Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 4 mars 2015 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Merci de toutes ces questions, qui montrent la complexité du sujet.

Madame Imbert, monsieur Moignard, concernant la planification familiale en Afrique de l'Ouest, nous agissons au travers du Partenariat de Ouagadougou, en lien avec la Fondation Bill Gates. Nous y consacrons 100 millions d'euros sur cinq ans, en aidant les gouvernements locaux à définir des stratégies de planification familiale et en finançant leur mise en oeuvre pour la formation, la sensibilisation, la mise à disposition de moyens contraceptifs. Nous sommes assistés par le Fonds des Nations unies pour la population. Ce faisant, nous agissons grâce aux organisations présentes sur le terrain.

Monsieur Habib, vous avez évoqué les horreurs commises par DAECH. Notre investissement humain auprès des réfugiées existe, mais je ne saurais le quantifier. En tout état de cause, lorsque nous agissons sur le terrain ou via l'accueil, nous portons toujours une attention particulière aux femmes car elles sont doublement victimes.

S'agissant de l'Iran, si nous devions conditionner un accord à l'amélioration des droits humains, nous aurions malheureusement peu de chance de nouer cet accord – mais cela est valable pour beaucoup d'autres pays. Cela étant dit, j'ai demandé à M. John Kerry, M. Philip Hammond et M. Frank-Walter Steinmeier de venir me voir samedi, afin de faire le point sur certaines questions. Je lis les déclarations dans la presse, et je n'ai pas besoin de vous rappeler que la France, pays indépendant, se déterminera sur ce sujet comme sur les autres – et non à partir de ce qu'elle entend dire de ses positions.

Madame Guittet, la discrimination dans la sphère familiale est un sujet très complexe. C'est le point aveugle, car beaucoup se réfugient derrière l'autonomie du foyer et les normes sociales. Pour autant, nous voulons que l'égalité soit pratiquée partout et nous tenons cette position.

Monsieur Rochebloine, Mme Leyla Yunus et son époux sont emprisonnés depuis maintenant un an. Nous suivons cette situation avec une grande attention et avons engagé des démarches au niveau politique en lien avec la famille – nous avons reçu leur fille. Vous le comprendrez, la confidentialité s'impose en la matière, mais nous espérons que nos arguments seront entendus.

Mme Asia Bibi vit une situation épouvantable : elle est condamnée à mort pour ce qu'elle est et pour ce à quoi elle croit. Nous sommes mobilisés et avons effectué des démarches à tous les niveaux, en particulier avec nos partenaires européens. Bien évidemment, nous appelons le Pakistan à appliquer le Pacte international sur les droits civils et politiques qu'il a ratifié. Mais, vous le savez, la France n'abandonne jamais les siens, ni ses valeurs au nom des droits universels.

Monsieur Mariani, vous avez raison, nous constatons des reculs dans certains pays. Ce que vous évoquez à propos de DAECH ou de tel ou tel groupe est malheureusement exact. En me rendant récemment au Niger, au Tchad et au Cameroun dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, j'ai été frappé de constater que cet extrémisme pénètre des pays qui en étaient jusqu'à présent indemnes. Les dirigeants de ces pays nous le disent eux-mêmes. Il s'agit là d'une question très difficile.

Monsieur Myard, il est vrai qu'une croissance démographique extrêmement forte annihile toute croissance économique. Selon les spécialistes, la solution passe d'abord par la scolarisation des jeunes filles. L'éducation des filles est effectivement un enjeu fondamental. La question est de savoir si nous pouvons aller plus loin. Ce qui est fait par d'autres grands pays est intéressant, et j'ai demandé au Quai d'Orsay de me proposer des orientations, car c'est une question sur laquelle je ne suis pas satisfait de nos pratiques. Mon souhait est que l'on renouvelle notre action en ce domaine, non pas avec je ne sais quel ordre moral, mais en faisant en sorte que l'aide au développement soit efficace. Car appliquer des méthodes qui ne favorisent pas le développement revient à verser de l'eau dans le sable.

Monsieur Denaja, le ministère rédige actuellement un document d'orientation stratégique sur les droits et la santé sexuelle et reproductive. Nous y mettons l'accent sur la lutte contre toutes les violences : violences de genre en milieu scolaire, mutilations génitales féminines, mariages forcés précoces. Ce document servira de feuille de route pour orienter notre politique de développement, notamment les actions de l'AFD. Dans des pays comme le Mali ou l'Égypte, nous pouvons financer des ONG qui luttent contre ce type de violences.

Madame Dagoma, vous avez tout à fait raison, la microfinance est efficace lorsqu'elle bénéficie aux femmes, car elles utilisent très bien cet argent et leurs taux de remboursement sont plus élevés que ceux des hommes. Dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, l'AFD favorise l'accessibilité financière par le développement des institutions de microfinance. Les montants alloués sont passés de 5 millions d'euros en 2002 à plus de 80 millions aujourd'hui, ce qui permet à plusieurs centaines de millions de personnes d'accéder au crédit. Nous allons donc poursuivre dans cette voie.

J'en viens à la grande question des quotas. Pour la première loi que nous avons fait voter sur le sujet, j'avais réussi à vaincre la réticence du groupe majoritaire, socialiste et essentiellement masculin à l'époque, avec l'argument suivant : « Messieurs, votez cette disposition sur les quotas, cela vous protégera plus tard… » Certes, les quotas sont discutables sur le principe, et l'idéal serait qu'ils ne soient pas nécessaires. Mais le pragmatisme pousse à les introduire, faute de quoi les choses n'avancent pas. Ce n'est pas pour rien que nous avons voté des lois sur la représentation des femmes en politique et dans les conseils d'administration. Si l'on veut faire bouger la société, il faut en passer par là ! Ne pas le faire, c'est « avoir les mains pures, mais ne pas avoir de mains », si vous m'autorisez cette référence à la pensée de Hegel reformulée par Péguy.

Enfin, madame Dagoma, s'agissant du G7 – sans la Russie –, nous avons deux ambassadrices, une en Grande-Bretagne et une en Italie, soit un taux de féminisation de 30 %. Cela n'est pas suffisant, mais les choses avancent. Le ministère des affaires étrangères du XXIe siècle devra compter plus de femmes, ce qui nécessite des aménagements des modes de travail.

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