Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a souhaité se saisir pour avis de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, qui a été renvoyée au fond à la commission des lois.
La responsabilité sociale et environnementale des entreprises, que cette proposition de loi aborde sous l’angle d’un plan de vigilance, est en effet un thème qui s’inscrit dans la droite ligne des travaux que notre commission mène depuis le début de la législature. La position de celle-ci est constante : acteurs publics et privés sont aujourd’hui soumis à une exigence de responsabilité sociétale. Il leur revient d’identifier, de prévenir ou d’atténuer les dommages sociaux, sanitaires et environnementaux ainsi que les atteintes aux droits de l’homme susceptibles de résulter de leurs activités. Il est également attendu d’eux qu’ils en rendent compte.
La proposition de résolution européenne relative à la publication d’informations non financières par les entreprises, déposée par Mme Danielle Auroi, a ainsi été renvoyée à notre commission qui, au cours de son examen, a milité pour une obligation européenne de « rapportage » très ambitieuse. La commission s’était également saisie pour avis du projet de loi d’orientation et de programmation relatif à la politique de développement et de solidarité internationale, adopté l’année dernière. L’article 8 de ce texte, devenu la loi du 7 juillet 2014, appelle les entreprises à mettre en place « des procédures de gestion des risques visant à identifier, à prévenir ou à atténuer les dommages sociaux, sanitaires et environnementaux et les atteintes aux droits de l’homme susceptibles de résulter de leurs activités dans les pays partenaires ».
La proposition de loi que notre assemblée examine aujourd’hui est donc une première traduction législative de cette exigence que nous nous sommes fixés. Cette proposition de loi vise à formaliser pour la première fois dans notre droit un corpus juridique international de référence, jusqu’alors non contraignant, mais connu et appliqué par les entreprises concernées. Ce corpus comprend la déclaration tripartite de l’OIT, les droits de l’homme inscrits dans la charte des Nations Unies ainsi que les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales.
Il s’agit aussi d’une première étape. L’historique de cette proposition de loi a été rappelé par M. le secrétaire d’État et figure dans nos rapports : je n’y reviens pas. Je veux cependant souligner la convergence de vue entre les trois rapporteurs : nous avons délibérément fait le choix, ensemble, d’une démarche progressive. Ce choix avait déjà été retenu s’agissant des informations extra-financières et je crois qu’il était judicieux. Rappelons-nous aussi combien nous avons tâtonner avant de parvenir à légiférer sur les travailleurs détachés. Chacun conviendra que nous sommes aujourd’hui parvenus à un résultat satisfaisant dans ce domaine.
Certains d’entre vous m’objecteront, comme ils l’ont fait en commission, qu’il faut aller plus loin, non seulement en élargissant la responsabilité de l’entreprise au-delà de son propre comportement fautif, mais aussi en établissant une présomption simple de faute de cette dernière. Ils m’objecteront également qu’il faut aller plus vite en étendant l’obligation nouvelle que constitue le plan de vigilance à toutes les entreprises qui emploient plus de 500 salariés, quelle que soit leur forme juridique.
L’objectif des premières propositions de loi était précisément d’aller plus loin. Nos débats du 29 janvier dernier ont montré la fragilité juridique du dispositif proposé. Nous avons fait le choix d’instaurer une nouvelle obligation légale : celle d’un plan préventif alimenté par les bonnes pratiques, contenant des mesures raisonnables destinées à prévenir les atteintes aux droits de l’homme, à l’environnement et à la santé publique ainsi que les pratiques de corruption. Tout manquement à cette obligation légale entraînera d’abord, dans les conditions de droit commun, l’engagement de la responsabilité de l’entreprise défaillante, puis une sanction portant à la fois sur sa réputation et sur ses finances.
Aller plus vite en abaissant le seuil d’application du texte à 500 salariés reviendrait à imposer d’entrée à la firme multinationale comme à la PME la même obligation de diligence raisonnable. Cette exigence qui porte sur une action, même si elle est est tempérée par les moyens de chacun et placée sous le contrôle du juge, me semble excessive alors que nous avons retenu pour l’obligation de rapportage précédemment évoquée une approche progressive, « en sifflet ».
Si les seuils retenus peuvent paraître élevés, je rappelle qu’il s’agit de ceux fixés par le décret du 24 avril 2012 relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale. Laissons-donc le dispositif faire la preuve de son efficacité et dissipons les craintes des entreprises. Nous pourrons par la suite, comme nous l’avons fait pour le rapportage, l’élargir à des entreprises ayant d’autres formes juridiques et d’autres dimensions.
Voilà l’état d’esprit dans lequel la commission du développement durable a travaillé. Elle a conservé l’architecture générale retenue par les auteurs de la proposition de loi, MM. Bruno Le Roux et Dominique Potier, mais, outre quelques ajustements rédactionnels, elle a souhaité, en la définissant plus précisément, élargir le périmètre de son application et renforcer l’impact de la sanction financière.
Elle s’est enfin montré attentive à ce qu’un champ trop large laissé au décret d’application ne dénature pas le degré d’applicabilité immédiate de la proposition de loi : elle a souhaité le limiter aux seules modalités de présentation et d’application du plan de vigilance.
Pour ma part, je crois que cette proposition de loi constitue une avancée par rapport à la situation actuelle, dont nous ne voulons plus. Je suis persuadé, pour les raisons que j’ai évoquées, que nos débats seront fructueux et qu’ils nous amèneront, sans nul doute, à voter ce texte.