Intervention de Philippe Knoche

Réunion du 24 mars 2015 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Philippe Knoche, directeur général d'Areva :

Lors de ma précédente audition, je m'étais engagé à revenir vous parler de la situation financière du groupe. Je souhaite également partager avec vous des éléments de diagnostic et les grands axes du plan de sortie de crise, définis avec Philippe Varin et l'ensemble du conseil d'administration.

Les résultats 2014 d'Areva, présentés le 4 mars, sont tributaires de la dégradation forte et progressive des marchés du groupe. Parmi les causes, citons le retard du redémarrage des réacteurs japonais – qui obtiennent leurs autorisations plus lentement que prévu – et le décalage des grands projets de construction de réacteurs dans le monde, tant dans les économies émergentes qu'en Europe. Au-delà, la situation financière de nos clients apparaît très tendue, les marchés de l'électricité connaissant une demande stable ou en croissance très faible, et des prix en baisse ; dans ce contexte, nos clients réduisent fortement leurs budgets de maintenance et d'investissement. À côté de cette contraction du volume des marchés, Areva fait face à un effet prix, lié en particulier aux dynamiques de marché en Allemagne et au Japon, qui ont fait baisser les prix de l'uranium naturel et de l'amont du cycle de 30 à 40 % en 2014. Enfin, si Areva était en croissance jusqu'en 2013, l'année 2014 a été marquée par la fin de plusieurs contrats – notamment avec des clients allemands et japonais – relatifs au conditionnement des déchets et au recyclage des matières ou des armes à uranium hautement enrichi. L'ensemble de ces facteurs a fait baisser le chiffre d'affaires du groupe de 7,2 %, à 8 milliards d'euros.

L'année 2014 est marquée par la perte de 4,8 milliards d'euros ; les 4,4 milliards que vous avez cités se divisent en deux catégories. Il s'agit d'abord de dépréciations d'actifs. Au cours des dernières années, le groupe a investi plus de 14 milliards d'euros ; ces investissements, dont certains, comme l'usine Georges-Besse II – GB2 – au Tricastin, représentent des motifs de fierté, ont été réalisés dans un contexte de croissance forte des marchés. Certains projets de long terme lancés à cette époque ont depuis été mis sous cocon alors que d'autres prospèrent, mais l'évolution des prix de marché et des volumes nous a contraints à les déprécier. Ces dépréciations – qui s'élèvent, dans le nucléaire et les renouvelables, à 2,6 milliards d'euros – n'auront pas d'impact sur la trésorerie future de l'entreprise puisqu'il s'agit d'investissements déjà réalisés.

Enfin – troisième facteur de difficultés –, la perte subie en 2014 est également liée aux problèmes de maîtrise des grands projets d'infrastructures : celui de l'EPR finlandais – responsable de 1,5 milliard d'euros de provisions – comme ceux liés aux énergies renouvelables.

Les autres activités, elles-mêmes confrontées à des conditions de marché difficiles, génèrent leur propre trésorerie, mais se révèlent incapables de compenser les pertes liées à ces trois éléments. Le niveau global de la dette atteint donc 5,8 milliards d'euros – un chiffre énorme, même s'il faut le mettre en relation avec les 14 milliards d'euros d'investissements réalisés. C'est pourquoi notre axe d'action pour la compétitivité de l'entreprise consiste à sortir de la spirale du surendettement déterminée par les conséquences de Fukushima, les investissements du groupe et les difficultés des grands projets. C'est dans cet esprit que Philippe Varin et moi avons engagé la définition d'un plan de transformation, en concertation avec le conseil d'administration et les représentants de l'État.

