Intervention de Alby Schmitt

Réunion du 25 mars 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Alby Schmitt, directeur adjoint de l'eau et de la biodiversité au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

Dans la mesure où il y a autant d'outremer que de territoires, il n'y a pas une solution unique, standard, à appliquer en termes tant d'institutions que de projets ou de réalisations. L'expérimentation adaptée aux conditions locales est une idée qui doit prévaloir dans les outremer.

Il ne faut pas oublier que la biodiversité est également une richesse économique. Un seul exemple : aujourd'hui, 60 % des substances médicamenteuses ont pour origine des plantes terrestres. Les molécules actives de ces médicaments sont à 60 % d'origine terrestre. On ne sait ce qu'il en est pour le domaine marin ; mais l'AZT, qui a permis de soulager de nombreux malades du sida, n'aurait jamais vu le jour s'il n'y avait pas eu, pour produire cette molécule, une petite éponge des Caraïbes, malheureusement très menacée.

Toutes les actions menées dans les outremer doivent répondre à une logique gagnant-gagnant, gagnant pour la métropole, gagnant pour les outremer, car nous avons tous intérêt, métropole et outremer, à avancer dans ce domaine. « Gagnant-gagnant », cela signifie que des efforts doivent aussi être faits du côté des outremer. En ce qui concerne l'eau, par exemple, sujet majeur, je suis inquiet lorsque je vois, sur un contrat de plan État-région (CPER), la répartition des financements : 3 millions d'euros pour les collectivités, 30 millions pour l'Union européenne et 13 millions pour l'État français. Il y a à l'évidence un déséquilibre.

Je suis également inquiet lorsque, dans le cadre de la conférence des RUP, la déclaration finale, à aucun moment, ne fait état de la Conférence de la Guadeloupe et de son message. D'autant que c'est dans ce même outremer que se sont tenues les deux conférences, à quelques semaines d'intervalle.

L'Agence française pour la biodiversité a, certes, été votée ici, à l'Assemblée, mais les discussions parlementaires sont loin d'être terminées. Aussi, m'apprêtant à parler de l'AFB, je vous prie de m'excuser d'anticiper sur la décision finale du Parlement.

Pour ma part, je vois clairement l'outremer comme le porte-étendard de la biodiversité française et l'AFB outremer comme le porte-étendard de l'AFB dans son ensemble. Car la biodiversité outremer parle aux citoyens français, elle fournit des exemples. On y voit concrètement ce qui peut être fait et l'AFB peut jouer un rôle majeur dans ce rééquilibrage entre métropole et outremer.

J'en viens à la rationalisation concernant l'ensemble des organismes qui interviennent outremer.

L'AFB peut être vue comme étant, en particulier dans les outremer, la colonne vertébrale de l'action publique dans le domaine de l'eau et de la biodiversité, ce à partir de quoi on va pouvoir construire, la matrice solide à laquelle on pourra se raccrocher. Parallèlement à cela, le projet de loi en cours de discussion prévoit des outils précisément destinés à aider à construire dans les outremer, autour de cette colonne vertébrale, un ensemble qui donnera plus de cohérence à l'action publique, qui simplifiera le paysage de l'action publique.

Enfin, aucune action ne peut se décider de Paris ; elle doit se faire en pleine intégration, en plein partenariat avec les acteurs locaux, que ce soient les collectivités, les établissements, les organismes qui travaillent déjà sur ces sujets.

S'agissant toujours de l'AFB, la possibilité de créer des délégations territoriales dans les outremer a été ouverte, ainsi que la possibilité de passer par des établissements publics de coopération environnementale (EPCE) regroupant dans le cadre d'une même structure, autour d'une même table du conseil d'administration, l'État, les collectivités d'outremer et leurs établissements. Ce sera un outil intéressant pour mutualiser l'action de l'ensemble des intervenants sur l'outremer.

Au sein même de l'AFB, un certain nombre d'organismes vont être mutualisés, en particulier l'Agence des aires marines protégées (AAMP), l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), l'Atelier technique des espaces naturels (ATEN), etc.

La possibilité de rattachement sera un deuxième outil : je pense au rattachement des parcs nationaux à l'AFB, mais ce pourra être le cas d'autres organismes qui existent et coopèrent déjà. L'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCSF), par exemple, travaille beaucoup avec l'ONEMA et l'AAMP à créer des brigades de police au niveau local. On peut donc imaginer, sur le plan local, des rattachements de ce type. Mais d'autres outils sont prévus pour faire de l'AFB outremer le fédérateur de l'ensemble des actions publiques dans ces territoires.

Pour ce qui est du financement, la mutualisation obtenue au sein de l'AFB doit permettre de mieux répartir, en fonction des besoins, les ressources propres de l'établissement. Aujourd'hui, nous avons des politiques un peu orphelines ou insuffisamment dotées, particulièrement dans le domaine du marin et de la biodiversité outremer – la politique du marin s'appliquant par nature beaucoup outremer. L'une des missions de l'AFB consistera à réorienter, à rendre des arbitrages internes pour que les moyens humains et financiers aillent là où il y a le plus de besoins.

