Intervention de Christian Lambert

Réunion du 26 mars 2015 à 8h30
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Christian Lambert, préfet hors classe :

La répartition des rôles entre le préfet et le commandant opérationnel est centrale. Les opérations se déroulent bien lorsque chacun reste à sa place. Il faut maintenir le système français sous sa forme actuelle : le préfet définit les objectifs, les effets à produire sur le terrain et s'appuie sur le responsable des forces qui, lui, choisit les moyens à employer ; le préfet ne s'immisce donc pas dans la manoeuvre opérationnelle. C'est l'autorité civile – c'est-à-dire le préfet ou la personne mandatée par lui – qui décide à quel moment il peut être fait usage de la force, et c'est le commandant de la force publique qui la met en oeuvre. Les rôles sont ainsi bien établis. L'ordre public est un métier et il faut donc le laisser au responsable commandant la force publique – nous insistons beaucoup sur ce point au cours de la formation des préfets et des sous-préfets.

J'en viens aux réquisitions. Elles ne sont pas nécessaires quand la préparation a été faite dans de bonnes conditions. Le préfet doit connaître et anticiper et, à cette fin, il a besoin de différentes sources de renseignement, qu'il s'agisse du service central du renseignement territorial (SCRT), éventuellement du service du renseignement intérieur, ou encore de ses sources propres qui peuvent être les organisateurs, les secrétaires généraux de différents syndicats. Les réquisitions paraissent d'autant moins nécessaires du fait de l'évolution des moyens technologiques. Quand la vidéo protection assure un maillage complet, la place du préfet n'est pas forcément sur le terrain mais dans la salle de commandement où il peut évaluer en permanence son dispositif et donner éventuellement de nouvelles instructions. On dispose dès lors d'une « traçabilité » suffisante.

Pour ce qui est de la formation, monsieur le rapporteur, elle est demandée par les préfets. Ils sont en effet conscients du défi que représente la sécurité sous ses différentes formes. Nous nous rendrons à Nantes les 2 et 3 avril prochains pour, avec le préfet de région, le préfet de zone et des préfets volontaires, travailler sur les dispositifs, analyser les nouvelles méthodes de contestation. Vous l'avez en effet souligné : à côté des manifestants pacifiques, nous avons des casseurs et nos préfets se rendent bien compte de l'évolution nécessaire en matière de maintien de l'ordre.

J'en viens au renseignement territorial. Il a été remis en place. Nous en avons en effet besoin aux échelons local, régional et zonal. Comme c'était le cas pour les renseignements généraux, son travail est vaste et la part sociale de ce travail est très importante : le préfet a besoin de retours et d'une analyse permanente et doit pour cela entretenir des relations personnelles avec ses chefs de service de renseignement. Ce n'est en effet pas la veille d'une manifestation qu'il faut se mettre à tisser des liens. Dans cette perspective, le SCRT, composé de policiers et de gendarmes, fonctionne bien.

En ce qui concerne l'articulation entre forces spécialisées et forces locales, je rappelais à l'instant qu'à côté des manifestants pacifiques, nous avions des casseurs. Or les unités mobiles – gendarmes mobiles ou CRS – restent sans doute moins souples d'emploi, leurs moyens de protection ne leur permettant guère de courir après des individus qui quittent la manifestation pour aller casser des vitrines à quelques centaines de mètres de là. En 2009, quand j'étais directeur du cabinet du préfet de police de Paris, nous avons fait évoluer notre dispositif et mis en place les unités de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), composées de policiers en tenue à même de se déplacer rapidement et de policiers en civil.

Ensuite, quand il est procédé à une interpellation, la notification des droits doit être faite immédiatement. Au cours de mon travail d'information et d'expertise, j'ai rencontré de nombreux procureurs qui ont confirmé ce que j'avais pu constater en occupant mes différents postes : la conduite au commissariat d'une personne interpellée est une perte de temps et, bien souvent, le fait de ne pouvoir lui notifier ses droits dans les délais impartis empêche toute poursuite. Il faut donc prévoir, pour une notification immédiate, la présence sur le terrain d'une petite unité judiciaire dédiée. On peut également, pour éviter certains troubles, ne pas procéder à l'interpellation immédiatement, auquel cas le système de vidéo-enregistrement permet, sous l'autorité du procureur, l'identification des fauteurs de troubles.

Forces spécialisées et forces locales sont donc complémentaires. Pour ces dernières, si j'ai évoqué la DOPC à Paris, des expériences sont également menées en province comme à Toulouse où, sous l'autorité du préfet, a été constituée une unité de marche, composée de policiers – en tenue – de la compagnie de sécurisation et d'intervention (CSI) –, évoluant souvent en dehors de l'itinéraire prévu de la manifestation, là où se dirigent les casseurs, de policiers en civil pour procéder aux interpellations, de policiers du renseignement territorial qui doivent filmer toutes les scènes possibles, enfin d'une petite unité judiciaire. Chacun a sa formation, chacun a sa feuille de route. Une formation est donnée aux policiers des services territoriaux, dans les départements et dans les zones. Cette évolution s'impose du fait des nouveaux risques encourus.

Je n'ai pas noté de non-respect des protocoles, monsieur le rapporteur. Je le répète : le maintien de l'ordre est un métier. Certains l'exercent en permanence, les gendarmes mobiles et les CRS, d'autres non, et nous sommes en train de les former, notamment au sein des CSI.

J'y insiste, nous avons besoin de judiciariser le maintien de l'ordre. Il est important que, dans la préparation d'événements d'importance, le procureur soit mis le plus tôt possible dans la boucle. Une réunion préparatoire est nécessaire avec le préfet, le procureur, des représentants des forces de l'ordre – forces d'intervention et renseignement – et, éventuellement, les organisateurs déclarés. Or de plus en plus de manifestations ne sont pas déclarées et il est donc parfois très difficile d'établir un lien avec des organisateurs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion