Intervention de Véronique Besse

Séance en hémicycle du 31 mars 2015 à 21h30
Modernisation du système de santé — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Besse :

Madame la présidente, madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, la France est dotée d’un système de santé unique et, il faut bien le dire, envié. Ce système a bénéficié de nombreuses avancées scientifiques qui permettent de soigner aujourd’hui beaucoup mieux qu’autrefois. Pour autant, les difficultés ne manquent pas : le vieillissement de la population, avec la question de la prise en charge de la dépendance mais également celle d’une offre soins adaptée ; le budget, avec la hausse des dépenses de santé et le désengagement de l’État ; l’augmentation et la banalisation des comportements à risques qui mettent en danger la vie de bon nombre de nos concitoyens, en particulier des plus jeunes.

Je souhaite appeler votre attention sur trois points qui me paraissent essentiels.

Le premier est le risque d’une médecine à deux vitesses. Vous avez souhaité proposer la généralisation du tiers payant. Sur le principe, c’est une belle idée, mais vous serez rattrapés par la réalité. Faciliter l’accès aux soins, c’est bien, mais encore faut-il que les médecins aient le temps de recevoir les patients. Le risque de patinage est bien réel. Pour vivre de leur travail et obtenir un remboursement, les médecins devront vérifier l’affiliation de chaque patient à l’une des centaines de mutuelles existantes : c’est autant de temps qu’ils ne consacreront pas à soigner leurs patients. Dans les zones déficitaires, la mise en place du tiers payant généralisé sous cette forme va avoir des conséquences désastreuses : des milliers de médecins seront débordés. En bref, le texte que vous proposez va engendrer une médecine à deux vitesses entre les zones déficitaires et les zones excédentaires, et tout simplement détériorer encore plus l’accès aux soins.

Le deuxième enjeu, qui touche des millions de Français, est le droit à l’oubli, qui consiste à permettre à une personne de ne pas subir toute sa vie le poids d’une maladie dont elle est guérie. Madame la ministre, le droit à l’oubli que vous avez inscrit dans votre projet de loi est une bonne chose : il permet à toute personne malade de préparer l’avenir en cas de rémission, de construire, de se reconstruire, d’emprunter, de se projeter et de vivre, tout simplement. Mais, à ce stade, il n’est qu’un demi-droit car il ne s’appliquera qu’aux pathologies cancéreuses survenues avant l’âge de 15 ans : cela concerne 7 500 enfants. Comme bon nombre de Français, je crois qu’il faut aller encore plus loin en commençant par l’étendre à tous les mineurs jusqu’à 18 ans.

Aujourd’hui, on compte 3 millions de personnes malades du cancer dans notre pays, mais les malades de cancer concernés par ce droit à l’oubli sont près de 10 millions. Grâce aux soins qui leur sont apportés, au bout de cinq ans sans rechute, les médecins n’hésitent plus aujourd’hui à annoncer à des patients qu’ils sont guéris. Or, pour les assurances, ces patients seront toute leur vie marqués au fer rouge du cancer, surtout avec le dossier électronique partagé que vous voulez mettre en place et qui conservera la mémoire de l’état de santé de chaque patient. Quinze après la fin des traitements, les assurances continuent à imposer des surprimes, parfois de plus de 100 %, associées à des exclusions de garantie.

Aujourd’hui, le cancer touche chaque année 350 000 personnes, dont 100 000 pour des pathologies à très bon pronostic – plus de 80 % de survie à cinq ans selon les chiffres de l’Institut national du cancer. Pour tous ceux-là, il est temps de mettre un terme à cette double peine que constituent la période de maladie et les obstacles qui s’ensuivent. Il est aujourd’hui temps de songer sérieusement à inscrire dans la loi un droit à l’oubli, au bout de cinq ans, pour les adultes guéris d’un cancer et bénéficiant du même taux de survie que les enfants. C’est l’objet d’un amendement que j’ai déposé.

Enfin, le troisième point que je souhaite évoquer concerne les conséquences de votre politique de prévention. Vous souhaitez mettre en place un parcours éducatif de santé dès le plus jeune âge, mais les objectifs sont particulièrement flous. Rien n’est précisé sur le contenu du parcours. Rien n’est dit non plus sur l’éducation à la responsabilité. S’agira-t-il d’aider des jeunes à être autonomes, à être véritablement libres de toute dépendance ? La responsabilité est bien la pièce manquante de ce projet de loi. La politique préventive proposée n’est pas cohérente : elle oscille dangereusement entre interdiction et déresponsabilisation. Où est la responsabilité quand on supprime le délai de réflexion de l’IVG ? Ne plus réfléchir, voilà le mot d’ordre ! Où est la responsabilité quand on crée des salles de shoot, quand on facilite et cautionne la dépendance d’une personne à une drogue ? D’un côté, on facilite l’usage de drogue ; de l’autre, on veut interdire l’image festive de l’alcool. Où est la cohérence dans cette politique de prévention ?

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