Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 4 mars 2015 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Madame la présidente de la Commission des affaires étrangères, madame la présidente de la Délégation aux droits des femmes, mesdames et messieurs les députés, parmi les valeurs universelles qui doivent conduire l'engagement de la France dans le monde, l'égalité entre les femmes et les hommes constitue, plus que jamais dans le contexte actuel, un impératif et un marqueur de notre action internationale.

La défense des droits des femmes reste aujourd'hui encore un combat, comme l'actualité nous le rappelle tragiquement. Les atrocités commises par les égorgeurs de DAECH et leurs cousins de Boko Haram frappent tout particulièrement les femmes. De nombreux chiffres témoignent du chemin qui reste à parcourir. Les femmes représentent environ 80 % des victimes de la traite des êtres humains. Plus de 120 millions de filles et de femmes dans le monde ont subi une mutilation sexuelle féminine, et ce sont près de 3 millions de filles âgées de moins de cinq ans qui risquent chaque année d'être mutilées. Tous les ans, environ 20 millions d'interruptions volontaires de grossesse sont réalisées dans des conditions non sécurisées, et causent 50 000 décès de femmes, qui laissent souvent derrière elles des enfants orphelins.

Dans le cadre multilatéral, les droits des femmes ont pourtant connu au cours des dernières décennies des progrès considérables, avec l'adoption de textes majeurs, comme la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, et les programmes d'action issus des conférences du Caire en 1994 et de Pékin en 1995. Alors que nous célébrons cette année les vingt ans de la conférence de Pékin, qui a été fondamentale pour les droits des femmes, force est de constater que les engagements pris n'ont pas la force de l'évidence. Non seulement ils sont trop souvent ignorés, mais ils sont remis en question dans les enceintes multilatérales, sous l'influence de courants conservateurs ou réactionnaires, d'extrémismes de toutes sortes, ainsi que d'un certain relativisme culturel. Or, en matière de droits de l'Homme, un tel contexte aboutit à la régression.

Le combat pour les droits des femmes est donc un combat universel et permanent, et la France le rappellera avec force lors des échéances internationales cette année.

Notre diplomatie en faveur des droits des femmes se décline principalement autour de deux priorités : d'une part, la lutte contre les violences faites aux femmes, et, d'autre part, la promotion de la participation effective des femmes dans la vie politique et économique, y compris au plus haut niveau. L'objectif est simple : il s'agit de faire en sorte que l'égalité entre les femmes et les hommes ne soit plus seulement un principe inscrit dans les textes, mais qu'elle devienne une réalité concrète.

La première des priorités de notre action extérieure, donc, c'est de lutter contre les violences faites aux femmes et contre l'impunité de leurs auteurs.

Les violences sexuelles lors des conflits sont une arme aussi vieille que l'histoire de la guerre. Mais, depuis ces dernières années, les femmes et les filles sont l'objet d'exactions revendiquées par des groupes armés. J'évoquais à l'instant la barbarie de DAECH, qui élimine systématiquement les femmes exerçant des responsabilités, qui viole et réduit en esclavage des milliers de femmes, vendues comme des marchandises sexuelles ou utilisées comme boucliers humains. Je pense bien sûr aussi à Boko Haram, qui ne recule devant aucune exaction, utilisant même des petites filles pour commettre des attentats suicides.

Les violences faites aux femmes ne se limitent pas aux situations de conflits. C'est pourquoi la France est mobilisée dans les enceintes internationales pour lutter contre toutes les formes de violences à l'égard des femmes : violences sexuelles pendant les conflits, mais aussi violences de genre à l'école, mutilations sexuelles féminines, exploitation sexuelle et travail forcé, violences domestiques... Nous avons aussi renforcé nos efforts pour lutter contre l'impunité des auteurs de ces violences.

À l'Assemblée générale des Nations unies, la France porte avec les Pays-Bas, tous les deux ans, une résolution sur l'élimination des violences envers les femmes. Le texte, adopté en novembre dernier, est centré sur la lutte contre l'impunité et a reçu le soutien de 112 États membres. Il contribue à renforcer la prise de conscience progressive de la communauté internationale sur ce sujet majeur. Notre pays a par ailleurs soutenu les toutes premières résolutions des Nations Unies condamnant et luttant contre les mutilations génitales féminines et les mariages forcés.

