Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est de celles qui déposent un germe de principes juridiques à vocation universelle, dans la plus haute et la plus noble tradition de l’Assemblée nationale. Elle est de celles qui font la singularité de la France dans le monde, de celles qui allument une petite lumière d’espoir pour des milliers d’êtres humains. Je veux en féliciter tout particulièrement Dominique Potier, qui en est à l’origine, mais aussi, parce que ce texte vient de loin et qu’il s’inscrit dans un travail de fond, Danielle Auroi et Philippe Noguès, qui ont permis d’animer et de nourrir ces travaux dans le cadre du Cercle de réflexion sur la responsabilité sociale des multinationales.
Cette proposition de loi s’inscrit dans la lignée des travaux réalisés par des acteurs qui, ici ou ailleurs dans le monde – je pense notamment à l’Organisation internationale du travail –, ont décidé de réagir à la suite du drame du Rana Plaza en 2013. C’est la mémoire de ces pauvres victimes de l’insatiable vénalité du monde qui habite aujourd’hui nos débats.
On sait que l’OIT évalue à 21 millions d’êtres humains le nombre de travailleurs forcés dans le monde. Au-delà de ce que l’on qualifie de travail forcé – l’emploi de travailleurs économiquement, psychologiquement et même physiquement vulnérables, auxquels on confisque jusqu’aux papiers d’identité afin qu’ils ne puissent s’échapper de la surexploitation –, au-delà de cette catégorie de travailleurs asservis, souvent délocalisés, dont l’extrême misère, à la limite de la simple subsistance quotidienne, force le consentement ou plutôt la résignation, on sait qu’il existe une population infiniment plus nombreuse et dont le nombre croît sans cesse, qui sert d’avantage concurrentiel et de variable d’ajustement financier dans notre économie financiarisée et mondialisée. C’est précisément cette inversion des finalités économiques, de moins en moins au service de l’humain et de plus en plus au service d’une recherche sans scrupule du profit, que cette proposition de loi prétend combattre.
Nul n’ignore ici que le monde d’aujourd’hui n’est pas un aimable patronage, mais qu’il cultive au contraire comme valeurs dominantes l’égoïsme du gain et l’hystérie de la domination. Cela concerne bien sûr les entreprises, elles-mêmes dominées par la finance, mais aussi des États en recherche de puissance et d’influence qui les y encouragent. Nul n’ignore ici que ces dérives du capitalisme contemporain, qui placent l’exploitation du travail plutôt que la qualité des produits ou des services au coeur de la compétition et de la concurrence, ne sont découragées par aucun régime politique au monde, quelle que soit son idéologie.
Cette proposition de loi n’est donc pas un texte politique au sens idéologique du terme, mais un texte humaniste, au sens universel, comme l’ont été les grands textes abolissant l’esclavage – le décret de 1848 en ce qui nous concerne. Il ne s’agit pas non plus d’une proposition de loi naïve quant à l’état du monde qui, par défaut de pragmatisme et de mesure, pénaliserait nos seules entreprises sans avoir la moindre influence sur leurs concurrents.
Certes, nous sommes au début d’une longue route, mais notre honneur est d’ouvrir la route. On entendra sur ces bancs les mêmes inquiétudes que celles qui se sont manifestées à la Révolution, notamment dans les cercles commerçants de ma bonne ville de Bordeaux, quand on a aboli l’esclavage avant que Bonaparte ne le rétablisse sous la pression des mêmes intérêts économiques.
Cette proposition de loi, comme celle que je vous ai soumise sur la lutte contre la concurrence sociale déloyale et que vous avez largement adoptée, mes chers collègues, n’ignore pas l’impitoyable contexte mondial actuel. Elle ne prétend pas le terrasser subitement et n’impose pas d’autres obligations que le devoir de vigilance à nos grandes entreprises donneuses d’ordre. Elle repose sur le principe simple que nous avons déjà défini ensemble en matière de travail détaché : le commanditaire d’un travail ne peut être irresponsable des conditions économiques et humaines dans lequel il s’accomplit. De même, les lois qui ont suivi les drames de Seveso, de Minamata ou de Bhopal ont imposé aux entreprises des mesures de sécurité, de sûreté ou de protection de l’environnement dont la mise en oeuvre paraissait impossible avant ces événements.
La présente proposition de loi vise donc à imposer aux entreprises la mise en place d’un plan de vigilance déployé à l’échelle internationale. Il s’agit essentiellement d’un texte préventif, qui sanctionne l’absence de vigilance mais qui n’ajoute ni ne retranche rien aux sanctions actuellement applicables dès lors qu’un drame survient, dans le cadre, notamment, du principe de responsabilité. D’une certaine façon, il permettra même à des entreprises de prévenir de tels drames et ainsi de se prémunir de sanctions infiniment plus importantes.
En matière économique, la disposition que nous proposons aujourd’hui pourra constituer une incitation à relocaliser des sous-traitances au profit de notre tissu de PME et de TPE. Elle a vocation à devenir aussi un atout pour les entreprises dont l’image de marque sera associée à ces exigences éthiques et humanistes.
Mes chers collègues, je suis persuadé que, malgré les dérives de l’optimisation sociale qui caractérisent l’ultra-libéralisme de notre époque, de plus en plus de consommateurs citoyens refuseront de se faire les complices d’un nouvel esclavagisme, comme ils sont déjà de plus en plus nombreux à refuser d’être les complices de la prédation environnementale.
Plus qu’un texte symbolique ou déclaratif, cette proposition de loi est un texte d’espoir qui honore la France et ce qu’elle représente encore pour l’humanité.