Intervention de Christian Lambert

Réunion du 26 mars 2015 à 8h30
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Christian Lambert, préfet hors classe :

La liberté de manifester est un droit absolu qu'il est essentiel de préserver. Tout citoyen a le droit d'exprimer son opinion et de contester dans le cadre prévu par les lois de la République. Toutefois, le code de la sécurité intérieure permet la dispersion d'un attroupement et fait obligation à l'autorité publique de mettre fin aux troubles éventuels.

Le ministre de l'Intérieur m'a confié une mission particulière sur les conditions dans lesquelles la formation des membres du corps préfectoral, préfets et sous-préfets, pourrait être améliorée en matière de conduite des opérations d'ordre public, compte tenu des nouveaux types de risques auxquels ils sont exposés, afin qu'ils puissent y réagir efficacement.

Pour mener à bien cette mission, je me suis notamment appuyé sur les compétences d'un groupe de travail restreint associant des représentants du Conseil supérieur de l'administration territoriale de l'État, de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale, de l'Inspection générale de la police nationale, de la direction générale de la gendarmerie nationale, de la direction générale de la police nationale, et de la direction des ressources humaines et du corps préfectoral.

J'ai également mené une centaine d'entretiens auprès de directeurs de l'administration centrale du ministère de l'Intérieur, de responsables de centres publics de formation, de représentants de l'autorité judiciaire, de préfets et de sous-préfets. Pour cette dernière catégorie, j'ai questionné 58 préfets dont l'ensemble des 13 préfets nommés pour la première fois en 2014, ainsi que tous les préfets de zones métropolitaines.

Le maintien de l'ordre public constitue une fonction régalienne de l'État. Il relève exclusivement du ministère de l'Intérieur. Il est placé par la loi sous la responsabilité du préfet du département. Enfin, il s'inscrit dans le cadre du régime des libertés publiques et se caractérise par un encadrement rigoureux de l'emploi de la force.

Le préfet, dans son département, est le dépositaire de l'autorité de l'État. Il a la charge de l'ordre public, de la sécurité et de la protection des populations. Toutes les situations à risques pouvant, à un moment ou à un autre, dégénérer, le préfet, premier échelon de la réponse de l'État, doit pleinement s'engager en matière d'ordre public, d'animation et de coordination du renseignement à l'échelon territorial. Cet engagement lui permet de connaître, d'anticiper, de prendre des décisions claires et efficaces, et d'assumer pleinement ses responsabilités.

La professionnalisation dont il est question passe par quatre axes prioritaires : l'amélioration des formations ; l'implication personnelle des préfets en matière d'ordre public, de sécurité et d'animation et de coordination du renseignement territorial ; une articulation renforcée entre le préfet et l'autorité judiciaire ; la mise en place d'un appui méthodologique national dédié prenant la forme de la création d'une cellule de conseil et d'analyse en matière d'ordre et de sécurité publique auprès du secrétaire général du ministère de l'Intérieur.

Aucun préfet ne peut faire l'impasse sur la compétence de l'ordre public, dans la mesure où elle exige une prise de responsabilité personnelle et constitue l'un des vrais marqueurs du métier. En outre, la gestion de l'ordre public comporte une dimension psychologique incontournable : l'exercice du maintien de l'ordre n'est pas une science exacte.

La vocation première du maintien de l'ordre est de permettre l'exercice des libertés publiques et le droit de manifester son opinion en toute sécurité.

Notre modèle, fondé sur l'acceptation d'une « démocratie de rue », se caractérise par l'acceptation d'un certain degré de désordre public dans le cadre de l'expression de la contestation, sous le contrôle des forces de sécurité. Mais cette liberté de manifester implique que les manifestants eux-mêmes respectent la loi et renoncent à l'exercice de la violence.

La liberté de manifestation s'inscrit donc dans un cadre juridique précis qui soumet les organisateurs à une obligation de déclaration préalable auprès de l'autorité administrative compétente. Cette dernière peut prendre des mesures restreignant cette liberté de manifester, allant même jusqu'à l'interdiction en cas de risque important établi de trouble à l'ordre public. Cette mesure doit néanmoins rester exceptionnelle. Le maintien de l'ordre républicain a donc pour objet de prévenir les troubles afin de ne pas avoir à les réprimer. Il comporte des mesures préventives avant tout, et, si l'ordre public est troublé, des mesures destinées à le rétablir de manière proportionnée.

