Je comprends parfaitement les préoccupations du rapporteur et des parlementaires.
Il faut toutefois faire sa part à l'efficacité des services dans la protection des Français. C'est pourquoi je suis animé par la volonté de ne pas voir, demain, la responsabilité des services mise en cause dans une période où ils ont fort à faire et alors qu'ils assument leurs responsabilités de façon éminemment républicaine. Il importe, pour être efficace dans la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, de ne pas mettre les services en première ligne en cas de difficulté, surtout si nous ne leur avons pas donné tous les moyens d'agir. Cette préoccupation, qui est la mienne, n'est pas moins noble, dès lors qu'elle est assortie de toutes les garanties de contrôle de l'activité des services, que les vôtres, qui sont par ailleurs légitimes.
Si la proposition du rapporteur me gêne, c'est que nous devons, aujourd'hui, faire face à deux types de situations : des situations dans lesquelles il faut réagir rapidement – d'où le régime de l'urgence absolue – et des situations qui tiennent aux techniques du renseignement et qui impliquent, pour être efficace, de pouvoir mobiliser des moyens en quelques minutes – d'où le régime de l'urgence spéciale. La distinction entre urgence absolue et urgence spéciale n'a donc rien d'absurde, compte tenu de la réalité de l'activité des services. Que vous le reconnaissiez nous permettrait d'avancer ensemble et de refuser la fusion de ces deux notions.
D'autant que leur fusion serait bien moins protectrice pour les libertés publiques que ne l'est leur distinction. En effet, seul le régime de l'urgence spéciale ne requiert pas l'autorisation préalable. Si les deux dispositifs sont fusionnés, toutes les garanties liées à l'urgence absolue seront perdues. La fusion de ces deux régimes est donc à la fois moins protectrice pour les citoyens et moins efficace pour les services : alors même que nous aurions raboté leurs moyens d'intervention dans un contexte très élevé de risque terroriste, est-il concevable qu'ils risquent d'être pointés du doigt pour des failles qui ne leur seraient pas imputables ?
Pour ces trois raisons, je suis défavorable à l'amendement du rapporteur.
Je tiens à mettre le Parlement devant ses responsabilités en développant devant la Commission mes arguments qui seront, de ce fait, inscrits au compte rendu : je souhaite, en effet, en cas de problème lié au terrorisme, pouvoir rappeler que je l'avais anticipé, le Gouvernement devant lui aussi, et c'est bien normal, rendre des comptes.
Conformément aux principes démocratiques qui sont les miens, je ne souhaite pas que des services puissent, sous la seule autorité de leurs chefs, engager des actions aussi sensibles sans l'autorisation du Premier ministre. L'urgence pour raisons opérationnelles doit être limitée au strict nécessaire. C'est pourquoi, je le répète, le texte distingue l'urgence absolue de l'urgence spéciale. Dans une démocratie, seuls ceux qui disposent de la légitimité politique doivent prendre les décisions et en rendre compte : l'efficacité tant du contrôle parlementaire que du contrôle juridictionnel l'exige.
Que ce soit pour des raisons de respect des réalités opérationnelles et donc d'efficacité, de protection des libertés publiques et d'efficacité du contrôle parlementaire, je défends la position du Gouvernement. Le faisant – c'est tout le paradoxe de notre débat –, je reprends à mon compte une partie des arguments qui ont inspiré l'amendement du rapporteur.