Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du 30 mars 2015 à 16h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mesdames et messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, « nous sommes rendus responsables par le fragile. Or, que veut dire : rendus responsables ? Ceci : quand le fragile n’est pas quelque chose mais quelqu’un, comme ce sera le cas dans toutes les situations considérées – individus, groupes, communautés, humanité même – ce quelqu’un nous apparaît comme confié à nos soins, remis à notre charge. » Je voulais commencer par ce principe philosophique posé par Paul Ricoeur en 1992, qui inspire largement l’esprit de ce texte et du combat que nous menons aujourd’hui avec fierté dans cet hémicycle.

Nous sommes à un moment de rencontre important de notre pays et de notre planète : celui de la globalisation, celui du village planétaire, celui de l’accélération du temps. C’est le temps de toutes les promesses et le temps de tous les risques.

Deux récits du monde peuvent aujourd’hui légitimement nous terrifier : le premier évoque l’abolition des limites, un monde sans frontière ni finalité, mû par le seul goût et le seul appétit pour le profit, un monde sans foi ni loi, où la dérégulation même est devenue la règle et où tous les coups sont permis à condition qu’ils permettent à quelques-uns d’accumuler les profits.

Un autre scénario qu’on entend aujourd’hui est celui du repli, du refus de la mondialisation, des frontières érigées en remparts, celui d’une nostalgie et d’une illusion qui seraient mortifères pour notre pays.

Nous sommes convaincus qu’il existe aujourd’hui pour notre pays et pour les relations internationales une troisième voie. Celle-ci s’inscrit dans une longue histoire : la tradition socialiste, la tradition sociale-démocrate, la tradition démocrate, la tradition des régulations, la tradition de la loi qui humanise, qui civilise, celle qui permet la saine et bonne économie.

Cette troisième voie peut être décrite comme celle du principe de loyauté. Le terme ancien leial vient du mot latin legalis. Il qualifie ce qui est usuel, courant, normal. Combien de fois ai-je entendu ces derniers jours, à propos de la proposition de loi que nous portons, les propos suivants : « Il n’est pas normal que des enfants soient réduits en esclavage au bout du monde pour fabriquer nos vêtements, nos téléphones mobiles ou les plats cuisinés qui nous sont servis » ? Ce qui est normal, usuel : voilà le premier sens de « loyal ».

Est loyal ce qui est inspiré par l’honneur, la probité, la droiture : nous sommes à l’exact équilibre entre l’éthique et la loi, telle que nous essayons de la définir aujourd’hui.

Cette proposition de loi originale, novatrice, s’inscrit dans ce champ, celui de la loyauté, aux frontières de l’éthique et de la loi, afin de créer un mouvement vertueux au service des droits de l’homme en instaurant un devoir de vigilance.

Cette proposition de loi prend acte de l’extrême fragmentation des chaînes de valeur et des chaînes de production de par le monde. Voyageant sur tous les continents, transformées dans de multiples fabriques, commercialisées, vendues, revendues, parfois des centaines de fois, ces productions relèvent aujourd’hui de législations nationales et de sociétés extrêmement fragmentées.

Cette fragmentation est à l’origine d’une forme d’irresponsabilité. Le principe de cette loi, qui est celui de la responsabilité, est de mettre fin à l’impunité rendue possible par cette fragmentation.

Elle est novatrice, parce qu’elle établit qu’à l’échelle du monde, un pays d’abord, l’Europe demain et après-demain la communauté internationale pourront exiger des sociétés, les plus grandes dans un premier temps, de mettre en place un plan de vigilance qui, à l’instar d’un radar à 360 degrés, permette de prévenir les violations des droits fondamentaux de l’homme, les atteintes graves à l’environnement ainsi que les faits de corruption.

C’est ce radar qui fait de cette proposition de loi de deux articles un texte très original par rapport aux législations en vigueur, tant aux États-Unis qu’en Europe ou dans d’autres régions du monde. Elle pose le principe de prévention et le rend obligatoire, donc susceptible d’être sanctionné par un juge pouvant être saisi par des personnes ayant intérêt à agir, comme des organisations non gouvernementales ou des syndicats. La carence ou le non-respect, même partiel, du plan de vigilance pourront être sanctionnés et l’article 2 prévoit qu’ils constitueront un élément à charge pour l’entreprise dans l’évaluation des dommages des victimes éventuelles d’une catastrophe survenant au bout du monde.

Le travail en commission du développement durable, puis en commission des affaires économiques et enfin en commission des lois, saisie au fond, a permis d’améliorer la rédaction initiale de la proposition de loi en précisant la notion de filiales, lesquelles ne sont plus seulement définies en termes capitalistiques : le critère du pouvoir de contrôle de celles-ci a été introduit dans le texte. Ce travail a également permis, grâce à la notion de relations commerciales établies, de clarifier le niveau de responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de ses filiales. Enfin, le champ d’application du décret a été ajusté.

S’il fallait inscrire cette proposition de loi dans la grande histoire, je dirais que c’est le combat pour l’abolition de la traite négrière qui nous a le plus inspiré lors de son élaboration et des débats en commission. Je voudrais rendre hommage à tous ceux qui ont fait de la France un pays pionnier en matière d’abolition de l’esclavage, rétabli par Napoléon avant d’être définitivement aboli en 1848. Nous gardons en mémoire les déclarations audacieuses de ceux qui ont mené ce combat. Je citerai l’un d’eux, qui est de ma région, plus précisément de Meurthe-et-Moselle, très beau département, encore plus depuis hier

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