Les forces de l'ordre ne sont autorisées à faire usage de la force face aux manifestants que dans certaines circonstances exceptionnelles. Cet usage est soumis à des conditions de nécessité et de proportionnalité. Le respect de ces principes, le souci d'apaisement face aux foules qu'elles doivent protéger, guident l'action de nos forces de sécurité.

Le maintien de l'ordre relève de l'autorité civile, responsable de la préparation et de la mise en oeuvre des mesures adaptées. Les préfets et les sous-préfets font partie au premier chef des autorités civiles responsables de l'emploi de la force pour la dispersion des attroupements. Sur place, ils évaluent en temps réel le dispositif et sa pertinence.

L'exercice du droit de manifester en toute sécurité nécessite la connaissance du corpus juridique et un contrôle de l'action menée sur le terrain. Les forces de l'ordre ainsi que l'autorité civile représentant l'État sur le terrain doivent bénéficier d'un parcours de formation adapté, tant sur le plan juridique que sur le plan opérationnel. J'ai ainsi remis au ministre de l'Intérieur, le 3 mars dernier, un rapport sur la formation des membres du corps préfectoral.

Sur la base des recommandations du rapport, un parcours de formation adapté aux différentes étapes de la carrière a été mis en place : la formation des sous-préfets et des directeurs de cabinet est renforcée dès la prise de poste, tandis que les préfets nouvellement nommés bénéficient d'un cycle de consolidation de leurs compétences juridiques et opérationnelles.

Les services du ministère de l'Intérieur, de l'École nationale supérieure de police, les centres de formation à l'ordre public comme les unités spécialisées de la police et de la gendarmerie seront sollicités à cette fin. Les retours d'expérience seront systématisés et partagés. Dans le même esprit, le Centre des hautes études du ministère de l'Intérieur (CHEMI) et l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) organiseront régulièrement des séminaires consacrés à ces matières.

Ces formations, initiales ou continues, accorderont une place particulière à la qualité du renseignement territorial pour mieux anticiper la physionomie des manifestations, favoriser le dialogue avec les organisateurs, prévenir les incidents et assurer ainsi, dans les meilleures conditions possibles, la sécurité des participants, la protection du public et la préservation des biens.

Ces mesures participent de la démarche engagée par le ministre de l'Intérieur depuis plusieurs mois pour mieux prendre en compte les exigences du maintien de l'ordre en assurant à tous le droit inaliénable à l'expression.

Ainsi, le parcours de formation des nouveaux préfets s'articule autour de sept phases :

- avant sa prise de poste, une immersion de quarante-huit heures auprès d'un préfet de zone expérimenté. Cette phase est déjà appliquée auprès des préfets de Rennes, de Lyon et de Bordeaux ;

- la participation à un « retour d'expérience » sur un événement d'ordre public majeur avec le préfet concerné et, à l'issue, la diffusion d'une fiche réflexe à l'ensemble du corps préfectoral ;

- la participation à une session de formation spécifique organisée par l'École nationale supérieure de la police (ENSP), portant sur les enjeux de la régulation de l'ordre public. La première session va se tenir à la fin du mois d'avril à Lyon ;

- la participation à un séminaire mixte préfets-procureurs de la République portant sur la judiciarisation de l'ordre public. Le premier séminaire se déroulera le 30 juin à l'INHESJ ;

- en outre, d'autres immersions sont prévues dans les centres de formation des unités spécialisées de la police et de la gendarmerie nationale. La première session aura lieu les 19 et 20 mai prochains ;

- des séminaires thématiques relatifs au renseignement territorial et au renseignement intérieur seront organisés en juillet et en septembre par le CHEMI ;

- concernant les sous-préfets assurant la fonction de directeur de cabinet, leur formation fait l'objet d'une refonte totale : elle passe de deux jours et demi à trois semaines, à raison d'une semaine théorique et de deux semaines en immersion au sein des services de polices et de gendarmerie.

La mission de la cellule de conseil et d'analyse en matière d'ordre et de sécurité publique auprès du secrétaire général du ministère de l'Intérieur, consiste notamment à suivre la mise en oeuvre de toutes ces opérations.

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