Intervention de Arnaud Richard

Séance en hémicycle du 30 mars 2015 à 16h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Richard :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, en voulant mieux prévenir les atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement en responsabilisant les entreprises, les auteurs de ce texte et ceux qui les ont inspirés poursuivent un objectif noble.

Nous avons tous en mémoire les accidents qui ont marqué ces quinze dernières années : le naufrage de l’Erika au large des côtes françaises en 1999, l’effondrement du Rana Plaza en 2013. Ces drames terribles ont eu des conséquences graves, douloureuses et sanglantes. Ils ont démontré la nécessité, pour les grandes entreprises, d’améliorer les comportements de leurs partenaires économiques. Ils ont aussi montré le décalage qui peut exister entre l’affichage des engagements éthiques et la réalité des pratiques.

Pour autant, mes chers collègues, la prise de conscience ne date pas d’aujourd’hui et cette proposition de loi n’est en rien une entreprise inédite. Beaucoup de mesures ont déjà été prises en France, comme les exceptions au principe d’autonomie de la personne juridique. Dans le domaine de la protection de l’environnement, de la responsabilisation des entreprises et de la mobilisation des consommateurs, la loi Grenelle II, chère à mon coeur, a permis notamment d’imposer l’idée de rendre possibles des poursuites contre les sociétés mères en cas de pollution généralisée par l’activité d’une filiale. Certes, ce ne fut pas sans difficulté. Nous avons remporté ce combat en trouvant un équilibre ; en effet, nous ne rêvons pas d’une France sans entreprises et nous estimons que celles-ci comptent parmi nos plus grandes richesses.

Je pense aussi à nos actions en faveur du commerce équitable, notamment la protection de l’appellation, et à la loi Savary du 10 juillet 2014, qui établit une responsabilité conjointe et solidaire des donneurs d’ordre avec les sous-traitants, afin de lutter contre les fraudes et les stratégies systématisées d’optimisation sociale.

Au niveau international, la responsabilité sociétale des entreprises figure parmi les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, parmi les principes directeurs de l’OCDE ou encore dans la très importante norme ISO 26000.

Aujourd’hui, faut-il aller plus loin et obliger, ainsi que le préconisent les auteurs de ce texte, certaines entreprises à prévoir un plan de vigilance à visée préventive ? Adopter une telle réforme nous permettrait-il d’empêcher de nouveaux drames, en France et à l’étranger ?

Mes chers collègues, nous avons eu un débat semblable, à l’occasion de la présentation de la proposition de loi du même nom, défendue par le groupe écologiste en janvier. Le groupe UDI s’était alors opposé au renversement de la charge de la preuve que proposait ce texte. En faisant reposer sur les entreprises une présomption quasi irréfragable, tant civile que pénale, basée sur un simple manquement à un devoir de vigilance, la proposition de loi du groupe écologiste bouleversait le système français de responsabilité !

Le groupe SRC ne va pas aussi loin, mais il n’est pas pour autant en phase avec les réalités économiques. Cette proposition de loi tombe dans le même travers, celui qui consiste à s’orienter vers une réponse franco-française, en pensant que seul notre pays pourra montrer la voie. Au lieu de donner à cette question une ampleur européenne, il préfère ainsi l’enfermer dans un débat purement franco-français, stérile et contre-productif.

On peut reprocher à ce texte son imprécision et son champ trop large – c’est peu de le dire. Les textes qui, en droit français, traitent de ce sujet sont ponctuels : ils visent l’hébergement contraire à la dignité ou encore l’emploi de travailleurs détachés. Quant aux textes étrangers, ils ciblent la corruption, l’esclavage humain et la traite des esclaves. Il s’agit donc bien de points précis.

Or cette proposition de loi nous propose de changer de logique en imposant une vision très large, ce qui implique de bien préciser les normes. Faut-il attendre les décrets d’application ? Ne serait-il pas préférable de nous limiter à la communication ? Que signifient, au plan juridique, les « mesures de vigilance raisonnables » ? Ce texte soulève bien des interrogations.

En outre, cette proposition de loi trahit l’esprit de la RSE, fondé sur la prise de responsabilité, l’initiative et la démarche volontaire, qui ont déjà fait leurs preuves. Plutôt que de contraindre les entreprises visées par le texte à mettre en place un plan de vigilance, ce sont précisément les démarches volontaires que nous devrions encourager.

La plupart des entreprises françaises se sont déjà dotées de chartes éthiques, ou adhèrent volontairement à des initiatives publiques ou privées, dans lesquelles elles s’engagent à mettre en oeuvre des principes extra-financiers. Nous devrions avant tout encourager ces bonnes pratiques. Ainsi que l’avait indiqué mon collègue Bertrand Pancher, lors de l’examen de la proposition de loi de Danielle Auroi, nous pourrions également nous inspirer de la norme ISO 26000, qui vise à limiter le dumping sur la base de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance et expérimenter l’idée d’un bonus-malus, pour encourager les pratiques incitatives.

L’autre défaut de ce texte est de ne viser que les entreprises françaises. Peut-on réellement améliorer la situation actuelle en imposant le devoir de vigilance à ces seules entreprises ?

En outre, ce texte ne prend aucunement en considération les travaux de la plate-forme RSE…

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