer des outils d'avant-garde efficaces que cette réforme met à disposition de l'ensemble des collégiens.
S'agissant de l'autonomie des chefs d'établissement, si 20 % du temps scolaire est organisé comme ils le souhaitent, cela se fera dans un cadre précis. Ces 20 % comprendront des EPI, de l'accompagnement personnalisé et du travail en petits groupes. Il reviendra à l'équipe pédagogique de définir l'objet sur lequel porteront ces enseignements en fonction de la réalité de l'établissement, de même que les modalités de l'accompagnement personnalisé. Le chef d'établissement aura un important rôle à jouer en la matière : c'est à lui qu'il reviendra de distribuer les indemnités pour missions particulières créées dans le décret du 20 août 2014 tout à l'heure évoqué. Celles-ci permettent justement de surrémunérer les enseignants qui prennent des responsabilités, notamment lorsqu'ils sont « référents décrochage » ou « référents discipline ». Mais à ses côtés, le conseil pédagogique, qui réunit le chef d'établissement et les enseignants, devra pleinement jouer son rôle afin que les décisions relatives à l'organisation de ces 20 % de temps scolaire soient prises de manière collective au début de l'année, et qu'elles donnent lieu à discussion au lieu d'être imposées. C'est d'autant plus important que les enseignants auront ensuite à travailler en équipe dans le cadre des EPI.
Même si cette démarche de travail en équipe ne concerne que 20 % du temps scolaire, dès lors que le conseil pédagogique et le chef d'établissement jouent tout leur rôle, cela finira par avoir un impact sur 100 % de ce temps. Le travail d'équipe aura un effet sur le temps strictement disciplinaire, car, les enseignants se parlant davantage, ils suivront de façon beaucoup plus réactive et précoce les difficultés des élèves. Ainsi, ils pourront par exemple éviter que tous les devoirs ne soient concentrés sur une même période.
Il est inexact d'affirmer, monsieur Hetzel, que l'accompagnement personnalisé n'aurait pas été inclus dans les missions des enseignants : je vous invite à relire le décret qui mentionne expressément que l'aide et le suivi du travail personnel des élèves font partie des missions des enseignants et sont notamment valorisés par les indemnités pour missions particulières.
Plusieurs députés ayant évoqué l'évaluation de la réforme, je rappelle qu'il existe des études nationales et internationales pour mesurer les résultats des élèves. On peut penser ce que l'on veut de PISA : toujours est-il que ce programme constitue un élément d'appréciation de notre système. Nous disposons surtout des enquêtes du Cycle d'enquêtes disciplinaires réalisées sur échantillon (CEDRE) conduites en France par la direction de la prospective. Il est vrai que le CNESCO est un outil d'évaluation intéressant, même si son rôle dépasse le cadre de cette réforme. Enfin, s'agissant de la carte scolaire et de la mixité dans les établissements, j'ai décidé de m'adjoindre les lumières d'un conseil scientifique. Ainsi, dans notre travail d'état des lieux et de simulation visant au redécoupage des secteurs, nous serons accompagnés par des chercheurs reconnus, qui ont beaucoup travaillé sur les questions de mixité sociale à l'école, tels que Pierre Merle, Éric Maurin, Agnès van Zanten, ou des chercheurs de l'École d'économie de Paris. Ce conseil scientifique nous permettra d'évaluer pas à pas les moindres mesures que nous prendrons pour éviter les actions contre-productives. Cela étant, on peut toujours s'améliorer en matière d'évaluation et je suis à l'écoute des propositions que vous pourriez formuler à cet égard.
Je vous accorde que le rapport de la Cour des comptes que vous avez cité est très critique à l'égard de nos dispositifs d'accompagnement personnalisé, mais c'est précisément à cela que répond notre réforme des collèges. La Cour des comptes estime en effet que l'État dépense beaucoup d'argent dans des dispositifs épars, non systématisés et qui ne sont pas forcément inclus dans le temps scolaire. Or, lorsque l'on prévoit trois heures au minimum d'accompagnement personnalisé en sixième, et une heure au minimum en cinquième, quatrième et troisième, cela s'intègre dans le temps scolaire et n'est pas optionnel.
Barbara Pompili a évoqué la bivalence. Avec cette réforme, nous laissons la possibilité aux enseignants, en arts et en sciences notamment, d'organiser leurs cours selon des modalités plus souples que les modalités disciplinaires. Cette réforme des collèges n'instaure pas de bivalence, mais, par le biais des enseignements pratiques interdisciplinaires et de la création de pôles d'organisation commune des disciplines précitées, elle ouvre la voie sans rien imposer. Il convient en effet de laisser de la souplesse aux enseignants, sans chercher forcément à leur imposer les choses.
Le Conseil supérieur des programmes ayant été cité, j'en profite pour remercier ses membres. Je me réjouis que, il y a dix jours, le Conseil supérieur de l'éducation ait adopté le socle commun à une large majorité. Il est assez remarquable que l'on puisse s'entendre sur ce que tout élève doit maîtriser à la fin de sa scolarité obligatoire, dans des termes qui me paraissent suffisamment clairs pour que tout un chacun – notamment les parents – puisse les comprendre. L'adoption de ce socle aura un impact sur tous les programmes : le CSP en déclinera le contenu dans l'ensemble des programmes de la scolarité obligatoire. C'est pourquoi la réforme du brevet est importante : il s'agit en effet de faire en sorte que ce que l'on évalue à la fin de la scolarité obligatoire corresponde à ce que l'on trouve dans les programmes qui correspondent eux-mêmes au socle. Jusqu'à présent, on constatait un certain flottement en la matière : les choses étaient peu claires pour les enseignants. Les programmes sont en cours d'élaboration et une première version sera connue dans quelques jours. Les enseignants seront ensuite consultés, comme ils l'ont été sur le socle. Ce fut d'ailleurs là une nouveauté et le taux de retour a été très élevé – je tiens à le souligner, car j'avais été conspuée lors de la demi-journée de consultation de l'automne dernier. Les enseignants s'approprieront ce socle, puisqu'ils ont eu à se prononcer. Les programmes seront adoptés définitivement d'ici à la fin de l'été pour entrer en vigueur à la rentrée 2016.
