Intervention de François Molins

Réunion du 26 mars 2015 à 10h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

François Molins, procureur de la République de Paris :

Je tiens d'abord à rappeler un principe : le procureur de la République n'est pas en charge de l'ordre public. Son rôle consiste, dans le respect des libertés individuelles dont il est le garant, à rechercher et à faire constater les infractions à la loi pénale, à poursuivre leurs auteurs puis à statuer sur la suite à donner à ces procédures. Il s'appuie pour cela sur la direction de la police judiciaire et dispose du libre choix du service de police à qui il va confier l'enquête. Cela ne le dispense pas de travailler en liaison étroite avec l'autorité administrative, notamment le préfet.

Le procureur détient également un certain nombre de pouvoirs en matière de contrôles d'identité et de fouilles de véhicules. Je rappelle que toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité dès lors qu'il est effectué dans des conditions régulières.

Dans ce cadre, le procureur de la République a la possibilité de requérir des contrôles d'identité en vue de la recherche et de la poursuite d'infractions particulières, en des lieux et pour une période déterminés, cette dernière n'excédant généralement pas six heures. Le périmètre défini peut correspondre à des quartiers entiers ou au tracé et aux abords d'une manifestation.

À Paris, la délivrance de ces réquisitions de contrôle d'identité est centralisée à mon cabinet, sous ma responsabilité et celle d'un procureur adjoint. Elle intervient régulièrement, notamment chaque fois qu'est organisée une manifestation.

L'ordre public dans Paris revêt une importance particulière dans la mesure où la capitale connaît chaque année environ 3 000 rassemblements à caractère revendicatif dont 600 à 700 qui interviennent de manière inopinée, auxquels s'ajoutent toutes les manifestations festives. Parmi ces manifestations, la quasi-totalité font l'objet, comme l'exige la loi, d'une déclaration à la préfecture de police et sont autorisées. Seule une infime partie est interdite ou se déroule en l'absence de toute déclaration.

Le principe de la déclaration préalable constitue le droit commun de la manifestation, qui se distingue de l'attroupement illicite. Les pouvoirs publics ne peuvent, en droit, s'y opposer qu'à des rares exceptions.

L'article 431-3 du code pénal définit l'attroupement comme tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public. Le rassemblement ne devient donc attroupement qu'en cas de menace pour l'ordre public.

En cas de manifestation, le parquet de Paris intervient en amont et en aval.

En amont, il est sollicité par les services de police pour délivrer des réquisitions de contrôles d'identité qui correspondent aux heures et au parcours de la manifestation ainsi qu'à ses abords. Ces réquisitions sont délivrées généralement la veille ou l'avant-veille de l'événement et fournissent aux forces de l'ordre un cadre juridique sécurisant sur le plan procédural. En effet, une interpellation réalisée à la suite d'un contrôle d'identité qui serait dépourvu de régularité conduirait nécessairement au classement sans suite par le parquet ou à l'annulation de la procédure par le tribunal saisi de poursuites.

Sur la base de ces réquisitions, les services de police peuvent contrôler l'identité de toute personne quel que soit son comportement dès lors qu'elle se trouve dans le périmètre et le créneau horaire figurant sur la réquisition.

Nous sommes bien évidemment en liaison constante avec la direction de sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) et le cabinet du préfet de police qui nous avise de la manifestation et des éventuels problèmes qu'elle a pu poser en amont ou qu'elle est susceptible d'entraîner au vu des renseignements dont ils disposent.

Dès que nous sommes avisés d'une manifestation, particulièrement en cas de risque de dérive violente, nous sensibilisons les services de police à la nécessité de prévoir un dispositif, que je qualifierai de judiciaire, permettant de rassembler les preuves des infractions et d'interpeller les auteurs présumés. Ces échanges ont pour but de s'entendre sur l'utilisation de la vidéo, sur l'équipement de certains personnels avec du matériel vidéo portable et sur la présence en nombre suffisant d'enquêteurs judiciaires.

En aval, le parquet est amené à intervenir si des interpellations ont été réalisées à la suite d'infractions constatées par les forces de l'ordre.

Il peut s'agir d'infractions que je qualifierai de droit commun – vols, port d'armes, violences volontaires, dégradations, outrages à agent de la force publique ou rébellions , entraves à la circulation routière – mais aussi d'infractions plus spécifiques qui sont celles prévues par le code pénal dans le chapitre intitulé « atteintes à la paix publique » et relatives à la participation délictueuse à un attroupement, aux manifestations illicites ou à la participation délictueuse à une manifestation.

Ce sont les infractions suivantes : le fait de continuer à participer à un attroupement après les sommations – le code pénal érigeant en circonstance aggravante la dissimulation du visage ; le fait de participer à un attroupement en étant porteur d'une arme ou de continuer après les sommations ; le fait de provoquer à un attroupement armé ; le fait d'organiser une manifestation n'ayant pas fait l'objet de déclaration préalable – la notion d'organisation pose aujourd'hui certains problèmes au regard du rôle joué par les réseaux sociaux ; le fait d'avoir organisé une manifestation sur la voie publique ayant été interdite ou d'avoir fait une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l'objet ou les conditions de la manifestation ; enfin le fait de participer à une manifestation en étant porteur d'une arme.

Le parquet est ensuite compétent pour apprécier la suite à donner aux interpellations réalisées par les services de police, qu'il s'agisse de personnes conduites au commissariat pour vérification d'identité ou de personnes placées en garde à vue par un officier de police judiciaire.

