C'est la cinquième fois que la commission des Lois évoque les questions de renseignement depuis le début de la législature, mais la première fois qu'elle les aborde à travers un texte dédié. Quelques mois après avoir conduit une mission d'information sur le cadre juridique des services de renseignement – que j'avais eu l'honneur de conduire avec Patrice Verchère –, nous avons travaillé sur les mouvements radicaux armés dans le cadre d'une commission d'enquête présidée par Christophe Cavard. En 2013, nous nous étions saisis pour avis de la loi de programmation militaire, sous la responsabilité de Patrice Verchère, pour revenir au sujet en novembre 2014, à l'occasion de l'examen du projet de loi antiterroriste dont Sébastien Pietrasanta était le rapporteur. Dans le cadre du dernier débat budgétaire, Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis sur l'administration pénitentiaire, avait centré son regard sur le renseignement pénitentiaire – sujet que vient d'évoquer la garde des Sceaux. Enfin, au début de la législature, le premier texte antiterroriste – dont Marie-Françoise Bechtel était la rapporteure – nous avait également permis d'évoquer les questions de renseignement.
Je voudrais expliquer en quelques mots le regard que je porte sur le texte et les convictions qui m'animent et sous-tendent mes amendements.
Le texte répond à la fois à une attente et à une nécessité. Le Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité nationale indiquait : « Les activités de renseignement ne disposent pas aujourd'hui d'un cadre juridique clair et suffisant. Cette lacune doit être comblée. » Nous allons y pourvoir, sept ans après, en légalisant les activités du renseignement d'État.
La loi assume ainsi deux fonctions. L'une, juridique, consiste à soumettre une activité au droit ; l'autre, politique, affirme la légitimité de cette activité et l'intérêt public qui s'y attache. Dans une démocratie, ces deux fonctions sont indissociables.
Si baroque que cela puisse paraître, nous commencerons par donner une base légale à des services qui ne procèdent que d'une décision du pouvoir réglementaire. La DPSD est née d'un décret du 20 novembre 1981, TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) d'un décret du 6 décembre 2006, la DGSE, d'un décret du 2 avril 1982 publié au Journal officiel, alors que le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), son ancêtre, procédait d'un décret du 4 janvier 1946, qui n'avait pas été publié. La DRM a été créée par le décret de 16 juin 1992, et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) par celui du 30 avril 2014. Donner une base légale à des services procédant du pouvoir réglementaire est manifestement un progrès de l'État de droit.
En outre, nous éviterons à la France d'être condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour cette carence législative. Elle l'a été le 24 avril 1990, ce qui avait incité le gouvernement Rocard à légiférer, en juillet 1991, sur les interceptions de sécurité. Elle l'a encore été, le 30 mai 2005, pour avoir sonorisé des appartements sans base juridique suffisamment précise. Une loi sur le renseignement était donc indispensable.
Aux termes de l'article 34 de la Constitution, seule la loi peut fixer des règles en matière de garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. En outre, seule la loi peut sortir les services d'une opacité qui fait du renseignement un objet méconnu.
Les services de renseignement ont beau être de toutes les époques, notre pays ne les a pas intégrés à sa culture. C'est au XVIIe siècle qu'est née l'étrange relation qui unit la France aux services de renseignement. Napoléon, qui avait souvent recours aux espions, avait peu de considération pour eux. Si le monde anglo-saxon tient leurs activités non seulement pour légitimes mais pour précieuses, car elles défendent la souveraineté, notre pays les perçoit, sauf en période de conflit armé, comme perfides ou infamantes. Qu'elle se souvienne de Fouché, du Rainbow Warrior ou des écoutes du Canard enchaîné, notre mémoire collective les associe à la trahison ou à des opérations peu avouables. Notre géographie n'a pas fait du Français un conquérant ni même un curieux. « La curiosité est un vilain défaut » : l'adage montre la frontière que nous établissons entre la connaissance, légitime et valorisante, et le renseignement, méprisable et illégitime.
Mais la situation change. Hier, les services de renseignement étaient tenus pour des outils à la disposition de l'État. Désormais, ils apparaissent pour ce qu'ils sont : des moyens de protéger les citoyens, des administrations régaliennes dédiées à la garantie des libertés individuelles et collectives.
À travers les amendements que je vous présenterai, je vous propose de bâtir un contrôle administratif. Tel est le sens de la naissance de l'inspection du renseignement, créée par le président de la République, en juillet 2014, puis du contrôle parlementaire, élargi par la loi de programmation militaire, qui donne enfin à la délégation parlementaire au renseignement, laquelle ne possédait qu'un pouvoir de suivi, un pouvoir de contrôle de la politique publique de renseignement. Il fallait acclimater deux mondes – le pouvoir et les services – et les faire se rencontrer. Désormais, notre parlement, qui contrôle les activités de renseignement, exerce les mêmes compétences que tous les parlements démocratiques du monde.
Il existe donc, d'un côté, le contrôle hiérarchique, à la discrétion des ministres, de l'autre, le contrôle parlementaire. Il manquait encore le plus important : ce que nous avons appelé, M. Verchère et moi, le contrôle de légalité et de proportionnalité, qui permet de s'assurer que les moyens engagés sont proportionnés à la menace qu'ils sont censés combattre.
C'est de sa qualité que dépendra la crédibilité globale de l'organisation. C'est sur sa densité que reposera la légitimité du renseignement. Nous nous sommes appuyés sur deux jurisprudences constantes et incontestables. Le Conseil constitutionnel, depuis 1999, et la Cour européenne des droits de l'homme, depuis l'arrêt Popescu de 2007, assurent que la légalité ne suffit pas si elle n'est pas accompagnée d'un contrôle effectif. C'est pourquoi la plupart de mes amendements portent sur le contrôle. Ils découlent des dizaines d'auditions organisées la semaine dernière. Je rappelle que nous entendrons, avant l'examen du texte en séance publique, le Défenseur des droits, et que nous recevrons la contribution d'associations, comme l'association des magistrats administratifs, que nous n'avons pu auditionner.
Chaque fois que cela paraîtra nécessaire, je m'emploierai à renforcer les moyens juridiques de la nouvelle autorité administrative. Contrairement à ce que j'ai pu lire dans la presse, cette instance héritera de toutes les compétences de la CNCIS. Elle en exercera d'autres. Chaque fois que j'ai identifié une incertitude sur sa capacité à exercer un contrôle effectif, je vous proposerai un amendement pour dissiper le doute. Quand des garanties me semblent nécessaires, je vous proposerai de les ajouter.
D'autres amendements visent à compléter la protection des citoyens et de leurs libertés individuelles. Nous préciserons l'usage de certaines techniques de recueil des renseignements, en resserrant ou en encadrant les procédures d'autorisation.
La troisième série d'amendements tend à conforter les garanties collectives qui découlent de la création quasi révolutionnaire de la saisine par les citoyens du Conseil d'État. C'est une pierre angulaire de la réalité du contrôle, qui sera jugée un jour par la CEDH.
Sur ce texte, je rechercherai la majorité la plus large, au sein de la Commission et dans l'hémicycle. Je serai attentif aux amendements de tous les groupes, pourvu que leur rédaction soit irréprochable. Je souhaite que notre travail, essentiellement tourné vers le contrôle, nous permette de dissiper les craintes.