Les outremer sont clairement les premières victimes des changements climatiques, mais ils peuvent aussi être des espaces pilotes d'innovation, d'actions exemplaires et de mobilisation régionale et internationale, car il s'agit d'une problématique, non pas géographique, mais universelle.
L'UICN souligne à cet égard, depuis de nombreuses années, l'importance qui doit être justement apportée aux outremer, au travers de ses travaux, de ses analyses, mais aussi de ses actions de mobilisation, et ce grâce à un programme dédié aux outremer européens.
Très largement insulaires, les outremer, présents dans tous les océans du monde, sont les sentinelles du changement climatique. Ses impacts ne sont pas qu'environnementaux, ils sont aussi humains et économiques. Le rapport rendu l'an dernier à la Commission européenne souligne cette réalité. À titre d'exemple, le rapport indique que, pour les régions ultrapériphériques (RUP), la biodiversité est le système environnemental où la mise en place de mesures d'adaptation est la plus urgente, étant donné qu'elle est à risque et qu'elle a une grande valeur pour ces territoires.
Malheureusement, si la Guadeloupe a accueilli une grande conférence sur la biodiversité et le lien avec le changement climatique, la déclaration adoptée par les RUP sous sa présidence ne fait aucune mention de l'importance de cette biodiversité. Cela plaide pour une nouvelle analyse des projets de territoires, mais aussi et surtout pour des soutiens financiers tant nationaux qu'européens pour appuyer les projets de territoires locaux. Il s'agit bien d'envisager différemment le développement et l'aménagement afin de mieux tirer parti des services écologiques que peuvent pourvoir des écosystèmes en bonne santé. C'est ce que l'UICN appelle les solutions basées sur une nature plus respectée.
Vous m'avez demandé une brève rétrospective des dernières réunions importantes et de vous faire part des attentes de l'UICN pour la COP21.
L'île de La Réunion, qui avait accueilli en 2008, avec l'appui de l'UICN, la première conférence dédiée aux questions de perte de biodiversité et de changement climatique dans les outremer, a accueilli en juin 2014 une conférence internationale sur les îles et le changement climatique. Une déclaration y a été adoptée.
La volonté de La Réunion est que cette déclaration des îles montre les initiatives exemplaires des territoires insulaires et les idées à développer entre les outremer européens et les petits pays insulaires.
La déclaration souligne les enjeux de renforcement des capacités, des partenariats, de la coopération, mais aussi de la solidarité internationale et régionale, afin d'appuyer une économie verte et bleue.
Les outremer européens sont mobilisés sur le sujet et nous nous en félicitons. Pour autant, notre vigilance porte sur une approche plus intégrée. La transition énergétique est très importante. Mais les enjeux de résilience ne peuvent être totalement appréhendés sans une meilleure gestion des écosystèmes, car ce sont leurs services écologiques et leur dynamique qui supportent in fine les capacités de résilience des populations insulaires. Mieux vaut préserver ce qui nous est donné gratuitement que tenter de restaurer très difficilement ce qui est détruit ou très endommagé.
Je rappelle quelques chiffres.
Les récifs coralliens et les mangroves jouent un rôle tout particulier dans le service de protection des côtes et des populations outremer. Les récifs et leurs écosystèmes associés atténuent 70 à 90 % de l'énergie des vagues.
En Nouvelle-Calédonie, ce service d'atténuation de l'ampleur des dégâts causés par les phénomènes naturels permet une économie évaluée entre 115 et 219 millions d'euros chaque année.
Une récente analyse a estimé à près de 250 millions de dollars et à quatre cents ans la durée nécessaire pour restaurer les récifs au sud de la Floride et en région Caraïbe.
À ce titre, le rapport de l'UICN sur l'état des récifs dans la Caraïbe démontre que la résilience peut être favorisée avec une meilleure conception intégrée du développement et de l'aménagement de ces îles.
Au regard des conclusions du GIEC, les choix et la durabilité de certains aménagements dans les outremer est largement à reconsidérer. À ce titre, l'allocution du Président des Kiribati, lors de la troisième conférence sur la réduction des risques, a conclu que la résilience ne pouvait être une question isolée et devait être intégrée lors de la COP21.
Le « Scénario de Samoa » et la cérémonie de clôture de l'année internationale des Petits États insulaires en développement, auquel l'UICN a fortement contribué grâce au partenariat global des îles GLISPA (Global Island Partnership), souligne également le lien intrinsèque entre le changement climatique et le développement. Il s'agit à nouveau d'avoir une approche intégrée et de veiller à ce que le débat sur l'agenda post-2015 intègre les questions de changement climatique et de résilience.
L'UICN travaille tout particulièrement à ce que les nouveaux objectifs de développement abordent la biodiversité comme un pilier fondamental, notamment avec des objectifs tangibles pour les océans, sur lesquels je reviendrai plus loin.
