Monsieur le ministre, vous nous avez expliqué les raisons pour lesquelles vous souhaitiez le retrait de cette proposition de loi, des raisons juridiques notamment. Mais le problème, c’est que rien ne se passe sur ce sujet. En vous écoutant, j’avais l’impression d’entendre votre prédécesseur il y a trois ans, qui nous faisait les mêmes promesses, sans que rien n’ait bougé depuis.
Si cette proposition de loi a été déposée par M. Ciotti, et cosignée par plusieurs d’entre nous, c’est justement en raison de l’absence de toute mesure prise depuis le rejet de la précédente proposition de loi, déposée par le groupe UMP le 6 décembre 2012, ainsi que de la prise de conscience par nos concitoyens du dévouement et de l’engagement des forces de l’ordre, auxquelles nous rendons hommage, à la suite du drame qui a frappé notre pays en janvier dernier.
L’urgence est avérée, dans un contexte d’explosion des violences à l’encontre des dépositaires de l’autorité publique. Depuis 2004, 112 policiers, dont 36 en mission, ont été tués sous l’uniforme, et 52 174 policiers ont été blessés en mission, avec une forte hausse au cours des trois dernières années. Les exemples ne sont que trop nombreux de policiers mortellement touchés par les tirs des délinquants ou renversés par des véhicules parce qu’ils n’osent pas riposter, comme à Villiers-le-Bel en 2007, à Chambéry, en Corse, à la préfecture du Cher en 2012, ou, en 1999, ce policier fauché par Amédy Coulibaly dans la circonscription de Guy Geoffroy, qui, après avoir été blanchi par l’IGS, fut muté dans le sud en raison des menaces pesant sur sa vie.
Dans toutes ces situations, il y a un dénominateur commun : le doute, sinon la crainte quant aux conséquences juridiques de la riposte dans une situation de légitime défense. Cela contribue sans nul doute au malaise ressenti par 94 % des policiers, tandis que 62,7 % d’entre eux disent ressentir du stress et voient leur motivation diminuer selon un sondage publié récemment.
Puisque des mesures de protection s’imposent en faveur de ceux qui vont jusqu’à risquer leur vie pour notre sécurité, nous avions proposé, avec Éric Ciotti et Guillaume Larrivé, dans le contexte du rapport Guyomar, d’améliorer la protection juridique des policiers lorsqu’ils sont victimes dans l’exercice de leurs fonctions ou mis en cause par des tiers.
Notre proposition de loi précisait les modalités d’emploi légitime de leur arme de service par les policiers en proposant d’aligner ces règles sur celles de la gendarmerie. Son rejet par le Gouvernement s’était accompagné, comme cet après-midi, d’un engagement à avancer sur ces questions.
Or, plus de deux ans plus tard, l’exposition des policiers au risque d’être victimes de violences dans l’exercice de leurs fonctions n’a cessé de croître. Cette proposition de loi n’est donc évidemment pas de pure circonstance électorale, vous l’avez bien compris.
La situation s’est même dégradée sur le plan juridique, puisque, vous l’avez rappelé et c’est la triste réalité, la jurisprudence européenne, suivie par la Cour de cassation, a acté, en le conditionnant à un critère d’absolue nécessité, une neutralisation partielle de l’article L. 2338-3 du code de la défense, qui permet aux gendarmes de faire usage de leurs armes de service dans certaines hypothèses précisément énumérées. Quant aux autres dépositaires de l’autorité publique, leur responsabilité pénale est engagée dans le cadre du droit commun en cas d’usage de leur arme de service, sauf s’ils prouvent qu’ils étaient en situation de légitime défense ou d’état de nécessité.
Or ces deux possibilités ne permettent pas de faire face à ces situations extrêmes mais d’une brûlante actualité où un tueur, après avoir abattu plusieurs personnes, en prend d’autres en otage. Alors que le risque est manifeste, la doctrine juridique ne couvrirait pas pénalement les policiers qui riposteraient face à un tel individu.
