Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi relative à la légitime défense des policiers qui est présentée aujourd’hui par Éric Ciotti porte sur un sujet particulièrement important et sensible, qui mérite d’être traité avec la plus grande rigueur.
Cette proposition de loi vise à créer un article 122-6-1 dans notre code pénal, afin d’une part d’harmoniser les textes qui régissent l’usage des armes par les policiers et les gendarmes en situation de légitime défense, et d’autre part d’élargir les cas de légitime défense en assouplissant les conditions d’utilisation des armes.
Monsieur le rapporteur, laissez-moi tout d’abord vous dire que je partage votre souci de renforcer, dans le strict respect du droit, la sécurité des policiers et des gendarmes face aux violences dont ils font l’objet. C’est là une préoccupation constante de tout ministre de l’intérieur, et c’est du reste la raison pour laquelle la question du cadre juridique de l’usage des armes par les policiers est très régulièrement posée. Confrontés à de nouvelles formes de criminalité, ces derniers risquent en effet leur vie pour protéger nos concitoyens et faire respecter, sur l’ensemble du territoire national, les lois de la République.
Nous connaissons tous le prix que, trop souvent, ils payent dans l’accomplissement de leurs missions. Ainsi, l’année dernière, quatre policiers ont été tués en opération, et près de 9 000 ont été blessés. Depuis le début de l’année 2015, la police nationale déplore la perte de deux agents en mission, tandis que plus de 850 ont été blessés. La gendarmerie nationale, quant à elle, a perdu en 2014 trois des siens en opération. Cette même année, plus de 1 750 gendarmes ont par ailleurs été blessés au cours d’une agression. Déjà plus de 360 l’ont été depuis le début de cette année. Je donne ces chiffres pour rappeler la réalité des violences dont les forces de l’ordre font l’objet – car je ne suis pas de ceux qui théorisent les violences policières face à la réalité des données.
L’utilisation d’armes lourdes par les réseaux de la grande délinquance et plus encore la montée de la menace terroriste nous imposent en outre un devoir de vigilance particulière. Chacun d’entre nous se rappelle comment, au mois de janvier dernier, deux policiers nationaux ainsi qu’une policière municipale ont perdu la vie en accomplissant leur devoir, frappés à mort par des terroristes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé, sans tarder, de moderniser l’armement des policiers et d’améliorer les mesures de protection dont ils bénéficient : je pense à l’octroi de gilets pare-balles et de casques balistiques.
Il ne me semble donc pas anormal que, dans ce contexte, nous réfléchissions également à la possibilité de clarifier le cadre juridique qui permet aux policiers et aux gendarmes de faire usage de leurs armes. C’est, monsieur le rapporteur, ce que vous proposez.
Comme vous le savez, le droit actuel prévoit que les policiers, hors opérations de maintien de l’ordre et interventions en milieu carcéral, ne peuvent utiliser leur arme de service qu’en situation de légitime défense. Selon la jurisprudence, celle-ci, pour être constatée, suppose que trois conditions impératives soient réunies. Le danger doit tout d’abord être réel et actuel. Ensuite, la riposte doit relever d’une absolue nécessité. Enfin, cette riposte doit être proportionnée à la menace. Je relève que ces conditions ont été tout à fait intériorisées par les forces de l’ordre. Je veux d’ailleurs rendre hommage au courage et au sang-froid dont les policiers et les gendarmes font preuve au quotidien dans l’exercice de leurs missions souvent difficiles et dangereuses, comme je viens de le rappeler à l’instant.
Mais il est vrai que les circonstances récentes peuvent amener à s’interroger sur la manière d’interpréter ces conditions. Certes, il ne fait aucun doute que tout policier ou tout gendarme confronté à des terroristes ayant ouvert le feu sur lui se trouve en situation de légitime défense. Dans de telles circonstances, il est donc autorisé à utiliser son arme.
Mais d’autres situations peuvent poser question. Ainsi, un tireur d’élite ayant dans son viseur un preneur d’otages armé, qui à un moment précis ne menace pas réellement la vie des personnes qu’il retient, se trouve-t-il en situation d’absolue nécessité justifiant qu’il puisse faire usage de son arme ? Et que dire d’un policier ou d’un gendarme confronté à des agresseurs particulièrement dangereux, ayant tué mais prenant la fuite sans menacer quiconque de façon immédiate ? De telles hypothèses, qui constituent des situations nouvelles mais qui peuvent devenir courantes, conduisent donc à un questionnement légitime sur le régime juridique de la légitime défense et sur celui qui encadre l’usage des armes par les forces de l’ordre.
Néanmoins, en raison de leur complexité juridique comme de leurs implications pratiques, ces interrogations appellent, de notre part à tous, une réflexion approfondie, au nom même de la sécurité juridique que nous devons aux policiers comme aux gendarmes. Nous ne pouvons nous satisfaire de propositions qui soient imprécises ou juridiquement contestables.