Ce plan se décline en trois volets. Tout d'abord, la feuille de route stratégique doit permettre au groupe de valoriser ses atouts, et en premier lieu sa maîtrise des procédés nucléaires. Nous réalisons deux tiers de notre chiffre d'affaires à l'international et le fait de compter 90 % des opérateurs nucléaires mondiaux parmi nos clients prouve que les compétences d'Areva représentent une véritable valeur. Il faut en revanche que le groupe se recentre sur ses savoir-faire, renonçant aux contrats clés en main et révisant ses ambitions dans les grands projets d'énergies renouvelables. La feuille de route préconise également une refonte de la relation avec EDF, qui aidera à faire face à quatre défis : traverser la phase d'investissement qui se termine pour Areva, mais commence pour EDF qui se lance dans le grand carénage ; construire des réacteurs neufs, notamment Hinkley Point, en tirant les meilleurs enseignements de Flamanville, de la Finlande et de Taishan ; rendre notre gamme de réacteurs plus compétitive ; et enfin s'adapter au basculement du marché. En effet, les économies matures voient leur niveau d'investissement dans les capacités de production d'électricité baisser ; en revanche, les économies émergentes connaissent une croissance forte. La feuille de route prône donc le déploiement des compétences d'Areva au sein de ces économies, notamment en Chine. Le groupe doit ainsi se rebâtir autour de ces priorités : le recentrage de ses activités, sa relation avec EDF et les économies émergentes.

Pour réussir cette feuille de route stratégique, il faut disposer d'un plan opérationnel. Ce dernier commence par la sécurité et la sûreté : même si nous déplorons un accident mortel au Tricastin en 2014, nos résultats dans ce domaine – essentiel dans notre ADN – se sont améliorés au cours de l'année. Dans la période difficile que nous traversons, je veillerai personnellement à la sûreté de nos installations et à la sécurité de nos salariés, persuadé qu'elles sont compatibles avec la compétitivité. Dans ce dernier domaine, notre objectif est de sortir de la spirale du surendettement en nous montrant capables, à partir de 2018, de générer un cash-flow net positif. Pour y parvenir, nous devons améliorer la qualité de nos opérations, simplifier notre organisation, réduire les risques sur les grands projets et gagner un milliard d'euros de marges par une action sur les ventes et sur les coûts. Nous devrons revoir tant nos achats que nos frais de personnel ; j'ai indiqué aux organisations syndicales – que je rencontre fréquemment – et aux salariés qu'en matière sociale, nous travaillerons en concertation avec eux pour aborder les compétences dans les territoires, l'emploi, la rémunération et le temps de travail.

Enfin, nous nous appuierons sur un plan de financement, qui sera précisé d'ici à la fin du mois de juillet. Ce plan tiendra compte de la forte réduction de nos investissements – responsables pour partie de notre endettement – que nous avons déjà divisés par deux et que nous continuerons à diminuer sans toucher aux investissements de sûreté. L'entreprise devra réaliser des efforts sur elle-même pour trouver des financements opérationnels et réussir le plan de compétitivité. Nous étudierons également le moyen de renforcer nos fonds propres.

L'ensemble de ces sujets doivent s'inscrire dans un dialogue social fort et être traités en concertation avec les représentants du personnel – une tradition chez Areva. Depuis février, et surtout depuis la publication de l'arrêté des comptes, au mois de mars, nous travaillons sur le partage de la situation avec les représentants des salariés. Nous avons commencé par considérer chaque activité et ses perspectives, mais progressivement nous échangerons sur les leviers de compétitivité que nous identifions sur le terrain et qui touchent aux frais internes et externes. C'est sur cette base qu'à partir des mois d'avril et de mai nous initierons une discussion sur un accord de méthode qui encadrera le dialogue social et pourra déboucher sur des informations et des consultations concernant les évolutions en matière d'organisation, d'emploi, de compétences et de frais de personnel. Les efforts de l'entreprise permettront à chacune de ses activités de regagner l'une des trois meilleures places mondiales dans la maîtrise des procédés nucléaires. La conjoncture que nous traversons ne durera pas, mais nous devons relever ces défis. L'ambition d'Areva – maillon clé de la filière nucléaire, fort de plus de 120 000 emplois directs et porteur de savoir-faire importants – est de servir notre pays. Son devoir vis-à-vis de la France, de ses salariés, de ses clients et de ses sous-traitants est de se doter de moyens qui lui permettront de porter cette ambition dans les années et les décennies à venir.

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