On peut aussi imaginer des économies d'échelle dès lors qu'on aura rationalisé l'ensemble des structures. Sans oublier d'autres dossiers sont en cours, dont ceux concernant le Programme d'investissements d'avenir (PIA) sur la biodiversité et sur l'eau ; le plan Junker, sur lequel des demandes importantes ont été faites, s'agissant notamment de l'eau en outremer, où les besoins se chiffrent en milliards d'euros ; certaines actions enfin pourront se financer grâce à des prêts, en particulier du côté de la Caisse des dépôts et consignations.

Dernier point, les financements européens, dont on espère qu'ils pourront être aussi progressivement orientés vers la biodiversité, comme ils le sont vers l'eau, ce qui n'est pas toujours le cas pour l'instant, dans la mesure où les fonds ont tendance à se concentrer sur les macro-projets.

L'AFB devra professionnaliser tout ce qui touche aux demandes de financements internationaux ou européens. Il faut savoir que les RUP françaises réussissent moins au niveau de l'Europe que les RUP non françaises. Les PTOM, a contrario, fonctionnent plutôt mieux côté français… Il faut vraisemblablement mutualiser ces expériences dans le domaine du portage de projets et des demandes de financements pour qu'au final, nous soyons tous gagnants et que nous améliorions notre taux de succès auprès de Bruxelles…

Une mission interministérielle a lieu en ce moment, en lien avec le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et le conseil général de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAER), sur tous les sujets concernant l'eau dans les DOM et à Saint-Martin. Cette mission aboutira à la publication d'un rapport au début du mois d'avril. Une réflexion profonde doit être menée sur l'organisation des services de l'eau.

Des chiffres seront sans doute avancés sur les besoins de financement des départements d'outremer, non seulement pour se mettre en conformité avec la réglementation européenne – c'est là où le bât blesse au niveau national –, mais également pour donner aux outremer un niveau de qualité et de services en matière d'eau et d'assainissement qui corresponde à ce que l'on peut attendre d'un État développé comme la France au XXIe siècle.

Des efforts seront sans doute demandés aux outremer. J'ai vécu un certain temps à La Réunion et j'y ai travaillé sur la question de l'eau. Avec cette mission, je découvre que des équipements sur lesquels on a investi il y a vingt ans, sont aujourd'hui dans un état qui n'est pas celui d'un équipement normalement entretenu. Il y a donc des efforts à faire de chaque côté.

On a également évoqué la réalité des actions. Je vous invite à examiner chaque année, au premier jour de la Conférence environnementale, le compte rendu sur l'état d'avancement des feuilles de route précédentes, qui sont fournies régulièrement au Conseil national de la transition écologique (CNTE), et qui font le point sur les engagements pris. Les engagements de la ministre en Guadeloupe font également l'objet d'un suivi et d'un rapport à l'adresse des parties prenantes.

Pour ce qui est de la biodiversité en outremer, nous sommes loin d'être en retard. Aujourd'hui, 30 % de la surface, au niveau terrestre, est sous protection forte. Au niveau maritime, beaucoup d'actions concrètes sont également menées, dans la Mer de Corail, par exemple, et bientôt aux Marquises. Les choses avancent : si l'objectif de 55 000 hectares de mangrove protégés a été inscrit dans la loi, c'est parce que le précédent – 35 000 hectares – a été largement atteint, et dès 2015.

L'aménagement de la route du littoral est clairement une opération d'intérêt public majeur et un impératif de sécurité. Sept milliards d'euros sont financés par l'Union européenne. La première question, dans le cas d'un important financement européen, consiste à savoir comment on va le dépenser le plus rapidement possible. On identifie alors les deux ou trois projets majeurs sur lesquels on va pouvoir investir. Du coup, on privilégie surtout des opérations lourdes alors qu'il existe des projets d'infrastructures environnementales qui, en termes de retour pour le territoire au niveau de l'emploi et du financement, sont tout aussi intéressants, et plus intéressants encore en termes de retours secondaires. Ainsi, à Mayotte, la mise en conformité de l'assainissement représente 700 millions d'euros : pour une île qui fait quelques centaines de kilomètres carrés et compte 200 000 habitants, c'est un investissement énorme. Imaginons que l'on finance ce projet très rapidement : cela représente un emploi par tranche de 100 000 euros par an. Autrement dit, chaque fois qu'on investit 100 000 euros par an dans l'assainissement, c'est un emploi pour les travaux et 0,1 emploi définitif dans les services. Au-delà, je vous garantis que l'impact sur le lagon de Mayotte, qui est un des plus beaux lagons des outremer français, sera nettement positif, avec des retombées sur le tourisme et sur la qualité de vie autrement plus importantes que pour des infrastructures telles qu'on les conçoit habituellement.

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