La coopération avec les pays d'Europe occidentale est bonne. La DRM participe à deux forums, dont l'un réunissant régulièrement les pays de l'OTAN autour de divers sujets. Je me souviens que lors de l'un de ces forums, on a cherché à nous forcer la main au sujet de l'Ukraine. Cela montre bien l'importance de disposer de renseignements concrets et factuels : de ce point de vue, la France dispose des moyens lui permettant d'apprécier les situations et de faire valoir son point de vue.
La coopération se fait également dans le cadre de relations bilatérales, c'est-à-dire d'échanges d'informations. La France, généralement très bonne en ce qui concerne l'Afrique, est en mesure de fournir des renseignements sur cette région du monde à ses partenaires, en échange d'autres renseignements concernant des régions où elle en recueille moins. Nous échangeons beaucoup avec les Allemands, les Américains, les Britanniques et les Suisses.
Un interprétateur images est une personne capable de repérer sur une image satellite des éléments que vous et moi ne verrions pas, de déterminer si un missile est érigé ou pas, de mettre en évidence la présence d'un hélicoptère sur la plate-forme arrière d'un navire et d'identifier précisément de quel type d'engin il s'agit, de faire la distinction entre des impacts d'obus et des arbustes, là où tout autre ne verrait que des taches noires. La formation initiale de base dure au moins six mois, et il existe des formations continues complémentaires en vue d'effectuer des analyses encore plus rapides et précises. L'exercice de cette fonction implique une bonne connaissance des capacités adverses, afin de faire la distinction entre les matériels militaires et ceux qui ne le sont pas et d'être en mesure, par exemple, de tirer des conclusions de la façon dont certains canons sont disposés.
Pour former un linguiste en chinois, il faut trois ans ; en russe ou en arabe, deux ans. Nous avons donc tout intérêt à fidéliser les personnels concernés une fois qu'ils sont formés, car la longueur de leur formation constitue un investissement non négligeable. Bien évidemment, nous nous efforçons de mutualiser ces fonctions avec d'autres services de renseignement. Si nous avons actuellement besoin de linguistes maîtrisant le tamasheq – l'une des langues parlées au Sahel –, nous ne savons pas combien de temps il nous sera utile de disposer de tels spécialistes, c'est pourquoi nous y réfléchissons à deux fois avant de faire entrer des personnels dans une filière de formation à cette langue : il est plus judicieux de recourir à des personnels mutualisés. Par ailleurs, quand c'est possible, nous nous efforçons de reconvertir les linguistes spécialisés dans une langue qui ne présente plus un intérêt majeur pour nous : ainsi une partie des nombreux linguistes que nous avons formés au serbo-croate durant les années 1990 ont-ils été transformés en linguistes spécialistes du russe. De même la crise en Centrafrique nous a-t-elle obligés à trouver des personnes parlant le sango.
Sur ce point, il me semble, à l'instar de mes homologues dirigeant d'autres services, qu'il conviendrait d'engager une vraie réflexion sur le plan national afin de déterminer s'il ne serait pas possible de recruter en France des personnels parlant le tamasheq, le pachto ou le dari – deux langues parlées notamment en Afghanistan –, en contrepartie de la délivrance d'un visa longue durée, voire de l'attribution de la nationalité française. L'un des obstacles auxquels nous nous heurtons en matière de recrutement est que notre service n'est pas forcément celui offrant la meilleure rémunération – et je ne parle même pas des postes proposés par le secteur privé.
Pour ce qui est du projet de loi, je rappelle que la loi de 1991 était intéressante dans la mesure où le législateur avait prévu une grande souplesse, ce qui explique que nous ayons pu attendre jusqu'à maintenant – même si certaines évolutions sont intervenues entre-temps – avant l'élaboration d'une nouvelle loi, rendue nécessaire par les gigantesques progrès accomplis en quinze ans en matière de moyens de communication. L'un des intérêts de la nouvelle loi va consister à rendre légales des actions qui ne l'étaient pas et à protéger les agents qui travaillent pour le bien commun et l'intérêt général. Par ailleurs, cette loi va instaurer un meilleur contrôle, auquel les agents ne cherchent pas à se soustraire : ce sont des gens passionnés qui souhaitent avant tout faire oeuvre utile dans le respect des libertés publiques. De ce point de vue, le projet de loi me paraît équilibré, même si des amendements permettront sans doute de préciser certaines choses qui méritent de l'être. Cela dit, cette loi est déjà le fruit d'une longue réflexion, portant la marque d'une fructueuse maturation depuis la loi de 2007 portant création d'une délégation parlementaire au renseignement, et j'y vois une réelle plus-value.