Il est évident que la gestion de cette mission n'est pas la même selon le nombre de personnes interpellées. Dans tous les cas, les contraintes procédurales sont très fortes.

La police doit aviser téléphoniquement le parquet et ce, dans de très brefs délais. Le code de procédure pénale exige que le procureur de la République soit avisé de la garde à vue dès le début de la mesure et selon la jurisprudence la plus récente, dans un délai d'une heure quinze. Au-delà de ce délai, sauf circonstances insurmontables, l'avis est considéré comme tardif et la procédure est jugée irrégulière.

Pour gérer ces interpellations, le parquet de Paris s'appuie sur une organisation spécifique qui varie selon l'ampleur de la manifestation.

Une section est chargée du traitement en temps réel des interpellations en flagrant délit, la section dite P12, au sein de laquelle une permanence criminelle est tenue par un magistrat, de jour comme de nuit, du lundi matin au vendredi matin puis du vendredi matin au lundi matin. Ce magistrat est destinataire de tous les comptes rendus téléphoniques faits par les services de police à la suite des interpellations. Il lui revient d'apprécier les suites à donner.

Le parquet exerce un contrôle à la fois sur la régularité de la procédure et sur le fond. Nous contrôlons d'abord la régularité de l'interpellation et du cadre dans lequel elle est intervenue ; ensuite, nous vérifions l'infraction retenue et les conditions légales de la vérification d'identité ou de la garde à vue. Enfin, nous examinons la qualification juridique de l'infraction par l'enquêteur – il peut nous arriver de la modifier – et des charges pesant sur la personne qui a été interpellée.

En cas d'irrégularité du contrôle ou de l'interpellation, ou de non-respect des droits de la personne dans le cadre de la garde à vue, la personne est remise en liberté et la procédure est classée sans suite. Si l'interpellation est régulière et les charges suffisantes, l'enquête va prospérer.

Nous rencontrons le plus souvent trois difficultés qui sont inhérentes à l'ampleur des manifestations et à leur caractère complexe.

La première difficulté concerne la prise en compte des exigences de police judiciaire dans l'organisation des forces de l'ordre qui vont intervenir pour encadrer et veiller à l'ordre public. Il s'agit le plus souvent d'unités de maintien de l'ordre de la gendarmerie nationale ou de CRS qui sont de passage à Paris pour assurer cette mission de maintien de l'ordre.

Nous sommes donc soumis à un impératif : disposer des éléments de preuve qui ont pu être retenus contre la personne interpellée et qui vont reposer le plus souvent sur le témoignage de l'agent interpellateur.

Or, les conditions d'intervention des unités de maintien de l'ordre ne sont pas propices à la rédaction de rapports ou de procès-verbaux d'interpellation répondant à nos exigences. Pour sécuriser les éléments de preuve et les procédures, nous avons donc travaillé avec la préfecture de police et la police pour établir une fiche d'interpellation type remplie par l'agent interpellateur. Celle-ci contient les mentions nécessaires sur l'infraction commise, sur l'identité de la personne interpellée ainsi que le témoignage de l'agent sur les circonstances précises de l'infraction qu'il a constatée et les charges pesant sur la personne qu'il a interpellée. Une fois remplie, cette fiche doit être remise à la DSPAP. Cette fiche d'interpellation est distribuée par la préfecture de police à tous les commandants d'unités susceptibles d'intervenir pour être utilisée en cas d'interpellation.

La seconde difficulté est la conséquence du nombre des interpellations et des règles de procédure que nous appliquons.

Il peut d'abord être compliqué de contrôler l'identité d'un nombre important de manifestants dans certaines conditions de tension. Ensuite, dès l'interpellation et le placement en garde à vue, les droits doivent être notifiés immédiatement à la personne placée en garde en vue et le parquet doit être avisé dès le début de la mesure.

L'expérience démontre que, lorsque l'on est confronté à de nombreuses interpellations, les délais ne sont pas toujours respectés – c'est un euphémisme. Cela nous conduit à décider la remise en liberté de la personne et à procéder au classement de la procédure pour irrégularité, sauf si, compte tenu de l'ampleur du trouble à l'ordre public, nous retenons les circonstances insurmontables qui permettent de déroger aux exigences légales et jurisprudentielles.

Une autre difficulté peut survenir lorsque les personnes interpellées n'ont pas de papiers d'identité, refusent de la décliner, revendiquent tous le même état civil et refusent de se soumettre aux vérifications et aux opérations de signalisation autorisées par le parquet dans le cadre de la procédure de vérification d'identité.

Nous avons donc travaillé avec la préfecture de police et les services de la DSPAP et de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) pour rappeler le cadre juridique du travail de la police qui s'appuie sur trois grandes procédures : le contrôle d'identité, la procédure de dispersion en cas d'attroupement et la garde à vue.

Si la procédure est régulière, nous privilégions, en cas d'infraction commise contre les forces de l'ordre – violences volontaires par jets de projectiles ou rébellions – ou contre les biens – destructions volontaires par incendie ou bris de vitrines –, une réponse binaire : soit les charges ne sont pas suffisantes et la procédure fait l'objet d'un classement sans suite ; soit les charges sont suffisantes, et, compte tenu du trouble à l'ordre public, nous faisons déférer la personne interpellée au parquet pour engager ensuite des poursuites rapides devant le tribunal correctionnel par voie de comparution immédiate ou de convocation par procès-verbal dans un délai de deux mois, assortie d'une mesure de contrôle judiciaire.

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