Ce projet de loi porté par l'ensemble du Gouvernement et présenté par le Premier ministre n'est pas un projet de circonstance. Il n'a pas été écrit sous le coup de l'émotion. Voilà longtemps que nous réclamions un texte sur les finalités et les principes encadrant le renseignement. Le rapport de M. Urvoas et de M. Verchère pointait un vide, en la matière.
Le président et rapporteur n'apprécie pas qu'on examine les textes au pas de charge. Je regrette d'autant plus le recours à la procédure accélérée et l'inscription de son examen au lendemain d'une période électorale chargée, ce qui a pénalisé le travail en amont. Il m'a ainsi été difficile d'assister à toutes les auditions préparatoires. Je remercie néanmoins le ministre de l'Intérieur d'avoir consacré beaucoup de temps aux parlementaires. J'y vois un signe encourageant pour le débat en commission comme en séance publique. Il serait désolant que les Français se sentent privés d'une discussion transparente sur un sujet qui les concerne. Celle-ci portera moins sur les techniques de surveillance que sur les principes qui doivent encadrer les pratiques de renseignement et la défense des libertés.
Ces pratiques ne bénéficiaient pas d'un encadrement législatif, ce qui fragilisait le travail des services autant que les bases de notre démocratie. On comprend qu'une importante mobilisation citoyenne se fasse jour sur un tel sujet, car le texte légalise des moyens d'action, des moyens d'exception et des techniques qui permettent une surveillance de grande ampleur, voire une surveillance de masse. Je partage certaines interrogations sur les moyens techniques utilisés et m'interroge, comme Mme Bechtel, sur les motifs invoqués au nouvel article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure.
Les outils sont nombreux : balises GPS pour les véhicules, sonorisation des espaces privés, captation d'images, intrusion dans des lieux privés, accès en temps réel aux données de connexion Internet, installation des dispositifs de recueils de communication couvrant de larges périmètres de l'espace public, utilisation de matériels sophistiqués comme les IMSI-catchers, les logiciels espions et les technologies complexes fondées sur des algorithmes, dont on mesure mal l'efficacité et la portée.
Depuis la loi de programmation militaire, une inquiétude plane. Les journalistes craignent, parfois à juste titre, des atteintes à la liberté d'informer, alors que la loi sur le secret des sources n'est pas à l'ordre du jour. Les magistrats redoutent qu'on n'offre aux services secrets des pouvoirs exorbitants, dans des domaines plus larges que la seule lutte contre le terrorisme. La CNIL s'interroge sur le contrôle des fichiers et l'emploi de mesures de surveillance intrusives. Il ne s'agit pas d'une hostilité de principe à toute législation antiterroriste, dont nul ne conteste la légitimité. Mais comment croire que la seule réponse apportée à ce défi relève du renseignement et de la police ?
Nous devons savoir si le texte respecte les principes démocratiques et si les réponses prévues sont proportionnelles aux risques que notre société doit affronter. L'étude d'impact n'apporte pas de certitude sur l'efficacité, l'engagement budgétaire ou l'impact des mesures de surveillance. Ce texte intervient alors que l'encre de la loi de 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est à peine sèche. Il renforce un arsenal antiterroriste qui comporte déjà quatorze lois depuis 1986. Il s'applique enfin à des domaines beaucoup plus vastes que la lutte contre le terrorisme, notamment la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique. Le débat parlementaire doit répondre aux craintes qui s'expriment dans le débat public et apporter des clarifications nécessaires.
La CNCTR – ses moyens, ses capacités d'intervention et son efficacité – sera au coeur de nos débats. Je me réjouis de l'état d'esprit dans lequel le président et rapporteur aborde la discussion. Selon Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, le contrôle en amont, en cas d'urgence absolue, serait possible. La question pourrait être abordée par les ministres. Quant aux interrogations sur l'ampleur de la surveillance produite par les diverses techniques évoquées dans le texte, elles ne peuvent être balayées d'un revers de main.