Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, « l’État est une communauté humaine qui revendique avec succès le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné », écrivait le célèbre sociologue Max Weber. La remise en cause de l’autorité et de ses représentants que l’on observe aujourd’hui menace donc gravement le pacte social qui nous unit. La culture de l’excuse est devenue la lunette à travers laquelle un trop grand nombre de politiques et de magistrats observent notre société, tandis que les policiers tombent sous les balles des terroristes, des criminels, des trafiquants, des bandits.
Depuis 2004, pas moins de 112 policiers ont été tués en service et 123 782 blessés en mission. Ces tristes statistiques se sont aggravées depuis 2009, avec un pic en 2014. L’avenir ne nous incite pas à l’optimisme : les Français portant l’uniforme sont devenus des cibles clairement définies par l’État islamique. Triste souvenir que celui des trois policiers froidement abattus en janvier dernier par Coulibaly et les frères Kouachi. Nos forces de l’ordre sont confrontées à une menace terroriste et criminelle de plus en plus grande du fait de l’importation d’un arsenal de guerre venu notamment des Balkans, à prix dérisoire.
Face à cette mutation de la violence, les moyens des acteurs de la paix civile ont gravement diminué. Depuis 2009, le nombre de policiers est en baisse constante, les cartouches sont rationnées, les équipements vieillissants. L’image d’autorité de la police se délite. Cette déconsidération ne peut être dissociée de la multiplication des suicides chez les policiers.
Cette réalité est le résultat d’une politique pénale inefficace, accordant à de trop nombreux individus une impunité propice à la récidive et à l’escalade, ce qui donne aux forces de l’ordre un sentiment d’inutilité. Face à des agressions de plus en plus graves, le sentiment d’injustice des policiers est légitime : ils ne bénéficient pas du même régime que les gendarmes, alors qu’ils sont confrontés aux mêmes dangers et que les deux corps sont désormais regroupés sous l’égide du ministère de l’intérieur. Il est totalement incohérent de placer les policiers sous le régime du droit commun de la légitime défense applicable au citoyen lambda ! L’harmonisation de la protection pénale de l’ensemble des forces de l’ordre, inscrite dans la proposition de loi discutée aujourd’hui, semble donc indispensable.
Ce texte permet de nous interroger sur l’application restrictive faite par les tribunaux de la notion de légitime défense. La condition d’immédiateté n’a aucun sens : un individu qui court les armes à la main demeure dangereux tant pour le policier que pour les tierces personnes. La notion de « danger imminent » introduite par le texte permet de surmonter cette difficulté en prenant en considération la globalité de l’action nécessaire pour faire cesser la menace que constitue le déplacement d’un individu armé.
Toutefois, autoriser les policiers à faire usage de leur arme lorsque des individus armés refusent de déposer la leur après deux sommations paraît déconnecté des réalités. Un policier représente lui-même une injonction à la loi. Dès lors, tout individu armé manifestant une hostilité à son égard s’expose à une riposte selon la légitime défense. Les deux injonctions préconisées peuvent-elles être prononcées à haute et intelligible voix dans une situation d’hyper-stress ? Et qu’en est-il si l’agresseur ne comprend pas le français ? Rappelons-nous l’attaque de Charlie Hebdo ! À titre d’exemple, un agresseur armé d’un couteau aura l’avantage sur une personne portant une arme à feu à partir de sept mètres. Il est très difficile dans de telles situations d’adresser ces injonctions avant de riposter.
Se pose également la question de l’application judiciaire stricte de la proportionnalité. Comment exiger d’une personne agressée d’être capable d’analyser froidement et mécaniquement une situation d’angoisse extrême ? C’est une question de survie, pour soi ou pour autrui, qui défie toutes les lois rationnelles. Le jugement mathématique de certains magistrats, méconnaissant totalement l’état émotionnel des personnes, conduit à désarmer psychologiquement des policiers qui peuvent hésiter à tirer, au prix de leur vie ou de celles de nos concitoyens. Voilà pourquoi je rejoins mon collègue Gilbert Collard sur la nécessité de mettre en place la présomption réfragable de légitime défense, afin de réaffirmer la confiance a priori et la probité de principe accordée aux forces de l’ordre face aux délinquants.
J’entends déjà fuser de la bouche de certains élus l’argument absurde du « permis de tuer ». Cet argument n’est bizarrement pas opposé à la présomption de légitime défense qui est actuellement en vigueur pour les gendarmes – pour la simple raison que l’existence de cette présomption n’a jamais conduit les gendarmes à l’utilisation zélée et irresponsable de leur arme à feu et ne constitue en aucun cas une irresponsabilité pénale !