La deuxième interrogation que suscite cette proposition de loi porte sur l’extension des cas de légitime défense et des conditions d’usage des armes. Sur ce point, le texte appelle à mon sens les mêmes interrogations et les mêmes objections. Il instaure, dans son alinéa 2, un nouveau cas de légitime défense aux profit des « dépositaires de l’autorité publique qui accomplissent un acte de défense lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ». Par là-même, il remet en cause, au seul bénéfice des personnes dépositaires de l’autorité publique, les strictes conditions définissant la légitime défense.
D’une part, cette disposition supprime la condition liée au caractère réel et actuel de la menace, de telle sorte que l’acte de défense pourrait intervenir après l’agression et sans limitation de temps. Toute course-poursuite faisant suite à un acte de violence pourrait ainsi, théoriquement, donner lieu à des tirs contre les individus pourchassés par les forces de l’ordre. On voit bien que, dans la pratique, une telle éventualité ne serait pas réservée aux attaques terroristes et pourrait survenir dans des cas de délinquance ordinaire.
D’autre part, cette disposition rend superflues les conditions de proportionnalité et d’absolue nécessité, qui ne borneraient donc plus la riposte. De simples voies de fait, par hypothèse, autoriseraient les forces de l’ordre à faire usage de leurs armes. Or je n’ai, pour ma part, entendu aucun policier ni aucun gendarme réclamer de pouvoir bénéficier d’une aussi grande latitude dans l’utilisation de ce que vous avez appelé, en convoquant Max Weber, la violence physique légitime. Ce serait là faire peser sur eux une très lourde responsabilité et, du même coup, nous exonérer à bon compte de la nôtre. Car nous ne devons pas nous tromper sur ce point essentiel : les policiers et les gendarmes attendent de l’autorité publique qu’elle définisse et encadre les conditions d’usage de la force, non qu’elle se repose entièrement sur leurs capacités d’appréciation.
Mais, en tout état de cause, ces dispositions sont absolument – ce qui pose un réel problème de droit, et non un problème politique – contraires à l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme tel qu’il est interprété par la Cour européenne des droits de l’homme comme par la Cour de cassation.
Cette proposition de loi soulève enfin, à titre presque accessoire, une objection touchant aux personnes auxquelles s’appliqueraient ces nouvelles dispositions. Car les dépositaire de l’autorité publique que vise le texte, ce ne sont pas seulement les policiers et les gendarmes !