En octobre dernier, la Conférence internationale de la Guadeloupe sur la biodiversité et le changement climatique a de nouveau souligné l'importance des outremer. J'ai eu le plaisir d'animer un des ateliers dédiés à la résilience dans le domaine du changement climatique, mais aussi dans le domaine énergétique, car il est très important pour les îles de parvenir à l'indépendance énergétique – j'ai été étonné en découvrant la part d'énergie fossile encore importée dans ces îles. Des propositions concrètes sont sorties de cette conférence et pourvoient à une feuille de route très utile pour engager des actions concrètes dans les cinq prochaines années.
Pour résumer, deux priorités ont été retenues concernant la transition énergétique. Des mesures « sans regret » ont également été adoptées, visant notamment à améliorer l'efficacité énergétique, à promouvoir les transports publics, à protéger et restaurer les écosystèmes, quelles que soient les incertitudes qui subsistent sur les impacts spécifiques et locaux du changement climatique.
En termes d'actions concrètes, la construction d'un cadre de collaboration permettra à chaque RUP outremer de se fixer des objectifs propres en matière de réduction d'émissions et d'énergies renouvelables, et de définir les voies et moyens de les atteindre, contribuant ainsi à l'objectif européen adopté par le Conseil européen en octobre 2014 : même si l'on peut relativiser le niveau d'ambition, force est de reconnaître qu'en proposant de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre, l'Europe montre le chemin.
S'agissant encore d'actions concrètes, une initiative « îles pour l'adaptation et l'atténuation au changement climatique » comprend des solutions basées sur la nature. Elle capitalise et renforce davantage les initiatives existantes telles que le Pacte des Îles ou BEST (Voluntary scheme for Biodiversity and Ecosystem Services in Territories of European Overseas – régime volontaire pour la biodiversité et les services écosystémiques dans les territoires d'outremer européens).
BEST a déjà financé des projets touchant au changement climatique. L'UICN travaille, pour la Commission européenne, à la pérennisation de cette initiative exemplaire pour financer de nouveaux projets de terrain – nous sommes en train de réfléchir à la création d'un outil de financement, sous la forme d'un trust fund. À ce titre, si le Fonds Vert pour le Climat, qui doit être débattu à la COP21, ne financera pas des actions pour les outremer, BEST, qui a fait ses preuves, constitue un mécanisme de financement adapté pour ces territoires. Je pourrais vous donner des précisions sur BEST dans la deuxième partie de cette table ronde, en réponse à vos questions.
L'UICN a notamment publié un rapport important sur le rôle fondamental des océans en matière d'absorption et de stockage de carbone. Vous n'ignorez pas l'importance du domaine marin que représentent les outremer : c'est le premier domaine maritime au monde. La COP21 doit refléter cette importance des océans. L'UICN fait partie d'une plate-forme Océan et Climat et va participer à un événement important le 8 juin prochain à l'Unesco pour souligner cette conviction.
Ironie de l'histoire, me direz-vous, si la Guadeloupe a accueilli en octobre 2014 la Conférence internationale sur la biodiversité et le changement climatique, les débats de la conférence des RUP, qui s'est tenue à peine quelques mois plus tard, sur la même île, ne font pas mention des enjeux liés à la biodiversité, alors qu'ils sont fondamentaux en matière de développement économique. La déclaration de cette conférence des RUP, très centrée sur les questions de chômage, demande néanmoins à la Commission européenne de « développer l'axe horizontal de lutte contre le changement climatique » et d'« envisager la meilleure façon de déployer le financement en faveur des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique et de mettre en place et de renforcer les politiques publiques permettant une transition écologique et énergétique tenant compte des spécificités des RUP ».
Une fois de plus, il devrait s'agir d'aborder les enjeux de développement de manière plus intégrée. Que seraient les économies locales et l'avenir des populations locales, l'agriculture, la pêche, le secteur touristique, sans les services écologiques gratuits auxquels pourvoient leurs écosystèmes ?
L'UICN avait mené de façon pionnière une analyse des fonds publics alloués aux outremer français. Le constat était sans appel sur la trop faible partie accordée à la biodiversité et sur les effets pervers de certains financements. Quelques années après, le rapport de la cour d'audit européenne a souligné le difficile financement d'actions en faveur de la biodiversité par les fonds structurels.
Les conclusions du 13e Forum des Pays et territoires d'outremer (PTOM) encouragent les outremer à mettre en oeuvre les conclusions de la Conférence de la Guadeloupe et rappellent l'importance de l'utilisation durable des ressources naturelles. Référence est faite à la COP21 et à la volonté de contribuer au succès de la Conférence, et la Commission européenne accueille favorablement les propositions des PTOM en matière d'adaptation et de protection de la biodiversité.
À ce titre, l'UICN va travailler à un événement « Outremer et Petits pays insulaires » lors de la COP21 de Paris pour souligner le rôle de ces entités politiques pour le succès de tous.