Plusieurs députés estiment qu'il est compliqué d'apprendre une LV1 à l'école primaire. Tout dépend de la formation des professeurs. Or, dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), les enseignants sont aujourd'hui systématiquement formés à l'enseignement des langues. Les plus anciens y seront progressivement formés, puis suivront une procédure de validation de leurs capacités à enseigner une langue vivante. Une offre de ressources a vu le jour pour cet enseignement, et un portail dédié aux langues a été créé. Des ressources de différentes natures – notamment des vidéos – sont d'ores et déjà à la disposition des enseignants. Ces efforts portent leur fruit car l'apprentissage de la LV1 à l'école élémentaire s'est déjà amélioré au cours des dernières années. Une enquête CEDRE montre que, entre 2004 et 2010, les performances des élèves en fin d'école primaire en anglais ont augmenté, que ce soit en termes de compréhension orale ou écrite. Si ces résultats sont perfectibles, il reste qu'une culture de l'apprentissage de la LV1 dès l'école primaire se développe et sera généralisée en 2016.
Marie-George Buffet a raison d'insister sur l'importance de personnels sociaux et de santé : leur présence constitue pour nous une priorité, notamment auprès des adolescents. C'est pourquoi plus de 400 postes ont été créés en 2014 pour des infirmières et des assistantes sociales dans les collèges. Nous poursuivrons cet effort.
Yves Durand a évoqué la refondation de l'école à l'enseigne de laquelle se déroulent toutes les réformes que nous avons entreprises depuis 2012. La réforme des collèges s'inscrit en effet dans cette logique. Vous avez raison, Monsieur Hetzel, de dire qu'il ne faut pas oublier la priorité accordée au primaire. Nous ne l'oublions nullement. Nous poursuivrons nos efforts en faveur de la préscolarisation des enfants et pour disposer de plus de maîtres que de classes. La réforme des collèges est la continuation de la refondation de l'école, conformément à la logique des cycles. Cette dernière permet d'assurer la transition entre le primaire et le début du collège : le conseil école-collège permettra aux enseignants des premier et second degrés de définir ensemble des programmes plus progressifs, afin de garantir l'acquisition des connaissances par les élèves.
Rudy Salles m'a interrogée sur les CIO. J'ai demandé aux recteurs des départements dans lesquels le conseil général s'est désengagé de l'entretien des CIO de m'adresser des propositions de cartographie afin d'améliorer le maillage territorial des centres et d'apporter une réponse de proximité aux élèves ayant besoin de conseils en orientation. Notre objectif est de passer de 290 à 360 CIO d'État afin de compenser le désengagement des conseils généraux. Dans le même temps, avec nos encouragements, les conseils régionaux joueront un rôle croissant par le biais du service public régional de l'orientation qui les conduira à ouvrir des enceintes d'aide à l'orientation.
Comme je l'avais annoncé lors de la mobilisation qui a suivi les attentats de janvier dernier, nous sommes en train de créer dans tous les départements un conseil d'éducation à la santé et à la citoyenneté. Il sera possible, dans cette enceinte, de lancer des initiatives en présence des parents d'élèves et des personnels enseignants et non enseignants. Ce sera le meilleur endroit pour promouvoir des actions de citoyenneté ou l'organisation de cérémonies commémoratives.
Je suis tout à fait d'accord avec Valérie Corre : le livret scolaire unique numérique n'est pas destiné à remplacer la relation physique entre les parents et le personnel du collège.
Enfin, pour répondre à Julie Sommaruga, je suis très favorable à l'idée d'envoyer les élèves en stage dans des associations. Comme vous l'aurez compris, nous avons décidé de créer au cours de la scolarité un parcours citoyen fondé sur l'enseignement moral et civique, parcours qui verra le jour à la rentrée prochaine. Il permettra de valoriser les élèves qui s'engagent soit au sein de la démocratie de l'établissement – qu'il s'agisse du conseil de vie collégienne ou du conseil de vie lycéenne –, soit au sein d'associations extérieures mais partenaires de l'établissement scolaire. Ce parcours étant en cours d'élaboration, c'est le moment opportun d'en débattre, d'autant plus que les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat conduisent actuellement des missions de réflexion sur l'engagement citoyen. L'objectif est que nous finissions par nous accorder sur l'idée de parcours citoyen, qui visera notamment à inciter les établissements scolaires à conclure des partenariats avec des associations d'éducation populaire. C'est en tout cas l'une des quelques questions que j'ai adressées aux Assises de l'école et de ses partenaires pour les valeurs de la République. Celles-ci prennent la forme de réunions publiques de personnels de l'éducation, d'associations, d'entreprises et des collectivités locales. Nous présenterons la synthèse de leurs contributions le 12 mai prochain.