Le Conseil de sécurité s'est aussi saisi de la question des violences sexuelles dans les conflits, à l'initiative notamment de la France. Il a brisé le silence qui pesait sur ces crimes et a fait des violences sexuelles une question de paix et de sécurité internationale. La France a joué un rôle moteur pour l'adoption des résolutions 1325 et suivantes dites « Femmes, paix et sécurité », qui protègent les femmes dans les conflits et demandent que les femmes soient associées au maintien de la paix et à la sortie de crise. Une revue mondiale de la mise en oeuvre de ces résolutions aura lieu en octobre prochain ; nous entendons y contribuer activement.

La France veille à ce que les dispositions de ces résolutions soient bien prises en compte au Conseil de sécurité lors de la création et du renouvellement des opérations de maintien de la paix, comme c'est le cas pour la République démocratique du Congo, le Mali, la République centrafricaine (RCA) ou encore la Côte d'Ivoire. Nous mettons l'accent sur la lutte contre l'impunité à l'égard des violences sexuelles, et faisons en sorte que la Cour pénale internationale (CPI) puisse jouer tout son rôle, lorsque les États sont défaillants. Nous apportons en outre un soutien politique et financier à ONU Femmes, organisation avec laquelle nous avons renforcé notre partenariat en 2012, ainsi qu'au bureau de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur les violences sexuelles dans les conflits.

Nous avons aussi adopté, dès 2010, un plan national d'action pour mettre en oeuvre les résolutions « Femmes, paix et sécurité ». J'ai le plaisir de vous annoncer que le deuxième plan d'action de la France, élaboré avec tous les ministères concernés et après consultation de la société civile, vient d'être adopté pour la période 2015-2018 et sera prochainement publié sur le site du ministère des affaires étrangères et du développement international. La mise en oeuvre de ce plan fera l'objet d'un rapport final, qui sera présenté au Parlement.

Par ailleurs, la France soutient les progrès du droit international dans la lutte contre la traite des êtres humains, en travaillant à l'universalisation croissante et à la mise en oeuvre effective des Conventions de Palerme et du Conseil de l'Europe. La majorité des femmes victimes de la traite sont exploitées sexuellement ou par du travail forcé. Dans le cadre du « plan national de lutte contre la traite des êtres humains » adopté en 2013, la France finance des actions dans les zones sources de la traite vers la France, dans le Golfe de Guinée notamment, mais aussi en Europe de l'Est et dans les Balkans.

La France agit aussi au plan européen. Elle a été l'un des promoteurs les plus actifs de la Convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, que nous avons ratifiée le 4 juillet 2014. Il s'agit du premier texte international juridiquement contraignant incluant des dispositions de nature à combattre le phénomène des crimes prétendument commis au nom de l'honneur. Nous avons été parmi les premiers pays à ratifier cette convention et nous militons pour que davantage d'États puissent y adhérer.

Enfin, au titre de ses activités humanitaires et d'aide au développement, la France est particulièrement mobilisée en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes, par exemple pour venir en aide aux réfugiées syriennes, soutenir les actions des défenseures des droits, lutter contre les violences de genre en milieu scolaire en Afrique de l'Ouest, soutenir et accompagner les victimes de violences sexuelles en République démocratique du Congo. Nous avons également, en partenariat avec ONU Femmes, soutenu des programmes de lutte contre les violences faites aux femmes pour l'Algérie, le Maroc, la Jordanie, le Mali, le Niger et le Cameroun.

Cette action au plan international, peu connue, voire totalement méconnue, est très importante pour la France, un des premiers pays à soutenir le combat en faveur des femmes.

J'en viens donc à la deuxième priorité de notre action : la défense de l'autonomie des femmes tout au long de leur vie et de leur participation à tous les niveaux de responsabilité.

L'égalité hommes-femmes, l'autonomisation des femmes et la promotion de leur rôle dans la société doivent se décliner de manière très concrète, en termes de développement, de santé et de droits. C'est le sens de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, à laquelle nous sommes partie. C'est sur l'ensemble de ces aspects que la France est mobilisée.

La France soutient la participation des femmes à la résolution des conflits et à la sortie de crises. Il s'agit d'un axe central de notre action en faveur de la mise en oeuvre de l'agenda « Femmes, paix et sécurité », au Conseil de sécurité, au sein de l'Union européenne, et au plan national. Dans ce cadre, nous avons engagé des programmes de coopération pour l'autonomisation politique et économique des femmes en Afrique et dans le monde arabe, en partenariat avec ONU Femmes.

