Pour ce qui est du besoin en personnel, mon rêve serait de pouvoir recruter 300 personnes, ce qui n'est pas tant qu'il y paraît. Comme j'ai eu l'occasion de le dire au chef d'état-major des armées, le renseignement participe des trois principes de la guerre, à savoir la liberté d'action, l'économie des moyens et la concentration des efforts. Le fait de disposer d'un renseignement de bonne qualité permet une liberté d'action, dans la mesure où il donne les moyens aux chefs militaires et aux décideurs politiques de savoir ce qu'ils vont faire ; il permet d'économiser les moyens en n'engageant que les forces nécessaires, et de concentrer les efforts sur l'endroit précis où se trouve l'adversaire.
Le renseignement ne doit pas être réduit à proportion des effectifs de notre armée : bien au contraire, il doit compenser les réductions d'effectifs de l'armée en permettant d'utiliser au mieux les moyens dont elle dispose : c'est tout l'intérêt du renseignement et de ses capacités d'appréciation autonome des situations. La répartition des missions se fait sous l'égide du coordonnateur, qui rédige un plan national des orientations du renseignement, définissant exactement, selon une vision thématique et géographique, ce qui relève de la responsabilité de chacun des services. Cette répartition, revue annuellement par chacun des cabinets ministériels dont dépendent les services de renseignement concernés, est effectuée de façon rigoureuse.
Le centre de renseignement géospatial interarmées récemment créé nécessite du personnel pour fonctionner de manière satisfaisante, comme tous les nouveaux outils permettant de disposer d'une vision plus réactive et plus précise de ce dont nous avons besoin. Je pense notamment à la recherche en source ouverte, c'est-à-dire au renseignement obtenu par une source d'information publique – aujourd'hui, on trouve pratiquement tout ce que l'on veut sur internet à condition de bien chercher, ce qui nécessite d'importants moyens humains. Le renseignement d'origine source ouverte est très précieux en ce qu'il permet souvent de venir compléter, préciser et recouper le renseignement fermé.
J'aimerais donc pouvoir effectuer 300 recrutements – militaires et civils –, étant précisé que la DRM, dont les effectifs n'ont fait que diminuer au cours des dernières années, emploie actuellement 1 600 personnes, ce en quoi je vois un seuil compte tenu des crises actuelles : nous devons veiller à disposer de capteurs en nombre suffisant pour nous permettre de continuer à exercer notre capacité d'appréciation autonome des situations.
Je ne suis pas chargé du dossier concernant Isabelle Prime, otage française au Yémen – cette affaire est suivie par la DGSE. L'agence de presse Reuters a annoncé par erreur sa libération il y a quelques jours : en réalité, seule l'interprète qui l'accompagnait a été relâchée.
Le Yémen se partage en deux zones : le Nord, où se trouvent les Houthis chiites, et le Sud, territoire des partisans de l'ancien président, réfugié à Aden. L'Arabie saoudite vient de lancer des frappes contre les positions houthies, soulevant des protestations de la part des Iraniens, de plus en plus présents dans le Levant et soutenant à la fois les rebelles chiites, l'armée irakienne et le régime syrien. Les Saoudiens sont particulièrement inquiets, car ils doivent faire face à la problématique yéménite à leur frontière sud et à la problématique irakienne et de Daech à leur frontière nord.
Nous nous efforçons de suivre ce qui se passe au Yémen, étant précisé que la France a des intérêts importants dans le terminal pétrolier de Balhaf – pour le moment préservé. Le week-end dernier, les Américains ont mené une opération avec les Britanniques afin de procéder au retrait de leurs derniers soldats, stationnés à proximité d'Aden. Nous sommes donc désormais dans le noir car, dans l'impossibilité de recouper sur place les éléments obtenus grâce aux interceptions électromagnétiques et à l'imagerie, il est difficile de disposer d'informations fiables.
Pour ce qui est de la Libye, j'ai participé au Forum international pour la paix et la sécurité en Afrique qui s'est tenu en décembre dernier à Dakar, et je me rappelle que le président tchadien Idriss Déby a longuement insisté sur le fait qu'après avoir créé le désordre en Libye en éliminant le président Kadhafi, l'OTAN devait désormais trouver une solution pour ce pays et son peuple. La situation actuelle inspire une grande inquiétude à mes homologues égyptien et tunisien : Daech commence en effet à s'implanter en Libye, combattant les affiliés à Al-Qaïda après avoir rétabli la division traditionnelle de la Libye en trois wilayas – la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan – et il serait de l'intérêt des Libyens de s'entendre contre ce troisième acteur. Il est en effet à craindre de voir des combattants de Daech venus du Levant – Irak et Syrie – affluer en Libye afin de prendre possession de certains territoires. On sait que Daech cherche actuellement des ressources financières que la prise des champs pétroliers situés en Irak – dans la région de Kirkouk, où ses hommes ont engagé une offensive – voire en Libye, lui procurerait.
La Libye est déstabilisée, et nous nous inquiétons beaucoup de voir les principaux chefs terroristes d'AQMI s'y trouver – plutôt au nord, tandis que le Sud, notamment la ville d'Oubari, est le théâtre de combats entre les Touaregs et l'ethnie des Toubous, soutenue par Idriss Déby. Plus généralement, la Libye est devenue un lieu où s'affrontent les islamistes et les combattants nationalistes, ces derniers cherchant actuellement à s'emparer de Tripoli, pour le moment sans succès. Enfin, les Égyptiens accueillent en ce moment des avions des Émirats arabes unis destinés à aller bombarder la Libye. L'élimination de Kadhafi a donc effectivement engendré une situation extrêmement complexe, ce qui s'explique en partie par le fait que le dirigeant libyen tenait seul les rênes du pays, qui n'était pas doté de structures étatiques.