Intervention de Général Christophe Gomart

Réunion du 25 mars 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Christophe Gomart :

On peut effectivement considérer que, grâce à ses satellites militaires, la France dispose d'une bonne capacité à apprécier les situations : rien ne vaut une image, surtout dans les premiers temps. Pour ce qui est de MUSIS, deux satellites vont être lancés à partir de 2018 – l'un comportant une optique « très haute résolution » (THR), l'autre une optique « extrêmement haute résolution » (EHR). Un troisième satellite doit ensuite être lancé en coopération avec les Allemands, qui participent financièrement au programme. En ce qui concerne CERES, un lancement est prévu pour 2020.

L'imagerie satellitaire française repose actuellement sur les programmes Helios et Pléiades – ce dernier, à vocation partiellement commerciale, accorde cependant une priorité d'accès aux militaires quand ils ont besoin d'images. Helios fournit déjà des images de très haute résolution et demain, nous franchirons une nouvelle étape avec la mise en service de MUSIS en extrêmement haute résolution. Quant aux satellites Pléiades, ils présentent l'avantage de fournir des images couleur, ce qui facilite leur interprétation.

Le flux de recrutement des interprétateurs images n'est effectivement pas suffisant. Le général Denis Mercier, chef d'état-major de l'armée de l'air, à qui j'ai exposé ce problème, a augmenté le recrutement, mais il nous appartient désormais d'ouvrir davantage de postes, ce qui pose un problème de qualification. Face à la pénurie de jeunes disposant de la formation adéquate, je me suis tourné vers le secteur civil afin de savoir comment former de jeunes civils. Tous les stages de formation à la fonction d'interprétateur images – qu'ils aient vocation à exercer au sein des armées, de la DGSE, ou même de l'OTAN – s'effectuent actuellement dans le centre de la DRM de Creil : comme vous le voyez, la France est leader dans ce domaine.

Pour ce qui est du partage de renseignements avec nos alliés, j'insiste sur le fait qu'une telle pratique est toujours compliquée à mettre en oeuvre. Pour moi, le renseignement est avant tout national, dans la mesure où il permet à notre pays de disposer de son indépendance en matière de politique étrangère, et à nos dirigeants de prendre des décisions importantes. Pour le directeur d'un service de renseignement, toute la difficulté consiste à déterminer ce qu'il peut communiquer en toute sécurité à ses alliés et partenaires, notamment au vu de leur possible utilisation pour une action militaire.

Pour ce qui est de la coopération avec nos amis américains, la problématique est davantage liée à leur organisation. Lors de mes voyages aux États-Unis, j'ai eu l'occasion de rencontrer le directeur national du renseignement américain, à qui j'ai clairement dit qu'il devait ouvrir les robinets plus largement s'il voulait obtenir plus de renseignements de la part de la France Pour le moment, les Américains se réfèrent à l'accord dit Five Eyes, conclu entre les services de renseignement des États-Unis, de l'Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni, et dans le cadre duquel ils partagent beaucoup. Je verrais comme une contrainte le fait d'intégrer ce Five Eyes, dans la mesure où cela nous obligerait à partager systématiquement l'intégralité de notre renseignement brut : en l'état actuel des choses, nous n'échangeons avec ces alliés que du renseignement élaboré. Fournir du renseignement brut impliquerait de dévoiler nos capacités – que les Américains connaissent déjà en grande partie, il est vrai.

Au Sahel, les Américains nous donnent tout ce qu'ils ont, et vont jusqu'à mettre à notre disposition leurs drones d'observation équipés de capteurs images et d'interception électromagnétique. Au Levant, ils ont commencé à ouvrir un peu plus les robinets du renseignement, mais beaucoup dépend des commandants de théâtre, qui disposent d'une très vaste marge d'autonomie et peuvent être d'une certaine manière comparés chacun à l'équivalent du CEMA en France. J'ai rencontré Michael G. Vickers, Under Secretary of Defense for Intelligence, c'est-à-dire sous-secrétaire à la défense pour le renseignement, qui est très ouvert et m'a expliqué avoir donné des ordres afin que des échanges de renseignements aient lieu. Le problème, c'est que les Français n'apparaissent pas toujours comme un partenaire très fiable aux yeux des Américains : il semble qu'ils nous considèrent comme un peu fantasques, tout en nous reconnaissant un grand professionnalisme et une capacité à agir largement démontrée au Sahel – ce qui les conduit même à admettre qu'ils auraient été incapables d'en faire autant avec si peu de personnel.

Il semble que nous soyons parvenus à enclencher une nouvelle dynamique d'échange, en tenant compte de l'observation des Américains selon laquelle nous ne leur donnions pas suffisamment en retour, donc en revoyant à la hausse le flux de renseignement que nous leur adressons. Pour cela, nous avons dû déterminer de quel type de renseignements ils avaient besoin, et surtout traduire ces renseignements en anglais avant de les leur transmettre. Des officiers de liaison ont été affectés au sein de toutes les structures de commandement américaines impliquées dans la résolution du conflit levantin, au Koweit, auprès de l'unité coordonnant les actions aériennes, à Tampa, et j'ai le sentiment que nous gagnons progressivement la confiance de nos alliés. Petit à petit, nous parvenons à entrer dans leur J2 – l'état-major du renseignement – et à avoir accès aux briefings du Five Eyes, auquel nous sommes même parfois associés en un « Five Eyes + 1 » lorsque la France est particulièrement concernée par certains renseignements ou certaines décisions à prendre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion