Intervention de Éric Ciotti

Séance en hémicycle du 2 avril 2015 à 15h00
Légitime défense des policiers — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, je remercie M. le ministre de sa présence cet après-midi pour l’examen de la proposition de loi que j’ai l’honneur d’avoir déposée au nom du groupe UMP. Cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte marqué par l’augmentation des violences et des risques auxquels sont confrontées les forces de l’ordre. Elle vise à apporter une réponse claire et mesurée, j’insiste sur ce point, aux attentes de ceux qui, au quotidien, ont la lourde mission et l’immense responsabilité d’assurer notre sécurité, quelquefois au péril de leur vie.

Ce texte devrait donc, je l’espère, nous rassembler et faire l’objet d’un soutien sur tous les bancs. En effet, nous ressentons tous, quels que soient nos convictions et les bancs sur lesquels nous siégeons, un profond respect, je dirais même une admiration pour les femmes et les hommes qui assurent notre protection au quotidien. Ces missions sont dangereuses et exposent ceux qui les accomplissent à des risques importants. Les attentats qui ont frappé notre pays les 6, 7 et 8 janvier dernier l’ont rappelé : parmi les dix-sept victimes assassinées par les terroristes se trouvaient trois policiers. Ils sont morts parce qu’ils portaient cet uniforme symbole de cette autorité républicaine que certains voulaient détruire.

Meurtrie, notre nation a répondu de façon exceptionnelle, en montrant à ceux qui voulaient la mettre à genoux que, face à la terreur, elle se dressait déterminée, solidaire et unie. Or, la difficulté de cette lutte croît de jour en jour. Les criminels, les terroristes, qui disposent de plus en plus souvent d’un arsenal militaire, n’hésitent plus à s’en prendre aux forces de l’ordre. L’uniforme, symbole de l’autorité légale et républicaine, ne protège plus ; au contraire, il devient une cible et expose celles et ceux qui le portent. Depuis 2004, et pour la seule police nationale, le nombre de fonctionnaires tués et blessés en mission a connu une augmentation continue : 36 tués en mission, 112 en service, 52 000 blessés en mission, 123 000 en service, chiffres dramatiques qui traduisent malheureusement la réalisation trop fréquente des risques pesant sur les forces de l’ordre.

Il est par conséquent urgent de fournir aux forces de l’ordre les moyens appropriés pour exercer leurs fonctions dans de bonnes conditions. Au-delà des moyens humains et matériels se pose la question des moyens juridiques, trop souvent laissée de côté et qui passe inévitablement par le renforcement de la protection pénale des forces de l’ordre, notamment s’agissant de l’usage de la force armée. Le monopole de la violence légitime, pour reprendre les mots du sociologue Max Weber, doit s’appliquer partout et en tout lieu sur le territoire de la République. Or, les règles relatives à cet usage sont souvent peu intelligibles, peuvent faire l’objet d’interprétations diverses et varient d’un corps à l’autre.

En effet, il est difficilement compréhensible, alors qu’ils font face aux mêmes dangers, exercent des missions similaires et qu’ils sont soumis à un code de déontologie commun, que les gendarmes et les policiers soient régis par des doctrines d’emploi de la force armée différentes. Alors que les gendarmes bénéficient de dispositions particulières prévues au code de la défense, les policiers sont placés dans une situation rigoureusement identique à celle de tout un chacun et traités comme n’importe quel particulier. C’est en effet, pour la police, le droit commun qui s’applique, c’est-à-dire la légitime défense prévue par le code pénal.

Trois conditions doivent être réunies pour qu’elle puisse utilement être invoquée : la nécessité, la proportionnalité et la simultanéité. Ces trois conditions prohibent l’usage d’armes face à des individus en étant démunis, alors qu’il est possible de tuer quelqu’un à mains nues. Elles imposent fréquemment aux forces de l’ordre d’attendre la réalisation du danger pour y répondre et exposent donc les agents publics à des risques mortels. Trop souvent, des policiers hésitent à agir alors même que leur intervention est nécessaire, par crainte de se situer hors du cadre juridique applicable. Le droit existant fait peser sur les agents publics une incertitude regrettable, une insécurité dangereuse pour eux mais également pour ceux dont ils ont la lourde tâche d’assurer la protection.

Vous le savez, monsieur le ministre, ce constat n’est pas seulement le mien. Tous les syndicats de police entendus dans le cadre des travaux préparatoires de notre commission ont exprimé leur sentiment d’insécurité face aux règles de la légitime défense telles qu’elles prévalent aujourd’hui. La direction générale de la police nationale, elle aussi, a admis par la bouche de la directrice de l’inspection générale de la police nationale, Mme Monéger, que le cadre légal actuel ne permettait pas de faire face à toutes les situations auxquelles peuvent être confrontées les forces de l’ordre. Il est donc urgent de modifier notre droit pour fournir aux forces de l’ordre les moyens juridiques d’assumer leur rôle de façon ferme mais équilibrée. Telle est l’ambition de ce texte, que j’ai l’honneur de rapporter.

