Intervention de Jean-Pierre Karaquillo

Réunion du 25 mars 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Pierre Karaquillo, président de la mission de réflexion sur le statut du sportif :

Monsieur le président, je vous remercie de nous accueillir.

Le travail de notre mission de réflexion est une oeuvre collective – notre comité de pilotage comprenait dix-huit membres – et nous avons beaucoup puisé dans les contributions écrites qui avaient été faites précédemment. Bien évidemment, les services juridiques du secrétariat d'État aux sports ont également apporté leur collaboration. Pendant cinq mois, tous les jeudis et vendredis, nous avons procédé à des auditions. Au total, 191 auditions ont été menées, ce qui est énorme. Les préconisations qui en ont découlé semblent faire l'unanimité, à la fois auprès des partenaires sociaux du sport et des institutionnels, c'est-à-dire du Comité national olympique et sportif français, des fédérations, des ligues professionnelles, des unions de clubs ainsi que des syndicats catégoriels. Il fallait que figure dans ce rapport le fruit d'un certain nombre d'expériences, la mienne mais aussi celle des personnes qui m'ont entouré.

La France compte actuellement 6 500 athlètes de haut niveau. Ce sont des sportifs soit de catégorie « Élite », c'est-à-dire potentiellement médaillables pour des grandes compétitions sportives, soit de catégorie « Senior », soit de catégorie « Espoirs ». 6 500 sportifs de haut niveau, c'est beaucoup et peu à la fois, et très peu sont salariés. La Fédération française d'athlétisme et sa ligue professionnelle ont décidé d'offrir vingt-sept contrats de travail à des sportifs de haut niveau. Certains sportifs professionnels – c'est le cas en golf, en ski et en tennis – sont des travailleurs indépendants.

Nous avons essayé de mettre l'accent sur des préconisations qui seraient communes aux athlètes de haut niveau et aux sportifs professionnels – on entend par sportifs professionnels les joueurs mais aussi les entraîneurs. Il s'agit tout d'abord de prévoir le futur civique de ces athlètes pour faire face à des situations parfois dramatiques. Avec les mouvements de population qui sont de plus en plus nombreux – on l'a vu en ce qui concerne le football mais cela se développe aussi dans d'autres disciplines – on constate en effet aujourd'hui un manque généralisé de formations citoyennes et civiques de la part des jeunes sportifs de haut niveau. Or, lorsque l'on ne possède pas ces fondamentaux, il est très difficile de se reconvertir après avoir achevé sa carrière de sportif de haut niveau. Nous préconisons donc de rendre obligatoire une formation citoyenne et civique, et de priver de l'agrément les Pôles espoir et les centres de formation qui ne joueraient pas le jeu. C'est vous dire à quel point ce type de mesure nous semble important.

Nous sommes également attachés à la mise en place d'un double projet, tant pour les athlètes de haut niveau que pour les sportifs professionnels. On considère souvent que la pratique d'un sport à très haut niveau est incompatible avec autre chose : il faut précisément combattre cet a priori totalement faux. Les entraîneurs, qui doivent être aussi des éducateurs, doivent faciliter ce double projet, afin de permettre aux sportifs de haut niveau ou professionnels de suivre des cycles de formations qualifiantes ou diplômantes. Cela nécessite la mise en place de bilans de compétences, de bilans d'orientation.

Il est également tout à fait essentiel de prendre en compte la validation des acquis de l'expérience, ce qui est, de façon injuste, très peu le cas aujourd'hui. Les référentiels de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) nous permettent en effet d'affirmer qu'un athlète de haut niveau ou professionnel a des acquis de l'expérience non parce qu'il a la qualité d'athlète de haut niveau ou professionnel, mais parce qu'étant athlète de haut niveau ou athlète professionnel, il possède un certain nombre de qualités que d'autres n'ont pas. Il a eu en effet l'occasion de gérer un projet, de voyager dans le monde entier, d'apprendre souvent une ou deux langues étrangères – et je sais malheureusement d'expérience combien ne pas parler couramment anglais est un véritable handicap de nos jours. Il est donc nécessaire que notre système scolaire et universitaire essaie de s'adapter à ce que sont aujourd'hui les athlètes de haut niveau et les sportifs professionnels.

Par ailleurs, j'ai été très choqué d'apprendre qu'en cas d'accident, un sportif de haut niveau ne bénéficie pas d'une couverture sociale. C'est dramatique. Les fédérations n'ont pas l'obligation de contracter des assurances individuelles accident, et lorsqu'elles le font – c'est le cas des fédérations françaises de ski, de gymnastique et de judo –, elles sont insuffisantes. Surtout, la législation sur les accidents du travail ne s'applique pas alors qu'en la matière, nous avons l'une des plus protectrices au monde. Il nous paraît donc fondamental que les sportifs de haut niveau puissent bénéficier de la législation sur les accidents du travail. C'est pourquoi nous préconisons que les fédérations sportives contractent des assurances individuelles accident dignes de ce nom. Un professeur de droit de la faculté de Bordeaux, spécialiste du droit de la sécurité sociale, nous a confortés dans ce type de préconisation. En outre, dès lors que s'applique la législation sur les accidents du travail, peut arriver en corollaire l'inscription sur la liste des maladies professionnelles.

Enfin, une préconisation concerne plus spécifiquement les sportifs professionnels, c'est-à-dire ceux qui sont aujourd'hui dans un lien de travail salarié. Chacun le sait, le code du travail a été élaboré, non pas pour le sport, mais pour le secteur industriel et commercial. Dans les années quatre-vingt, la Cour de cassation a cependant rattaché le contrat de travail des sportifs et entraîneurs professionnels à ce que l'on appelle le contrat de travail à durée déterminée dit d'usage. L'interprétation de la Cour de cassation avait sans doute été assez audacieuse, puisqu'elle avait considéré que pour qu'il y ait un contrat de travail à durée déterminée d'usage il fallait que l'emploi soit par nature temporaire. En tout état de cause, depuis quatre ans mais surtout depuis deux arrêts importants de 2014, la chambre sociale de la Cour de cassation est revenue sur cette interprétation, c'est-à-dire qu'elle remet en cause le CDD dit d'usage. Or si dans le secteur industriel et commercial le principe est le contrat de travail à durée indéterminée (CDI) car il favorise la stabilité du lien contractuel, il en va différemment s'agissant du monde du sport où c'est le CDI qui précariserait l'emploi.

Les juristes spécialisés dans le sport ne veulent surtout pas de CDI et tous les partenaires sociaux vont dans ce sens, aussi bien les représentants des sportifs, des entraîneurs professionnels que des employeurs. Cela dit, il existe un certain nombre d'obstacles juridiques – notamment une directive européenne de 1999 – à la mise en place d'un contrat à durée déterminée spécifique où la notion d'emploi permanent serait mise en avant, comme le préconise la Cour de cassation. Ces obstacles, s'ils sont embarrassants, ne paraissent cependant pas insurmontables. Plus embarrassant serait de rester dans le système actuel : on risque en effet d'assister alors à des requalifications automatiques de CDD en CDI par la Cour de cassation et les cours d'appel. La position que vient de prendre la chambre sociale de la Cour de cassation peut engendrer un véritable séisme juridique.

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