À plus de quarante ans, le SMIC est à un tournant de son histoire. Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait parlé de le réformer et peut-être le moment est-il venu de dépassionner le débat pour adopter une approche réellement économique et sociale de la question. En France, le salaire minimum est plus élevé que dans les autres pays, ce qui plombe la compétitivité de nos entreprises. Cet effet négatif est amorti en bonne partie par des allègements de cotisations, qui représentent plus de 20 milliards d'euros par an, soit plus de deux fois le budget du RSA, mais sans lesquels des centaines de milliers d'emplois disparaîtraient rapidement.
Cependant, le SMIC est un outil totalement inefficace pour lutter contre la pauvreté. Le premier facteur de pauvreté est le rapport à l'emploi – le fait que les gens travaillent 10 ou 50 heures par semaine, 1 000 ou 1 500 heures par an – et pas le niveau du salaire horaire. Le second facteur de pauvreté est le niveau des charges de famille : ce n'est pas la même chose d'avoir à nourrir une personne ou cinq personnes.
Enfin, le SMIC est homogène. Il est le même dans toutes les régions. Or on ne vit pas de la même façon avec un SMIC dans la Creuse ou à Paris. Il est le même quel que soit l'âge, dans un contexte où les jeunes ont difficilement accès à l'emploi. Le thème du « SMIC jeunes » est pourtant difficile à aborder – prenez l'exemple du contrat d'insertion professionnelle (CIP) en 1993 ou du contrat première embauche (CPE) en 2005.
Peut-être faudra-t-il, un jour, songer à lutter plus efficacement contre la pauvreté. Cela pourrait passer par un SMIC plus bas, en termes relatifs, par rapport au salaire moyen ou au salaire médian. Les ressources que l'on dégagerait alors, par la diminution des allègements de cotisations sociales venant contrebalancer le SMIC pour l'instant élevé, pourraient alors être mobilisées pour des politiques de lutte contre la pauvreté très ciblées selon le revenu et selon les charges de famille, voire selon les régions. C'est une voie à discuter, parmi d'autres bien évidemment.
Les membres du groupe d'experts sur le SMIC et leur président Paul Champsaur reviendront sur ces points en présentant leur rapport aux partenaires sociaux, le 4 décembre prochain.
Certains font remarquer que les revenus de transfert, comme le RSA, ne peuvent être assimilés à des revenus d'activité. Certes, pour lutter contre la pauvreté, les revenus d'activité sont préférables, mais ils sont homogènes, alors que les revenus de transfert peuvent être ciblés. Par ailleurs, ils représentent un moindre inconvénient par rapport à la situation actuelle où nous dépensons 22 milliards d'allègements de cotisations pour compenser le niveau élevé du SMIC.
L'économie française rencontrant un problème structurel de compétitivité, les solutions ne peuvent être que structurelles. Certes, la modération salariale allemande est singulière. De fait, c'est à l'intérieur même de la zone euro – où il n'y a pas de problème de change ni de niveau de la monnaie – qu'apparaissent les déséquilibres. Peut-être les salaires sont-ils un peu trop bas en Allemagne et un peu trop élevés dans notre pays, au regard de ce qui est produit et des performances productives. Autrement dit, en attendant que les effets des réformes structurelles se fassent sentir, nous devons exporter davantage, des produits moins chers et, pour cela, innover.
Pour répondre à notre problème de soldes courants, deux voies complémentaires s'offrent donc à nous : les réformes structurelles et, à moyen terme, une bouffée d'oxygène, car nos entreprises ne pourront pas éternellement rogner sur leurs marges.
Les réformes structurelles, on le sait, passent par le marché du travail et le marché des biens. Dans un pays comme la France, on peut attendre des améliorations considérables d'une réforme du marché des biens : on peut ainsi envisager une dynamisation de la productivité de 0,5 point par an simplement en abaissant les régulations anti-compétitives qui brident les innovations.
Nous avons déjà un peu parlé du marché du travail. Notre droit du travail est le plus complexe de tous les pays industrialisés, le plus difficile à prendre en charge par les partenaires sociaux, qui sont précisément censés s'assurer de sa bonne mise en oeuvre dans les entreprises, et le moins protecteur, en raison de sa complexité.
Depuis une dizaine d'années, Jacques Barthélemy et moi-même avons développé la thèse suivante dans plusieurs travaux qui ont été publiés : il est possible d'améliorer non seulement la protection du travailleur, mais aussi la performance économique de notre droit social et de notre droit du travail, en facilitant la conclusion de compromis via des accords collectifs, forcément majoritaires depuis la loi du 20 août 2008. Ces compromis mordraient à la fois sur la réglementation et sur l'autonomie du contrat de travail. Il faut donc s'intéresser à l'articulation des normes.
Nous préconisons que l'accord collectif puisse déroger à de multiples dispositions du code du travail, hormis celles qui constituent le coeur du droit du travail – toutes celles qui relèvent de l'ordre public social et du droit international, dont le droit communautaire. Ceux qui ne seraient pas capables de nouer des compromis se verraient appliquer la totalité du droit du travail.
De la même façon, l'accord collectif pourrait mordre sur l'autonomie du contrat de travail, sans déroger à l'ordre public social ni attenter aux libertés individuelles. L'exemple de l'Allemagne nous montre que la performance de l'accord collectif, quand il mord dans l'autonomie du contrat de travail, est considérable.
Des mesures telles que le choc d'offre, le pacte de compétitivité ou le crédit d'impôt, constituent une réponse transitoire, qui permet d'attendre l'effet bénéfique des réformes structurelles. Le gain que l'on en retirera sera limité dans le temps.
Le crédit d'impôt est une bonne chose, même si l'on peut être surpris que le seuil ait été fixé à 2,5 SMIC. Si, dès qu'ils dépassent 2,5 SMIC, les salariés ne sont plus éligibles au crédit d'impôt, des conséquences négatives risquent d'apparaitre, car, pour 1'euro de salaire mensuel net en plus, le coût du travail augmentera mécaniquement de 200 euros ! Cela concerne, par exemple, les activités de recherche et développement, notamment dans l'industrie. Il ne faut pas négliger les effets de seuil qui peuvent résulter d'un ciblage un peu brutal.