Je vous remercie de m'avoir invité à cette réunion pour débattre de ce sujet d'actualité. Ma compétence ne se limite pas aux deux seuls sujets de l'eau et de la biodiversité : elle s'étend aussi au domaine marin. Le changement climatique n'est qu'un des aspects des questions de l'eau, de la biodiversité et du marin.
Mon intervention portera, pour l'essentiel, sur la situation de l'action publique dans les secteurs de l'eau, de la biodiversité et du marin dans les outremer. Je commencerai par l'analyse des forces et des faiblesses des acteurs et des politiques menées, que je mettrai en perspective avec les enjeux du changement climatique.
On parle toujours « des » outremer, car aucun outremer ne ressemble à un autre, que ce soit du point de vue géographique, du point de vue du statut ou du point de vue de la réglementation applicable. Cela vaut aussi pour la biodiversité : il y a plus d'espèces végétales sur un kilomètre carré de forêt en Guyane que dans l'Europe tout entière, tandis que certains outremer souffrent d'une relative pauvreté en matière de biodiversité.
Il en est de même pour les pressions exercées sur l'eau et la biodiversité. Ce ne sont pas les mêmes dans des régions où la démographie explose, comme la Guyane ou Mayotte, dans les régions plutôt stables dans ce domaine, comme les Antilles, ou encore dans des régions à très faible densité : je pense en particulier au Pacifique, au regard de régions comme Mayotte, laquelle atteint facilement 1 000 habitants au kilomètre carré.
S'agissant du statut et du contexte réglementaire, on pourrait faire un cours d'université pour présenter toute la réglementation en matière d'environnement dans les outremer. Globalement, le code de l'environnement s'applique aux départements d'outremer, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et aux terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Ailleurs, comme dans les provinces de Nouvelle-Calédonie, chaque collectivité d'outremer définit sa législation en matière d'environnement.
L'Union européenne distingue dans les outremer les régions ultrapériphériques (RUP) et les pays et territoires d'outremer (PTOM).
Dans les RUP, le droit européen s'applique, moyennant quelques adaptations. Dans les outremer français, les régions ultrapériphériques appliquent, en matière d'environnement, essentiellement les directives traitant de l'eau, mais elles n'ont pas à appliquer à ce jour les directives « nature », comme la directive Oiseaux ou la directive Habitats, plus connues sous le nom de « réseau Natura 2000 ».
Les RUP, soumises au droit européen, bénéficient en contrepartie d'avantages financiers importants. Globalement, entre 2007 et 2013, plus 7 milliards d'euros ont été consacrés aux RUP, au titre des fonds structurels, du Fonds européen de développement régional (FEDER) ou du Fonds européen pour la pêche (FEP). Si l'on veut mettre en perspective les fonds affectés à la biodiversité, je ne dispose pas du chiffre exact, mais on peut supprimer trois ou quatre zéros du chiffre indiqué précédemment… En ce qui concerne l'eau en revanche, les montants sont loin d'être négligeables. Pour les années à venir, 30 millions d'euros en provenance du FEDER iront au secteur de l'eau en Guadeloupe. Le secteur de la biodiversité est le parent pauvre pour ce qui est des financements européens, contrairement au secteur de l'eau, qui tire bien son épingle du jeu.
Les PTOM sont tous les outremer qui ne sont pas des RUP. La réglementation est locale et ne relève pas du droit européen. Cela étant, les PTOM bénéficient d'un certain nombre de crédits, comme les crédits BEST, à destination de la biodiversité. Nous avons appris récemment que la Commission européenne ne voulait pas accorder de crédits LIFE, y compris pour des appels d'offres pourtant ouverts à des PTOM. Les TAAF se sont vues ainsi refuser 3,1 millions d'euros alors qu'elles étaient lauréates de l'appel d'offres.
La Commission européenne s'intéresse beaucoup aux outremer français, car la France est le seul pays dont les outremer sont situés sur quatre océans et couvrent à la fois des zones tropicales et des zones subarctiques et antarctiques, ce qui permet d'avoir une vision très générale de la problématique. Qui plus est, c'est le seul État membre qui compte des RUP et des PTOM.
Concernant les structures en place dans les outremer, il n'y a aujourd'hui, nulle part ailleurs, une telle densité d'organismes traitant de la biodiversité. Plus de dix-sept organismes qui interviennent sur la biodiversité dans les DOM, sans compter les universités ! Résultat : de faibles masses critiques, du fait d'équipes réduites et souvent très dispersées, très faibles, des recouvrements de compétences, parfois même des compétitions : on cite souvent le cas des espaces forestiers qui peuvent être couverts à la fois par des parcs nationaux et par l'Office national des forêts (ONF), alors que certains domaines sont encore délaissés. Un effort de rationalisation s'impose.
Nulle part en France il n'y a davantage d'espaces naturels protégés. Pour les parties soumises au code de l'environnement, près de 30 % de la surface des outremer est classée en espace fortement protégé : coeurs de parcs, réserves nationales, réserves biologiques, etc. En métropole, cela représente moins de 2 %, un chiffre qui reste l'objectif à atteindre.
Ce sont des bases sur lesquelles nous pouvons travailler, car les notions de parc ou de réserve ne signifient en rien une simple gestion « sous cloche » : derrière ces parcs, il y a des comités de gestion, des plans de gestion, qui permettent de prendre en compte l'ensemble des pressions qu'il peut y avoir et de trouver les solutions, notamment aux problèmes liés au réchauffement climatique. Ces espaces protégés et ces organismes sont de réels atouts.