Au-delà des situations de conflits et post-conflits, des progrès ont été accomplis pour renforcer l'autonomie des femmes dans tous les secteurs de la société. Mais beaucoup reste à accomplir : les inégalités perdurent en matière politique, économique et sociale, en dépit des textes proclamant l'égalité des droits. Nous devons donc poursuivre nos efforts dans ces domaines. La 59e session de la Commission de la condition de la femme qui s'ouvrira le 9 mars 2015 sera consacrée au bilan du programme d'action de la Conférence de Pékin. La France y sera représentée par Mme Boistard, secrétaire d'État chargée des droits des femmes. Nous souhaitons que cette réunion permette aux États de réaffirmer leur engagement à mettre concrètement en oeuvre l'ensemble des douze domaines d'action identifiés à Pékin.

Je voudrais en particulier insister sur une condition essentielle de l'autonomisation des femmes pour la France. Il s'agit des droits sexuels et reproductifs. Les femmes paient encore très cher le prix de la liberté, notamment la liberté de maîtriser leur corps. En 2014, 220 millions de femmes étaient dépourvues d'accès à la contraception. Les droits sexuels et reproductifs sont les premières conditions de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes. Le dire n'est pas une ingérence dans des questions qui seraient culturelles ou religieuses, propres à chaque État. Garantir ces droits, c'est assurer un accès à des services adaptés et de qualité qui permettent enfin aux femmes de ne plus mourir en couche, de choisir le nombre de leurs enfants, d'accéder à l'éducation et au travail, de contribuer au développement et au progrès social de leur pays. C'est un enjeu stratégique, en particulier au Sahel.

Dans un pays comme le Niger, où je me suis rendu à plusieurs reprises, la croissance démographique est supérieure à 3 %, ce qui ruine toute perspective de croissance économique. . Cette situation doit nous faire réfléchir au rôle de l'Agence française de développement, car la question numéro un est la scolarisation des jeunes filles. C'est pourquoi j'ai demandé à Mme Paugam, directrice de l'AFD, d'insister sur cette dimension, faute de quoi nous ne pourrons que constater les ravages dans ces pays.

Nous devons donc continuer de plaider en faveur de nouvelles avancées dans le domaine des droits sexuels et reproductifs au plan multilatéral. C'est ce message que la France a porté à l'Assemblée générale des Nations unies lors du bilan de la Conférence sur la population et le développement du Caire, le 22 septembre 2014, et que nous continuerons de promouvoir. La France sera par ailleurs prochainement dotée d'un document d'orientation stratégique en matière de droits et de santé sexuelle et reproductive, afin de poursuivre notre action dans ce domaine, qui constitue un impératif politique majeur.

Par ailleurs, la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes et de l'autonomisation des femmes est une priorité transversale de notre politique d'aide au développement. La France est particulièrement attentive au sort des femmes qui constituent près des deux tiers des personnes en situation de pauvreté dans le monde. Nous avons adopté en 2013 une stratégie spécifique genre et développement, qui fait de l'égalité entre les femmes et les hommes un impératif éthique et politique, un objectif de développement à part entière, et la garantie d'une aide à la fois plus juste et plus efficace. Dans les négociations sur les Objectifs du développement durable (ODD), la France est très mobilisée pour que l'égalité entre les femmes et les hommes soit pleinement intégrée dans l'agenda post-2015, qui sera adopté lors d'un sommet à New York en septembre prochain. La France soutient l'adoption d'un objectif spécifique dédié à l'égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que la prise en compte de cette question dans l'ensemble des futurs objectifs du développement durable.

La France conduit dans ce cadre de multiples programmes de coopération, avec l'aide d'associations, des organisations internationales et des agences des Nations unies, telles que l'UNICEF, le Fonds des nations unies pour la population (FNUAP) et ONU Femmes, afin d'assurer aux femmes un accès universel à la santé, à l'éducation et à la sécurité, en un mot à leurs droits fondamentaux. Nous soutenons financièrement des associations de migrants, compte tenu du rôle important joué par les diasporas présentes en France dans la promotion de l'autonomie des femmes dans leur pays d'origine, notamment au Maroc, au Sénégal et au Mali. Nous promouvons également l'accession des femmes à des postes de responsabilité, au travers de programmes de coopération comme « Femmes d'avenir en Méditerranée » lancé fin 2014.

