Intervention de Jean-Paul Chanteguet

Séance en hémicycle du 30 mars 2015 à 16h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le contenu de cette proposition de loi, que les rapporteurs au fond ou pour avis viennent de présenter, sinon pour en souligner certains aspects.

La commission du développement durable s’est saisie pour avis de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, la responsabilité sociale et environnementale constituant une thématique souvent abordée par notre commission depuis le début de la législature. L’actualité renforce encore notre intérêt pour cette question.

Nous partageons ainsi l’objectif principal du texte, à savoir une gestion préventive des risques d’atteinte aux droits de l’homme au sens large, des risques environnementaux et sanitaires ainsi que des risques de corruption active ou passive. Il nous a en effet toujours semblé nécessaire de chercher à concilier les activités économiques et les préoccupations de la société civile. Nos débats ont porté sur la nature du plan de vigilance, préventif et alimenté par les bonnes pratiques, sur le champ d’application, limité aux sociétés d’une importance certaine, définie selon des critères liés au nombre de salariés, sur la nécessité d’étendre la vigilance au-delà de l’activité de la société, à ses filiales directes ou indirectes et à ses sous-traitants et fournisseurs, ainsi que sur l’appréciation, par le juge, du caractère effectif des mesures de vigilance exigées de l’entreprise.

Le texte ne fonde pas un régime de responsabilité dérogatoire et la responsabilité n’est pas élargie au-delà des comportements fautifs. Dans notre cas, la faute est définie par le non-respect de l’obligation de mise en place du plan de vigilance ou par le manquement aux engagements.

Dans le contexte international, il est inexact de dire que la France avance seule sur cette question : les États-Unis annoncent un agenda global ambitieux de lutte contre la corruption et le développement d’un plan national d’action de promotion de la conduite responsable des entreprises ; le Royaume-Uni a remis aux institutions européennes un plan national d’action en matière de responsabilité sociale des entreprises – RSE – depuis septembre 2013 ; en février dernier, la Suisse a lancé une initiative populaire sur le devoir de diligence raisonnable. Les institutions européennes, pour leur part, travaillent à la révision de la stratégie européenne en matière de RSE dans le cadre d’une recommandation ou d’une directive.

Avec l’adoption de ce texte, la France pourrait défendre le devoir de vigilance pour toutes les entreprises européennes et dans le même temps, en cette année à l’agenda international chargé, le reporting extra-financier dans le cadre des objectifs du développement durable.

Il existe déjà un cadre juridique auquel ont adhéré la majorité des États et un grand nombre de multinationales, constitué par la déclaration tripartite de l’Organisation internationale du travail, les droits de l’homme inscrits dans la Charte des Nations Unies, les principes directeurs de l’OCDE à l’attention des entreprises multinationales.

Par ailleurs, l’actualité est favorable à l’adoption d’une telle proposition. L’année 2015 sera en effet une année de négociations internationales sur le climat et sera également placée sous le signe du développement, avec la définition du programme des objectifs du développement durable lors du sommet des Nations Unies de septembre prochain, qui sera lui-même précédé, en juillet, du sommet pour le financement du développement. Les objectifs du développement durable constituent un cadre universel s’appliquant à tous, sur la base d’un partenariat entre l’ensemble des pays, ainsi qu’avec la société civile et le secteur privé.

Climat et développement sont des sujets interdépendants, d’une importance cruciale pour l’humanité, qui ne peuvent être abordés que sous l’angle du développement durable dans ses trois composantes. Or, la réussite des objectifs du développement durable et l’atteinte des objectifs en matière de climat sont conditionnées au financement d’actions et d’initiatives, non plus seulement du secteur public mais également et surtout du secteur privé : vu le contexte économique, les politiques d’aide au développement ne suffisent plus et ne peuvent répondre seules aux défis ; elles doivent être complétées par des efforts privés.

Si le secteur privé recouvre des réalités diverses, une majorité des flux financiers privés provient des plus grosses entreprises qui, par définition, possèdent des moyens dont ne bénéficient pas souvent les pays avec lesquels elles négocient et dans lesquels elles s’implantent. On doit alors constater un déséquilibre évident, notamment dans les pays où l’État de droit est faible et où le dialogue social est défaillant, voire inexistant, et où les pratiques de certaines entreprises sont contestables – elles ne sont d’ailleurs pas toujours contestées : cela suppose que des ONG soient présentes sur le territoire. À cet égard, citons l’exemple récent de l’association Sherpa, qui a intenté une action en justice contre une filiale de Vinci au Qatar, ou l’action emblématique de cette même association contre Bolloré, actionnaire de la Socapalm au Cameroun.

Aussi, il revient aux États, en tant que représentants des peuples et protecteurs effectifs de leurs droits, d’adopter des dispositifs législatifs plus clairs pour les entreprises, les obligeant à respecter les normes internationales en matière de droits humains et de protection de l’environnement. Les multinationales ne peuvent être que demandeurs de ces dispositifs législatifs.

J’ai beaucoup évoqué les grandes entreprises, mais nos débats ont montré l’intérêt et l’opportunité de ce texte pour les TPE et PME françaises, même si elles ne seront pas concernées par la nouvelle obligation.

Seule, donc, une régulation connue et acceptée de tous peut contribuer à la réussite des objectifs du développement durable dans les pays du sud, mais aussi participer au rayonnement de la France. N’oublions pas que notre pays se doit d’être exemplaire, compte tenu de la place de l’État actionnaire et des efforts déjà accomplis : la France est ainsi classée parmi les « bons élèves » de l’évaluation extra-financière au niveau européen. Bien des entreprises ont déjà accompli des efforts considérables, et ce texte permettra d’aller plus loin en matière d’investissements et d’exemplarité.

En conclusion, je souligne l’importance d’adopter cette proposition, qui a été définie en concertation avec le Gouvernement, les ONG et les syndicats. C’est une première étape, dotée d’un dispositif équilibré et incitatif, qui pose les jalons d’une responsabilité des plus grandes entreprises à la hauteur des enjeux et qui représente un instrument pertinent pour ces entreprises comme pour les citoyens.

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