À titre liminaire, je souhaiterais revenir sur deux points essentiels qui ont fait l’objet d’interrogations ou d’erreurs d’interprétation. D’une part, et j’insiste sur ce point, le dispositif proposé n’introduit pas une présomption de légitime défense. La proposition de loi ne prévoit pas une impunité et n’empêchera pas des poursuites et d’éventuelles condamnations si les dépositaires de l’autorité publique agissent en dehors des hypothèses prévues. Elle n’entraînera pas un renversement de la charge de la preuve, ni une présomption de culpabilité à l’égard de la victime de la force armée.

D’autre part, et c’est là aussi essentiel, le dispositif qu’entend introduire cette proposition de loi ne s’affranchit en aucun cas des exigences du droit européen et de l’interprétation qu’en a faite la Cour européenne des droits de l’homme. Il ne s’agit aucunement de prévoir un permis de tuer ou de donner aux forces de l’ordre un blanc-seing pour ouvrir le feu, comme j’ai pu hélas le lire dans certains articles ou propos caricaturaux.

Le texte qui vous est soumis met en place une doctrine d’emploi de la force armée pour les dépositaires de l’autorité publique, qui s’accompagne d’une irresponsabilité pénale lorsque les actions des agents s’inscrivent dans son cadre. Il s’inspire des dispositions prévues à l’article L. 2338-3 du code de la défense pour les gendarmes, mais offre un encadrement plus rigoureux.

Je voudrais à ce stade apporter trois précisions. En premier lieu, le texte ne vise pas seulement la police mais les dépositaires de l’autorité publique, notion plus large qui englobe, outre les policiers et les gendarmes, les douaniers ou encore les magistrats. Ce choix rédactionnel fait écho à la nomenclature des Nations unies, qui vise les responsables de l’application des lois, et permet de toucher l’ensemble des serviteurs de la République qu’entend protéger le texte. Il est évident que ne seront concernés que ceux d’entre eux qui peuvent être amenés, dans le cadre de leurs fonctions, à faire usage d’une arme de service.

En deuxième lieu, les armes mortelles ne sont pas les seules susceptibles d’être utilisées par les forces de l’ordre : le texte concerne également les armes non mortelles, telles que les lanceurs de balles de défense.

En troisième lieu, les hypothèses dans lesquelles le recours à la force armée est possible sont rigoureusement encadrées, tout en permettant de combler les lacunes et pallier les insuffisances du droit existant. D’une part, la proposition de loi, à ses trois derniers alinéas, étend des cas figurant déjà dans le code de la défense, dans la mesure où ils portent sur des situations qui peuvent être rencontrées par d’autres agents que les seuls gendarmes. D’autre part, et surtout, elle introduit trois hypothèses précises et opportunes dans lesquelles la force armée peut être employée.

Le 1° du texte autorise cet emploi en cas de danger imminent. Il permettra ainsi de riposter utilement face à un tueur fou qui a déjà tué, s’apprête à recommencer mais qui, au moment où il peut être neutralisé, a rangé son arme. Mme Monéger a évoqué ce cas lors de son audition devant la commission des lois, et l’on peut songer à Breivik en Norvège. Le 2° offre une protection pénale aux agents qui font usage de leur arme lorsqu’ils subissent des violences graves. Le lynchage du commissaire Illy en 2007 à Sarcelles par une bande non armée mais qui a failli le tuer, ou l’agression inqualifiable du gendarme Nivel en 1998, illustrent le sérieux de telles situations et la nécessité de prévoir une riposte garantissant la sauvegarde de l’intégrité physique des agents. Enfin, le 3° autorise l’emploi de la force armée lorsque des individus dangereux et armés refusent de déposer leurs armes malgré deux sommations. Afin d’éviter de figer le droit et d’imposer aux agents un prononcé de sommations trop précis, un amendement vous proposera de n’inscrire dans le code pénal que le contenu général des sommations.

Ces trois points ont recueilli l’assentiment des organisations syndicales de la police nationale, qui y voient un dispositif équilibré et opérationnel. Bien sûr, le syndicat majoritaire des gardiens de la paix, Alliance, a beaucoup défendu cette proposition mais le syndicat des officiers et celui des commissaires ont également exprimé leur soutien à ce dispositif équilibré.

Vous avez pu le constater, ce texte est loin des caricatures qui ont pu en être faites : il est ferme, mais il est bien encadré, a fortiori avec les amendements que je vous invite à voter, qui prémunissent le dispositif de toute dérive, et il est compatible en tout point avec la convention européenne des droits de l’homme.

Nous aurions pu, dès 2012, apporter aux forces de l’ordre la réponse qu’elles attendent en adoptant la proposition de loi de nos collègues Guillaume Larrivé et Philippe Goujon.

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