Outre la menace terroriste, dont vous avez rappelé hier encore devant la commission des lois, monsieur le ministre, qu’elle demeurait extrême, la diffusion croissante d’armes de combat au sein même de la petite délinquance – dont le Premier ministre et vous-même avez pu vous rendre compte lors d’une visite dans les quartiers nord de Marseille, où ce sont des tirs de kalachnikov qui ont accueilli les autorités – n’a plus rien d’exceptionnel. Et l’utilisation de cette catégorie d’armes ne se limite évidemment pas à la ville de Marseille.
Plus que jamais, une réponse législative s’impose, par une harmonisation des dispositions juridiques sécurisantes des deux forces. Le groupe UMP appelle la majorité à prolonger l’esprit d’union républicaine qu’elle exige de l’opposition en toutes circonstances en votant ce texte.
La justesse d’appréciation que confèrent aux policiers une formation adaptée et l’autorisation de porter et de faire usage d’armes à feu lorsqu’ils sont attaqués dans le cadre de leurs fonctions plaide pour cette avancée législative.
Si nous partageons bien le constat que policiers nationaux et gendarmes se retrouvent face à une menace identique, il serait hypocrite de notre part de ne pas envisager en toute logique une protection juridique équivalente.
La réponse apportée par cette proposition de loi est donc politiquement juste et juridiquement pondérée. De surcroît, les amendements de M. Ciotti – que, j’espère, nous pourrons examiner – qui prévoient de restreindre la possibilité d’usage de leur arme comme le périmètre de l’exemption de responsabilité pénale aux seuls dépositaires de l’autorité publique détenteurs de jure d’une arme, garantissent la proportionnalité du dispositif. Il ne s’agit évidemment pas d’étendre de manière déraisonnée l’usage des armes à feu par les policiers.
Si la Cour européenne des droits de l’homme condamne l’usage des armes à feu sur une personne qui ne portait pas d’arme et n’avait pas commis d’infraction violente, tel n’est pas le cas si celle-ci a commis une infraction violente et porte une arme à feu. C’est pourquoi l’article unique de cette proposition de loi n’est pas incompatible avec le droit européen.
En outre, cette proposition de loi présente l’avantage de concerner également les gendarmes adjoints volontaires, là où le droit en vigueur ne protège aujourd’hui que les officiers et sous-officiers.
Il s’agit donc non pas de créer une présomption d’irresponsabilité pénale, contrairement à ce que certains pourraient prétendre, mais bien de permettre aux policiers de répondre dans l’urgence à des agressions et dangers imminents précisément listés, qui sont les mêmes que pour les gendarmes. La liste, nous la connaissons.
Cette possibilité de recourir à la force armée n’enjoint pas à l’agent public d’utiliser exclusivement une arme mortelle. L’utilisation d’une arme non létale ayant causé une blessure regrettable, très grave, a d’ailleurs amené pour la première fois aujourd’hui même une cour d’assises à condamner un gendarme à deux ans de prison.
Je vous appelle donc, mes chers collègues de la majorité, à défendre, en adoptant cette très attendue proposition de loi, réclamée par les syndicats de policiers, ceux qui risquent leur vie pour leurs concitoyens et à qui la nation, notamment dans le cadre du plan Vigipirate alerte attentat, demande un sacrifice et un dévouement constants. Ils ne sauraient comprendre un simple rejet de ce texte alors même que vous, monsieur le ministre, ou la majorité, pourriez l’amender.
Le groupe UMP espère que vos appels à l’union nationale ne resteront pas lettre morte une fois de plus, non par respect de l’opposition, qui, pour sa part, respecte cet esprit en votant vos lois antiterroristes et demain une loi sur le renseignement bien qu’elle ne constate pas forcément de réciprocité s’agissant de ses propres propositions de loi, mais par respect pour les policiers, pour lesquels, je le sais, vous avez une très grande estime et une très grande admiration, et qui méritent un bouclier législatif.