La gouvernance en matière d'eau et de biodiversité a été plutôt faible jusqu'à présent. Concernant les financements et les moyens humains, la multitude des organismes ne veut pas dire qu'il y a énormément d'agents. Aujourd'hui, dans l'ensemble des DOM, 1 128 équivalents temps plein (ETP) travaillent dans les dix-sept organismes dont j'ai parlé précédemment. On dit que 80 % des enjeux de biodiversité sont dans les outremer ; je ne suis pas sûr que 80 % des moyens humains et financiers y soient consacrés… Cela étant, des investissements considérables ont été consentis dans les outremer : les montants investis dans le basculement des eaux à La Réunion et en Guadeloupe atteignent des centaines de millions d'euros.
Il y a également des engagements forts de la France vis-à-vis des outremer. Les dernières conférences et tables rondes ont toujours abouti, dans les feuilles de route, à des mesures spécifiques en faveur de de l'eau et de la biodiversité, dans le cadre du changement climatique.
La ministre de l'écologie s'est fortement engagée en octobre dernier, lors de la Conférence internationale de la Guadeloupe portant sur les outremer européens. Le tableau de suivi de ces engagements, régulièrement actualisé, montre l'importance des sujets eau, biodiversité et changement climatique pour le ministère de l'écologie.
Vous avez débattu, la semaine dernière, du projet de loi relatif à la biodiversité. Des engagements en matière de biodiversité outremer ont été introduits dans le texte, avec des impacts possibles en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique ou de l'adaptation aux changements climatique, et un programme de protection de 55 000 hectares de mangrove et de 75 % des récifs coralliens.
La première piste à explorer sans attendre consiste en des solutions très simples à mettre en oeuvre, que M. Luc Bas a appelées, selon une terminologie européenne, des mesures « sans regret ». Que l'on ait ou non des certitudes sur l'ampleur du réchauffement climatique et de son impact sur l'eau, le problème aujourd'hui, au moins dans les DOM, n'est pas celui de la ressource, mais celui de la gestion et de l'exploitation des réseaux. La Guadeloupe apparaît comme un cas totalement caricatural, puisque plus de 50 %, voire 60 % d'eau, se perdent dans les réseaux. Vous en conviendrez, la meilleure ressource est celle que l'on ne perd pas…
En ce qui concerne l'eau, une première mesure à prendre, la plus simple, consisterait à réduire les fuites et à investir dans l'entretien et le renouvellement du réseau. Ensuite, il vaudrait mieux traiter les eaux usées et les déchets, qui vont dans les lagons, détruisant au passage la biodiversité du littoral. C'est une des principales causes du mauvais état des lagons et des récifs coralliens. Du côté de la gestion des eaux pluviales également, il y aurait certainement des choses à faire.
Autrement dit, des mesures simples, efficaces et valables quelle que soit l'évolution climatique. En outre, le bénéfice est multiple, puisqu'elles se répercutent également dans le domaine de l'hygiène et de l'économie, et il n'y a pas d'économie sans eau potable ni assainissement qui fonctionne bien, sans oublier l'aspect social, car derrière cela, il y a des travaux et des emplois réellement durables.
Deuxième piste : la planification, la stratégie, la gouvernance, qui concernent aussi bien l'eau que la biodiversité, le marin et les risques naturels.
Toute une série de dispositifs de planification sont actuellement mis en avant, et parfaitement applicables dans les outremer, à commencer par les schémas d'aménagement régionaux (SAR). Ils ont l'avantage d'être à la bonne échelle pour les outremer, ils sont inclusifs, c'est-à-dire qu'ils prennent en compte à la fois les sujets d'urbanisation et les problèmes de continuité écologique puisque la trame verte et bleue doit faire l'objet d'un volet dans les SAR ; ils permettent enfin de jouer sur la perspective : quand on travaille sur le changement climatique, il faut avoir une vision des évolutions que l'on envisage sur un territoire. Peut-être faudrait-il même revisiter les SAR pour les rendre encore plus inclusifs : des sujets comme l'assainissement, l'eau potable, qui pourraient tout à fait trouver leur place dans les SAR. Le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), qui est un document parallèle, devrait normalement, comme le prévoient les instructions, inclure une vision prospective concernant les évolutions climatiques.
La gouvernance en matière d'eau et de biodiversité a fait l'objet d'un rafraîchissement dans le cadre de la loi sur la biodiversité, en cours d'examen par le Parlement : ce sera une gouvernance adaptée, locale, au niveau régional des territoires outremer.
Troisième piste : les expérimentations et l'innovation administrative.
Premier cas de figure issu de la stratégie nationale de la gestion du trait de côte : il concerne la commune de Petit-Bourg, en Guadeloupe, où des expérimentations, qui ont fait l'objet d'un appel à projets, sont en cours sur la relocalisation des activités et des biens. C'est un cas exceptionnel, qui concentre les problèmes de réchauffement climatique, de remontée des eaux, de submersion marine, de risques volcaniques, sans oublier les risques de tremblement de terre et d'inondation.
Autre excellent exemple, que j'ai pu apprécier en tant que membre de la Commission mixte inondation qui évalue les Programmes d'actions et de prévention des inondations (PAPI) : le premier projet émanant des outremer, qui concernent Grande-Terre. La commune des Abymes, pilote en la matière, l'ensemble des communes, l'Office de l'eau et la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) ont présenté un projet quasiment expérimental, très inclusif puisqu'il intègre tous les services écosystémiques impliqués dans la prévention des inondations, la rétention des crues et la protection du littoral, puisque c'est là qu'est située la plus grande barrière corallienne des Petites Antilles.
Planification, stratégie, expérimentation me semblent être, dans ces domaines, trois voies de progrès pour les outremer.