Nous avons aussi mobilisé nos partenaires, notamment francophones, en co-organisant avec l'Organisation internationale de la francophonie, en 2013 à Paris et en 2014 à Kinshasa, les deux premières éditions du Forum mondial des femmes francophones, dont les travaux sont suivis par le réseau francophone pour l'égalité femmes-hommes. La France a par ailleurs soutenu le choix du thème du Sommet de Dakar de novembre 2014, « Femmes et jeunes en Francophonie, vecteurs de paix, acteurs du développement ».

Je voudrais ajouter quelques mots sur les chantiers européens. Au sein même de l'Union européenne, les droits des femmes doivent continuer d'être un axe fort de notre politique sociale. Car tout n'est pas acquis. La France a notamment promu la lutte contre les discriminations et les violences contre les femmes. Nous avons ainsi soutenu l'adoption, le 21 juin dernier, des conclusions du Conseil demandant aux États membres et à la Commission de continuer à promouvoir la participation des femmes au marché du travail. Cette année, nous continuerons à soutenir les efforts des Présidences du Conseil et de la Commission européenne, notamment pour faire aboutir des textes sur deux sujets importants : la proposition de directive relative aux quotas de femmes dans les conseils d'administration, et les éventuelles propositions de la Commission pour mieux prendre en compte les besoins des parents et des familles dans une société en évolution.

Vous l'avez dit, la situation des femmes est également liée à la question climatique. Sur ce sujet, vous aurez prochainement le plaisir de lire une tribune de celui qui vous parle. Les femmes sont les premières victimes du dérèglement climatique, comme le montrent les chiffres, mais elles sont aussi les premiers acteurs de la lutte contre ce dérèglement. À ce titre, elles ont une place extrêmement importante, d'une part, comme participantes à la négociation internationale, d'autre part, comme sujet de cette négociation. En tant que futur président de la COP21, je ferai donc en sorte que les femmes soient au coeur de cette négociation. Je précise que si un grand nombre de manifestations sont organisées, l'information en la matière doit être systématique pour en permettre une traduction dans le cadre de cette grande manifestation.

Enfin, pour ce qui est de mon ministère, le nombre d'ambassadrices s'élevait à 23 en 2012, il atteint 44 aujourd'hui, soit un taux de féminisation qui a doublé, passant 11 % à 22 %. Ce taux est certes encore trop bas, mais l'une des raisons de cette insuffisance est qu'un décret prévoit que le ministre des affaires étrangères ne peut nommer ambassadeur ou ambassadrice une personne du ministère que si elle a exercé des fonctions d'encadrement. Ce texte a été pris, certes à juste titre, par nos prédécesseurs pour éviter les nominations de complaisance, c'est-à-dire des promotions extrêmement rapides de personnes passées par tel ou tel cabinet. Mais le problème aujourd'hui est que je ne peux pas nommer de jeunes fonctionnaires de valeur du Quai d'Orsay puisqu'elles n'ont pas encore exercé de fonctions d'encadrement. Je peux donc nommer soit des gens qui ne viennent pas du ministère, ce qui n'est pas forcément idéal, soit des personnes ayant exercé des fonctions d'encadrement ; j'ai pu nommer un certain nombre de femmes qui se trouvaient dans ce cas, et qui, bien entendu, étaient également très compétentes, mais je me suis heurté à la limite que je vous ai dite, et le problème se posera aussi pour mes successeurs.

Par ailleurs, nous venons de publier une étude sur les rémunérations qui montre qu'il n'existe pas d'écart entre les rémunérations des femmes et celles des hommes au sein du ministère des affaires étrangères.

J'ajoute que nous nous sommes dotés d'une « charte du temps », qui me semble être un excellent outil pour aménager la vie de nos collègues femmes. Ce texte sera adopté par le comité technique ministériel (CTM) au mois de mai.

Pour résumer, l'égalité des droits entre les femmes et les hommes est un marqueur de la politique extérieure de la France. Nous sommes attendus sur ces questions. L'année qui s'ouvre, marquée par d'importantes échéances, permettra de traduire les objectifs en actes. J'y serai particulièrement attentif dans le cadre des travaux sur le climat. Et concernant ma propre Maison, j'essaie de faire appliquer les principes que nous professons pour les autres.

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