M. Morin nous a mis en garde contre les pressions que des représentants du Gouvernement pourraient exercer sur les services, en vue de les contraindre à agir en contradiction avec les valeurs de la République. Tout en préservant l'équilibre du texte, je vous demande, moi, de partager les contraintes du Gouvernement en matière de protection des Français contre le terrorisme. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle, pour suivre 3 000 personnes au titre du seul terrorisme, la DGSI ne dispose que de 3 000 agents. Depuis que j'ai été nommé ministre de l'Intérieur, je me suis trouvé placé dans des situations d'extrême urgence, impliquant de prendre des décisions sans délai pour assurer la protection des Français face à un risque terroriste imminent. Cette situation ne renvoie pas qu'à des préoccupations d'ordre juridique, même si, agissant dans l'urgence, nous les avons à l'esprit : elle renvoie à une exigence d'efficacité.
C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de prendre deux types de dispositions : tout d'abord, définir l'urgence absolue, qui nous impose d'agir dans des délais très brefs, parce qu'il est impossible de faire autrement pour éviter qu'un acte ne soit commis ; ensuite, la distinguer de l'urgence spéciale, qui renvoie à des techniques de renseignement. Je prends un exemple : imaginons que nos services s'apprêtent à poser une balise au titre de la mobilisation des techniques prévue par le texte ; un comparse de la personne surveillée arrive, qui peut, on le sait, entretenir des liens avec une activité terroriste. Immédiatement, il faut prendre la décision de poser une seconde balise, visant le comparse. Or le temps de solliciter l'autorité hiérarchique est suffisant pour lui permettre de filer. Pour être efficaces, nos services doivent pouvoir faire preuve de réaction opérationnelle immédiate.
C'est pour préserver cette efficacité que nous avons distingué l'urgence absolue, qui renvoie à des situations, de l'urgence spéciale, qui renvoie à des techniques.
Le rapporteur, qui connaît bien ces sujets, prévoit, pour rendre le dispositif plus souple, qu'en cas d'urgence liée à une menace imminente, c'est le chef de service qui donnera l'autorisation, quitte à en informer ensuite le Premier ministre. Cette disposition me choque précisément au regard de vos propres préoccupations, qui recoupent celle du Gouvernement. Je souhaite que le Premier ministre demeure responsable des actions engagées : ce n'est pas au chef de service à rendre des comptes à l'autorité politique des conditions dans lesquelles il aura, tout seul et sans aucun contrôle, engagé une opération. C'est au Gouvernement qu'il appartiendra de rendre des comptes devant la CNCTR, voire devant le juge, des conditions dans lesquelles telle ou telle opération aura été engagée. Je refuse un dispositif qui se révèlerait déresponsabilisant pour l'autorité politique.
Enfin, les premiers à tirer sur les services pour en dénoncer les failles sont ceux qui sont les moins à même de comprendre les difficultés opérationnelles auxquelles les services sont confrontés et qui, de ce fait, sont opposés à ce qu'on leur donne les moyens permettant précisément d'éviter ces failles. Je suis comptable de la protection de nos services qui font un travail remarquable dans un contexte très difficile de niveau de menace terroriste élevé. C'est pourquoi je ne souhaite pas voir adopter, via des amendements, des dispositions qui, ne tenant pas compte de la réalité opérationnelle du fonctionnement des services, les empêcheraient d'assurer la protection optimale des Français et déresponsabiliseraient l'autorité politique en donnant à des chefs de service des pouvoirs que seul le pouvoir politique doit assurer dans une démocratie, dès lors qu'ils sont contrôlés et par le juge et par le Parlement.